En Hongrie, les médias d’opposition disparaissent les uns après les autres. Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban exerce une pression sans précédant sur les médias critiques du gouvernement. Son objectif : les étrangler financièrement et les décourager. Une recette infaillible qui semble payer.

 

« Le journaliste doit faire vivre l’esprit critique, loin du nivellement et de la standardisation de la pensée », affirmait le regretté Umberto Eco. En Hongrie, journalisme et critique ne font pas bon ménage. Le gouvernement de l’ultra conservateur Viktor Orban ne jette pas les journalistes en prison et n’interdit pas non plus les médias d’opposition. Mais le chef du Fidesz s’empresse de compresser financièrement les titres de presse qui se montrent trop critique à son égard. « Viktor Orban accuse les journalistes de colporter des mensonges, de le caricaturer et de dénaturer ses propos. Résultat, les journalistes ont peur pour l’avenir des médias », explique Joël Le Pavous, journaliste français indépendant à Budapest.

Asphyxier les médias critiques avant de les racheter

Débarrassé d’une opposition politique à genou et profondément divisée, Viktor Orban s’attaque aux médias susceptibles de le gêner et de mobiliser le public. Son procédé demeure simple et chirurgical. Après les avoir étouffés financièrement, le Premier ministre fait racheter les médias critiques par ses proches, des oligarques complaisants. Ceux-ci en bouleversent la ligne éditoriale afin de « prêcher la bonne parole, diffuser le message de propagande du gouvernement et accroître davantage le pouvoir d’influence de Viktor Orban », estime Joël Le Pavous. Pour les étrangler, le gouvernement met en place des « super taxes » sur les revenus publicitaires, exclut des médias de l’attribution des contrats publicitaires d’État et demande des sommes mirobolantes aux radios et télévisions pour attribuer ou renouveler leur fréquence. Le gouvernement exige ainsi 500 millions de forints (plus de 2,308 dollars canadiens) à radio Class, média coupable d’appartenir à un rival d’Orban, qui risque d’avoir bien du mal à récolter cette somme. Pour Joël Le Pavous, Viktor Orban « fait le tri entre les médias en instaurant une inégalité de traitement financier détestable. »

Le quotidien Nepszabadsag (« Liberté du peuple »), premier quotidien d’opposition du pays, en est la dernière victime. Le 8 octobre dernier, des coursiers à moto faisaient savoir aux journalistes que son propriétaire, le groupe Mediaworks, leur interdisait l’accès à leurs bureaux et à leurs messageries professionnelles. Le journal était suspendu pour des raisons économiques. Il vient d’être racheté par Lörinc Mészáros, un homme d’affaire proche du Premier ministre. « L’argument économique invoqué n’est qu’un leurre. Le timing de cette décision [prise moins d’une semaine après le référendum invalidé sur les quotas de réfugiés, ndlr] conforte mes soupçons de vengeance politique », accuse András Dési, ancien rédacteur en chef adjoint du journal.

« Népszabadság est une institution médiatique, une plateforme intellectuelle et un trésor culturel. S’attaquer à un journal parce qu’il se permet de publier des papiers dérangeants, c’est remettre en cause le pluralisme et les fondements de la démocratie libérale. » Dans un tweet, le président du Parlement européen Martin Schulz a apporté son soutien à Népszabadság en hongrois :

 

Exercer des pressions politiques

Viktor Orban ne peut néanmoins pas se permettre de neutraliser l’ensemble de la sphère médiatique. Il laisse à quelques médias d’opposition l’opportunité de travailler. « C’est une façon pour lui de se légitimer auprès des instances internationales. Il repousse les arguments des dirigeants qui l’accusent d’être un dictateur en clamant haut et fort que l’on peut encore critiquer dans son pays. Sur le plan national, il se justifie en assurant que les médias qui disparaissent ne sont plus lus », commente Joël Le Pavous.

Mais le pouvoir exerce des pressions politiques sur les médias critiques qui survivent. Le portail 444.hu en a fait les frais le 6 octobre dernier. Après avoir réalisé une vidéo humoristique du Parlement hongrois, qualifié de « no go zone » plus dangereuse que les camps de réfugiés, il a été privé d’accès d’Assemblée nationale pour une période indéterminée.

Depuis 2011, les médias se prennent les pieds dans un nouveau tapis. Une réforme distingue les informations stricto sensu des opinions des journalistes. Les cinq membres de la haute autorité des médias (MT), tous issus du Fidesz, veillent au respect de cette obligation légale pour les informations diffusées par des chaînes de télévision et de radio. En 2014, la Cour suprême a condamné la chaîne de télévision ATV pour avoir qualifié Jobbik de parti  » d’extrême droite « . La MT avait estimé que cette expression relevait de l’opinion du journaliste.

Dans un rapport rendu public le 4 novembre, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) estime que « les tentatives pour réduire le pluralisme et l’indépendance des médias publics et privés menacent la liberté d’expression, l’information et la liberté des médias en Hongrie ». Budapest a perdu 48 places en cinq ans au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, pour se retrouver au 67E rang derrière la Serbie, la Mongolie, le Salvador ou le Niger.

« Il n’y a presque plus aucun média critique du gouvernement », s’inquiète le portail 444.hu.

Joël Le Pavous se montre plus optimiste. « C’est vrai que numériquement, les médias critiques se font rares. Mais Viktor Orban va devoir se calmer. Les élections législatives approchent. Il teste : c’est un peu comme un gamin qui essaie de mettre le doigt sur le gaz sans se brûler. Je ne m’inquiète pas pour le journalisme en tant que tel, mais plus pour la capacité des journalistes à toucher l’opinion. »