Aujourd’hui il est possible de réduire au silence une personnalité publique à partir d’un seul partage. Boycotts de masse, lynchages médiatiques, appel à la censure, autant de termes sont associés à ce que l’on appelle la « cancel culture. » Populaire sur les médias sociaux, cette pratique ne cesse de faire parler d’elle, et est sujette à de nombreuses controverses.
Il suffit d’un acte ou d’une parole jugée « problématique » pour qu’un artiste reçoive un déferlement de critiques de la part d’internautes en colère. Les représailles sont les mêmes pour tous ; obligation de présenter des excuses sur la scène médiatique, et dans la plupart des cas, un appel au boycott des œuvres.
Le dernier cas en date n’est autre que la chanteuse et femme d’affaires barbadienne, Rihanna. Mise à pied par la planète Twitter après avoir utilisé le remix d’un hadith (texte religieux musulman) dans le défilé de sa marque de lingerie, l’artiste a depuis peu, présenté ses excuses dans sa story instagram.
Cette culture de la dénonciation crée chez beaucoup un sentiment de militantisme mais elle suscite également des débats quant à la liberté d’expression des individus.
De l’auto-justice à la censure
La cancel culture a permis d’apporter une visibilité à des communautés dont la parole n’avait pas beaucoup de poids dans les débats publics. Il n’est plus possible de s’attaquer verbalement à un groupe sans en assumer les conséquences. Cette pratique aux retombées positives, peut rapidement virer à des excès.
Ce « tribunal virtuel » empêche la partie adverse de s’exprimer face à une situation. Toute parole ou action, qu’elle soit déplacée ou non, est passée au crible. Pour Frédéric Foschiani, spécialiste des réseaux sociaux et de la gestion de la réputation numérique, cela peut être assimilé à une forme de censure.
« Dans bon nombre de pays, en démocratie, il y a un droit à la liberté d’expression, il y a un droit à la présomption d’innocence. Toute la difficulté de la cancel culture c’est qu’elle va dénier la liberté d’expression et a fortiori la présomption d’innocence. », intervient-il.
Foschiani précise qu’il ne faut pas tout mélanger.
« Il faut faire attention entre des situations qui peuvent être pénalement et juridiquement poursuivies de ce qui tient plus à la morale », ajoute-t-il.
Quand Twitter rend son verdict
Ce qui ne passera pas devant les tribunaux sera traduit en justice sur Twitter. Le média social qui compte aujourd’hui plus de 300 millions d’actifs par mois, est devenu la maison mère de la dénonciation publique. Là où le partage d’idées et d’opinions défilent à une vitesse remarquable, les excuses provenant de personnalités publiques ne finissent plus d’occuper les fils d’actualité.
En raison de la diversité des sujets qui circulent sur les réseaux sociaux, il est devenu compliqué de définir ce mouvement et de comprendre réellement son but. Le risque est que des causes avec un intérêt public plus important se perdent dans des combats plus « minoritaires », voire même personnels.
« Il y a cette confusion aujourd’hui. N’importe qui peut prendre la parole, essayer de fédérer par rapport à un sujet. Tout simplement parce que moralement ça ne convient pas à son mode de pensée », insiste le spécialiste des réseaux.
Dans cette quête assoiffée de justice, il est à se demander quels sont les combats qui sont considérés comme légitimes.
« On peut toujours critiquer la justice mais elle fait son travail. Il y a effectivement des situations très graves qui ont pu être révélées et de façon massive. On pense au mouvement #MeToo par exemple, #BalanceTonPorc en France », affirme Foschiani.
Il explique également que dans ce genre d’affaires, les propos accompagnés de preuves sont essentiels.
Une chasse aux sorcières des temps modernes ?
Certains articles et historiens emploient le terme de « chasse aux sorcières » pour qualifier la cancel culture.
« Il y a eu d’autres époques dans notre civilisation où on a connu les mêmes procédés. Mais l’ampleur était différente. Aujourd’hui l’ampleur n’est plus juste locale ou régionale, avec les réseaux sociaux l’ampleur va être nationale, voire internationale », constate Foschiani.
Le cas de Justine Sacco est un exemple typique. En 2013, cette citoyenne américaine a connu une descente aux enfers après la publication d’un tweet douteux alors qu’elle embarquait pour l’Afrique du Sud. Il aura suffi d’un partage d’un journaliste de Gawker pour que cette jeune femme s’attire les critiques virulentes d’internautes d’abord locaux, puis internationaux. Ce qu’elle qualifiera de « mauvaise blague », ne la protègera pas d’un licenciement.
Aujourd’hui ce sont les artistes et influenceurs profitant d’une visibilité incontestable qui sont devenus des proies faciles. Plus la popularité est grande, plus le risque d’être « cancelled » est élevé.
Les dangers de la cancel culture sont donc pluriels et peuvent mener à des conséquences réelles. Bien qu’elle mime les processus de justice, elle ne peut s’y substituer. Selon Frédéric Foschiani, le seul moyen de contrer ses dérives est de saisir plus souvent les institutions en cas de diffamation ou de cyberharcèlement.