La mise en place d’un troisième mandat de la part du président ivoirien Alassane Ouattara, a provoqué un vrai séisme au sein des populations ivoiriennes et des partis de l’opposition, qui jusqu’à ce jour, contestent cette victoire. Cette élection jugée controversée a fait couler beaucoup d’encre dans la presse internationale. Ce que l’on retient surtout, ce sont les appels au boycott des urnes, les manifestations dans les rues et les nombreuses  arrestations des opposants politiques. Bamba Massany, vice-présidente au sein du FPI et Boubakar Kone, vice-président chargé des manifestations et porte-parole du parti, nous éclairent sur leurs positions et leurs actions.

 

Le Front populaire Ivoirien, parti de gauche qui a été au pouvoir sous la présidence de Laurent Gbagbo entre 2000 et 2010, fait partie des groupes d’opposition qui refusent de reconnaître le troisième mandat du président Ouattara. Pour cause, ils jugent cette réélection illégitime et anticonstitutionnelle. Depuis l’annonce du candidat à la course électorale, les manifestations sur les voies publiques, sit-in et marches, sont mises en œuvre afin de faire entendre que le président Ouattara est « illégal. ». Bamba Massany décrit l’atmosphère politique comme étant pesante et terrorisante. 

 

« Un État qui dirige en fonction des textes de loi qu’il a établis, que tu sois du pouvoir ou de l’opposition, tu dois t’y accommoder », soutient la vice-présidente du parti. 

 

Le conseil des ministres avait suspendu les manifestations sur la voie publique en août dernier, dans le but de freiner les violences existantes. Le gouvernement ivoirien a établi un bilan de 85 morts depuis le début des mobilisations. Cette suspension, qui devait prendre fin le 15 septembre dernier, est finalement prolongée jusqu’au 30 novembre prochain. Selon Massany et Kone, les violences survenues lors des manifestations ont été orchestrées par le gouvernement Ouattara, qui aurait instrumentalisé des milices clandestines comme « les microbes » et « les encagoulés » afin de déstabiliser les actions de l’opposition. De son côté, le pouvoir en place soutient que ces milices sont dirigées par l’opposition.

 

« À l’époque, sous Houphouët-Boigny, sous Bédié, l’opposition sortait parce qu’on savait que c’était l’armée Républicaine qui encadrait. Mais aujourd’hui nous avons des personnes insensées qui ont des couteaux, des machettes, et qui s’attaquent aux manifestants » ajoute Bamba Massany.

 

La désobéissance civile, tactique de déstabilisation 

 

Le mot d’ordre de l’opposition durant cette course électorale a été l’appel au boycott des urnes. Le président du PDCI et chef de l’opposition, Henri Konan Bédié est le précurseur de ce mouvement qualifié de pacifiste par les opposants. Cette démarche qui n’a pas empêché la réélection d’Alassane Ouattara, avait un but bien précis.  

« La désobéissance civile a été très positive », s’exprime Boubakar Kone.

 Le vice-président et porte-parole du parti explique que c’est une façon de montrer au monde entier que le président actuel exerce un mandat illégal, mais qu’il aura également de la difficulté à gouverner tant que la situation ne sera pas apaisée. « Il est déstabilisé en renouvelant forcément un mandat fictif », ajoute le membre du FPI. Il soutient également que les candidats de l’opposition ne pouvaient se présenter à une élection où un candidat n’était à l’origine pas légitime.

« Quand vous voyez de telles conditions, mobiliser des gens alors qu’on sait que les votes ne seront pas pris en compte ne sert à rien », confie-t-il. 

 

Un conflit politico-ethnique ?

 

Les médias internationaux et nationaux tels que Le Figaro et Le Journal de Montréal, parlent de crises politico-ethniques. Le pays qui compte une soixantaine d’ethnies et plusieurs millions d’immigrés, a été le théâtre de conflits intercommunautaires en lien avec les élections présidentielles. D’après les deux membres du FPI, ces affirmations d’un conflit au préalable intercommunautaire, ne sont pas fondées.

Bamba Massany quant à elle, revient sur les propos tenus par Alassane dans le journal Le Monde au mois d’août où celui-ci affirmait que s’il ne reprenait pas le pouvoir, Laurent Gbagbo et Henri Bédié allaient massacrer la communauté du Nord qui est à majorité musulmane. « Quand vous tenez des propos identitaires, vous divisez des communautés qui ont toujours vécu en harmonie depuis 1960 », renchérit-elle. Ces propos qu’elle juge comme une menace à la cohésion sociale, laisserait entendre que Ouattara favoriserait une  communauté au détriment des autres, chose que le FPI rejette totalement en parlant de « développement d’une nation. »

Bamba Manassy soutient que le président Ouattara a rejeté toute proposition de dialogues avec les membres de l’opposition. 

« J’ai été moi-même désignée par le président Laurent Gbagbo depuis le mois d’août pour sensibiliser les acteurs politiques, les religieux, les jeunes pour des élections apaisées sans violences. Il s’est dit qu’en 2020, il faudrait qu’on anticipe. J’ai demandé à rencontrer le président Ouattara, je n’ai pas été reçue », confie-t-elle.

Alors que le mot « paix » est sur toutes les lèvres, pour Boubakar Kone, elle pourra s’effectuer si le président actuel renonce à son mandat, et si les Ivoiriens repensent les conditions dans lesquelles le pays va poursuivre sa voie sur le plan politique.