Depuis 2015, l’université Laval est engagée dans le projet SOHA (Science Ouverte Haïti Afrique). Haïti et 17 autres pays font partie de cette aventure qui vise à démocratiser les sciences dans les universités du Sud. Le défi est colossal, d’autant plus que le contexte est difficile : instabilité politique, crise profonde dans l’université publique et catastrophes naturelles. L’enseignement supérieur n’est pas une priorité pour l’État, et c’est le développement durable du pays qui en pâtira.

 

Le projet SOHA a pour but de promouvoir la science ouverte dans 18 pays francophones du Sud, dont Haïti. La science ouverte est une autre manière de partager la connaissance. L’objectif est d’abattre les barrières qui se dressent devant les universitaires des pays du Sud pour donner accès à tous au patrimoine scientifique mondial. De fait, les pays du Nord produisent et détiennent la majorité des connaissances scientifiques. À cela s’ajoutent le manque de compétences et de connaissances numériques, ou encore un système universitaire trop hiérarchisé. La science ouverte veut aussi intégrer les savoirs non scientifiques comme les traditions. Pour ses instigateurs, le projet SOHA doit permettre aux étudiants participants de devenir des acteurs du développement de leur pays, et cela de manière durable car ils pourront transmettre ce qu’ils ont appris.

Florence Piron est professeure au département d’information et de communication de l’université Laval à Québec, elle est aussi à l’origine du projet SOHA. « J’ai un lien particulier avec Haïti parce que tout avait commencé là-bas. Je suis allée enseigner à Haïti en mai 2010, cinq mois après le séisme. Ça a été une expérience inouïe car Port-au-Prince était encore très encombrée de débris. C’était très impressionnant ! »  La professeure voit naître rapidement un lien particulier avec les étudiants qu’elle rencontre à l’université d’État d’Haïti où elle intervient. « J’enseignais un cours sur le patrimoine démocratique. Et j’ai voulu fonctionner comme ici à Laval en mettant tous les textes en ligne pour qu’ils les téléchargent chez eux. Mais je me suis alors rendu compte du dénuement absolu des étudiants. Par exemple, avoir une simple connexion internet, c’était exceptionnel, même à l’université ! » De ce constat, Florence Piron tire une solide volonté d’agir. Son combat pour la science ouverte commence donc ici. « Il fallait absolument aller leur dire et leur montrer que même si les bibliothèques sont vides, les étudiants haïtiens pouvaient se servir d’internet pour apprendre ! ».

 

« L’université haïtienne a failli à sa mission »

 

L’université d’État est embarquée dans une crise majeure qui paralyse complètement son fonctionnement. Elle est pourtant la principale université du pays avec ses 20 000 étudiants. Pour Anderson Pierre, étudiant en communication, « l’université haïtienne comme espace de débats, d’échange d’idées et de production de connaissances ne remplit pas vraiment son rôle. Elle a failli à sa mission. Elle est à l’image du pays, elle ne progresse pas. Ce qui a de graves conséquences sur la formation de ses étudiants. » Inspiré de la France, le système universitaire haïtien ne fait pas dans la simplicité. Pour ceux qui ne sont pas privilégiés, arriver au niveau universitaire est une preuve de très grande persévérance. Les études ne sont pour beaucoup tout simplement même pas envisageables.

 

Anderson Pierre comme beaucoup d’autres rêvent d’aller poursuivre sa formation dans un pays du Nord. Canada, France, États-Unis, Allemagne : autant de destinations difficiles d’accès, parce qu’il faut d’abord obtenir un visa, payer des frais d’inscription énormes, puis après quelques années revenir en Haïti et ne pas y trouver un travail qui corresponde au diplôme et aux attentes. Mais si cela est difficile, ce n’est pas impossible. Wisnique Panier est doctorant à l’université Laval depuis 2014. Depuis le Québec, il étudie l’impact de la radio sur la participation de la diaspora haïtienne aux débats publics de leur pays d’origine. « Je pense qu’Haïti a beaucoup plus besoin de mes compétences que les pays occidentaux, explique-t-il. Tous mes projets d’avenir sont tournés vers Haïti. » Pour lui, l’exode des jeunes haïtiens est « logique et compréhensible », car l’université haïtienne n’offre pas suffisamment d’opportunités. Tout comme Anderson Pierre, il constate des failles qui vont au-delà de l’université : « je pense que cet exode ne fait que commencer en raison du fait que l’enseignement supérieur est encore loin d’être la priorité de nos dirigeants ».

 

Des avancées concrètes

 

En Haïti, des jeunes prennent les choses en main. L’association REJEBESCC-Haiti, pour Réseaux des Jeunes Bénévoles des Classiques en Sciences Sociales en est un bon exemple. Les étudiants ont monté ce projet, avec l’aide de Florence Piron et de Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie à Chicoutimi. Ce dernier passe son temps à numériser les textes scientifiques tombés dans le domaine public. Ils ont également demandé à des chercheurs de publier leurs travaux en ligne et en libre accès. Beaucoup ont accepté. Pour Anderson Pierre, l’une des autres belles avancées de l’association est que « les étudiants qui avaient l’habitude de mépriser nos savoirs locaux commencent à s’y intéresser ». C’est aussi une des fiertés de Florence Piron, car le développement du pays passera aussi et surtout par cette génération active et volontaire.

 

Enfin, le projet SOHA a aussi permis de mettre en lumière un lien que l’histoire avait peut-être oublié : celui qui lie Haïti au continent africain. Haïti est « l’enfant perdu de l’Afrique » selon Florence Piron. Le pays était beaucoup trop tourné vers l’Amérique jusqu’à en oublier d’où vient une grande partie de sa population. Grâce à Internet de nouvelles amitiés se créent, à travers l’océan atlantique. « Un jeune étudiant tchadien m’a conseillé de créer un groupe Facebook. À l’époque je ne savais même pas ce que c’était, raconte Florence Piron. Aujourd’hui, nous sommes rendus à 3500 membres. Juste pour parler de science ouverte ! C’est devenu le cœur ouvert du projet. »

 

 

L’association Science et bien commun partenaire du projet SOHA organise une collecte de fonds en solidarité avec les régions haïtiennes affectées par l’ouragan Matthew en octobre 2016. Pour plus d’information : http://www.scienceetbiencommun.org/?q=node/121