Depuis le décès de la juge et icône féministe Ruth Bader Ginsburg, le processus de nomination des juges à la Cour suprême des États-Unis est sur toutes les lèvres. Qu’en est-il chez leur voisin du nord? Le professeur et constitutionnaliste Patrick Taillon met en lumière le processus canadien tout en formulant quelques critiques à son égard.

La Cour suprême du Canada (CSC) est composée de neuf juges, dont un juge en chef. Selon la tradition et dans le but de représenter la population, trois d’entre eux viennent de l’Ontario, deux des provinces de l’Ouest, un des provinces de l’Atlantique et trois du Québec. Cette surreprésentation du Québec, une province civiliste, assure à la CSC de posséder l’expertise nécessaire pour entendre et juger des causes issues du droit civil – alors que les autres provinces et territoires relèvent plutôt de la common law.

Tous les juges sont nommés par la gouverneure générale sur la recommandation d’un comité consultatif indépendant, du ministre de la Justice et du premier ministre. Ils doivent être bilingues et choisis parmi les juges d’une cour supérieure ou parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans au barreau d’une province ou d’un territoire. Au Canada, un juge occupe son poste jusqu’à l’âge de 75 ans (ou jusqu’à sa retraite), tandis qu’il n’y a pas d’âge prescrit aux États-Unis – la juge Bader Ginsburg était âgée de 87 ans.

Une indépendance questionnée

Selon Patrick Taillon, la procédure canadienne de nomination des juges est critiquée de quatre principales manières, ce qui explique l’instauration de réformettes éphémères de la part des différents gouvernements. Le professeur indique d’abord un sévère risque de politisation de la magistrature. Effectivement, en tenant compte de toutes les nominations à la cour supérieure et à la cour d’appel, il y a une surreprésentation d’anciens membres ou d’anciens donateurs du parti au pouvoir.

« Lorsque l’on nomme un juge, le bureau du premier ministre vérifie systématiquement dans la base de données du parti, si cette personne a déjà donné de l’argent ou participé à des activités… [Pour certains juges], il y a inévitablement des soupçons que certaines actions partisanes n’ont pas nui à leur nomination », critique monsieur Taillon.

Le constitutionnaliste remarque aussi que la politisation des juges est beaucoup théâtralisée aux États-Unis.

« On assiste au bras de fer idéologique et partisan pour nommer des juges qui ont les mêmes valeurs que le parti au pouvoir. Ultimement, au Canada, il n’y a aucune garantie d’être au-dessus des clivages idéologiques et partisans, car si le comité consultatif indépendant propose un nom qui ne plait pas au premier ministre, ce dernier nommera un autre candidat (en référence à l’affaire Glenn Joyal et Sheilah Martin) », remarque-t-il.

Monsieur Taillon note également un déficit de fédéralisme. La CSC doit être l’arbitre impartiale de litiges opposant les provinces au fédéral, alors que ce dernier désigne seul les juges.

« C’est comme si une équipe de hockey, avant d’en affronter une autre, décidait des arbitres, déplore-t-il. Rien ne remet en doute leur professionnalisme, mais leur indépendance est questionnée.»

Le professeur souligne aussi un déficit de légitimité démocratique ou encore de parlementarisme. Dans la majorité des pays démocratiques, les chambres du parlement sont mises à contribution dans la sélection des juges. Aux États-Unis, par exemple, Trump nomme un candidat, mais le Sénat possède le contre-pouvoir, avec une majorité renforcée, d’entériner ou non cette nomination. De plus, le déficit de parlementarisme tend à être compensé par la mise à contribution du Sénat qui représente également tous les États membres de la fédération.

Un manque de diversité

Enfin, le constitutionnaliste relate un déficit d’inclusion et de représentation. Les minorités ethniques et sexuelles sont sous-représentées au sein de nos institutions, alors que selon lui, elles devraient refléter la diversité qui caractérise la société canadienne. « C’est vrai qu’au Canada il n’y a pas de juge autochtone!  », constate-t-il.

Par le fait même, il estime que la CSC est une actrice qui « fait partie de la solution » grâce à ses nombreux jugements qui vont dans le prolongement de la lutte contre la discrimination. Mais, paradoxalement, l’institution elle-même est, selon lui, condamnée à incarner le racisme systémique pendant encore bien des décennies.

Nos clivages s’expriment peut-être de manière plus feutrée qu’aux États-Unis, mais ils n’en sont pas moins inexistants.