Les opposants à l’accord de paix en Colombie dénoncent des peines jugées trop laxistes pour les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Ils rejettent ce qu’ils qualifient comme étant une «impunité» pour des guérilleros ayant commis des crimes graves. Toutefois, ce n’est pas l’impunité qui est prévue, mais plutôt une justice transitionnelle, affirme à L’Exemplaire Philippe Dufort, professeur adjoint à l’école d’études de conflits de l’Université Saint-Paul.

«L’impunité totale pour les principaux responsables de crimes atroces» est un «mauvais exemple» source de «nouvelles violences», soutient l’ex-président colombien Álvaro Uribe, d’après l’AFP. Opposé à l’accord entre le gouvernement et les FARC, qui a d’ailleurs été rejeté par référendum, il réclame 5 à 8 ans de prison ferme pour tous les guérilleros coupables de crimes graves, incluant ceux qui avoueraient leurs crimes.

Tribunal spécial

En plus de la fin du conflit armé, l’accord de paix prévoyait une réforme agraire, la fin du commerce de la drogue, la démobilisation et la participation politique des FARC, ainsi que l’indemnisation des victimes. Des mesures concernant le suivi de la mise en œuvre de l’accord étaient aussi prévues dans le volumineux document de 297 pages. En ce qui concerne la justice pour les victimes et la responsabilisation des participants au conflit, la mise en place d’un «système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition» était prévue.

Ce système incluait, entre autres, une commission de la vérité et un tribunal spécial pour la paix. Les guérilleros, les militaires, les paramilitaires et les civils ayant eu des liens criminels avec les groupes armés seraient amenés à faire face à la justice. Pour certains, l’amnistie pourrait être accordée. Pour ceux ayant commis des crimes plus graves, des peines de 5 à 8 ans, pouvant se traduire par une restriction ou une privation de liberté, étaient prévues. Quant aux personnes refusant d’admettre leur responsabilité et qui seraient jugées coupables, elles feraient face à des peines de prison de 15 à 20 ans.

En effet, lorsqu’on parle d’un conflit ayant fait plus de 250 000 morts et plus de 6 millions de déplacés, ces statistiques ne reflètent pas uniquement les actions des FARC, souligne Catherine LeGrand, professeure associée d’histoire à l’Université McGill. Les forces de l’ordre étatiques et les groupes paramilitaires d’extrême droite portent aussi une grande part de responsabilité, dit-elle à L’Exemplaire.

Justice transitionnelle

Dans le cadre de l’accord de paix, «on ne peut pas parler d’impunité, ça serait une exagération», indique Philippe Dufort, professeur adjoint à l’école d’études de conflits de l’Université Saint-Paul. «Quand on parle d’un accord de cession de conflit armé, on parle de justice transitionnelle. La justice transitionnelle, son propre c’est toujours de faire un compromis au niveau des peines qu’on va donner aux gens qui étaient impliqués dans le conflit afin de les inciter à s’accoler au but de la paix, à se démobiliser, à rendre les armes.»

La justice transitionnelle, d’après l’Organisation des Nations Unies, comprend «l’ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires visant à donner effet au principe de responsabilité, à servir la justice, à offrir des voies de recours aux victimes, à favoriser l’apaisement et la réconciliation, à instituer une tutelle indépendante de l’appareil de sécurité, à rétablir la confiance dans les institutions de l’État et à promouvoir l’état de droit».

Pour M. Dufort, tenter d’imposer des peines plus fortes au FARC pourrait être un «deal breaker». Ils ont «une volonté très ferme d’entrer dans le jeu démocratique à l’ avenir et de laisser les armes. Tout l’art de la chose sera de trouver un compromis qui est acceptable», enchaîne le professeur. Selon Leila Celis, professeure de sociologie à l’UQÀM, ce n’est pas possible de mettre tout le monde en prison. Et, «c’est normal, c’est à ça que servent les lois d’amnistie». L’amnistie ne signifie pas de prétendre qu’il n’y a pas eu de crimes de commis. «Il y a un processus d’établissement de la vérité, il y a un processus de justice et de réparation» de prévus dans l’accord de paix, rappelle-t-elle à L’Exemplaire.

Une opportunité manquée, selon Amnistie Internationale Canada

Par ailleurs, pour Amnistie Internationale Canada, le rejet de l’accord de paix par le biais du référendum représente une «opportunité manquée» pour le pays qui a connu plus de 50 ans de conflits. Même si l’accord de paix était imparfait, il représentait tout de même un moyen concret de progresser vers la paix et la justice, explique Kathy Price qui œuvre au sein de l’organisation en tant que militante pour les droits de l’Homme en Colombie.

La campagne du «Non» a voulu faire peur aux électeurs en soutenant qu’il y aurait une impunité pour les auteurs de crimes. Ce qui n’est pas exact et même «hypocrite» de la part de l’ancien président Álvaro Uribe, déplore Mme Price. Sans être parfait, l’accord contenait des mesures de justice transitionnelle, souligne la militante, en entrevue avec L’Exemplaire. Selon Amnistie Internationale Canada, une paix durable doit être bâtie sur les droits des victimes à la vérité et à la justice, ainsi qu’à la non-répétition des violations de leurs droits humains.

Désormais, l’incertitude créée par la victoire du «Non» pourrait placer des millions de Colombiens, notamment les civils appartenant à des groupes vulnérables, à risque de subir des violations des droits de l’Homme, s’inquiète Mme Price. La militante souhaite voir un véritable engagement quant à la protection des droits fondamentaux de tous les citoyens colombiens et qu’ils puissent vivre sans crainte. Les récentes manifestations d’étudiants et d’autres citoyens en faveur de la paix lui donnent espoir.