Le tremblement de terre qui a frappé Haïti en janvier 2010 a donné lieu à une couverture médiatique internationale intense qui dépeint un tableau bien sombre du pays. Plus récemment, l’assassinat du président Moïse Jovenel en juillet 2021 a entraîné un chaos politique sans précédent. Les gangs armés font régner la terreur dans la capitale, Port-au-Prince.
Malgré l’ampleur de la crise, des médias locaux continuent de travailler pour montrer « les beautés et les enjeux d’Haïti ». Tel est le slogan de Dèyè mon enfo, un média qui propose une infolettre hebdomadaire. Le projet a vu le jour il y a deux ans grâce à un collectif composé de huit photoreporters Haïtiens. Un collectif mis en place, au fil des années, par le rédacteur en chef Étienne-Côté Paluck, un québécois tombé amoureux de la perle des Antilles il y a 20 ans.
Le journaliste Étienne Côté-Paluck est à l’origine de l’infolettre hebdomadaire en français de Dèyè mòn enfo, qui porte sur l’actualité haïtienne (PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE).
« C’est une manière d’humaniser les enjeux haïtiens, on n’a pas le temps de le faire dans les grands médias, ce qui fait qu’on a une perception biaisée d’Haïti, centrée sur les malheurs. C’est magnifique la solidarité dont les Haïtiens font preuve. »
Dèyè mon enfo tente de s’adresser à une audience large. D’abord, aux haïtiens avec les réseaux X (anciennement Twitter) et Facebook alimentés quotidiennement. Ensuite, aux Québécois avec haitimagazine.ca, qui compte déjà 300 abonnements payants, et enfin la version en anglais disponible sur haitiweekly.com.
C’est cette contribution volontaire qui permet de donner un salaire décent à Jean-Elie Fortinet, la deuxième tête du média à Port-au-Prince. Le reste de l’équipe composé de 8 reporters travaillent à temps partiel. Tous ont été formés aux rudiments de la photo par le journaliste québécois. Essentiellement basés sur la capitale, ces collaborateurs couvrent les différents quartiers de la capitale, là où ils vivent et travaillent.
« Généralement, ce sont des gens qui ont d’autres fonctions, car ils ne peuvent pas se permettre de vivre de cela. On a dépassé les 15 000 dollars de revenus annuels, ce n’est pas assez pour gérer nos dépenses, mais c’est un encouragement pour faire du journalisme indépendant à Haïti. Mon rêve serait d’avoir un revenu stable pour tous mes proches collaborateurs. »
Une équipe de reporters au cœur de la population
Dans l’infolettre de la première semaine d’octobre, on parle d’une mobilisation pour le droit à l’avortement, la construction d’un canal qui fait polémique à la frontière avec la République Dominicaine, d’une pièce de théâtre dénonçant l’usage du plastique. Aussi, de la reprise des activités dans un quartier jusque-là envahi par les gangs. Déyè mon enfo tente « d’avoir une approche culturelle, d’essayer de sortir de la spirale de la couverture négative, parler de la culture riche qui existe sur place. »
Les reporters ne se privent pas pour autant de couvrir les sujets les plus graves. Ils tentent de donner une voix aux quartiers du bas de la ville, les plus délaissés. Les gangs ont envahi le quartier de Carrefour-Feuilles, où le journaliste Jean-Elie Fortinet habite. C’est des dizaines de milliers de personnes qui sont partis, valises et meubles à la main. « Il n’y avait plus vraiment d’activité culturelle, tout le monde avait peur, donc on est obligé de parler de ça, sinon on ne publie rien. »
Retourné à Montréal depuis quelques mois, M.Paluck tente de gérer les aspects techniques à distance. « Il faut racheter des téléphones quand ils brisent, gérer les abonnements, je m’occupe aussi de rédiger l’infolettre pour les Canadiens, ce sont eux qui ont de l’argent et qui permettent de faire vivre notre média. »
A côté de son poste de rédacteur en chef et de correspondant pour La Presse, le journaliste a l’habitude de jouer le rôle de fixeur pour les équipes de télévisions telles que Radio-Canada, CBC, PBS. « Il y a souvent une incompréhension de la culture haïtienne, venir quelques jours ici et tourner un reportage sans tomber dans certains pièges d’une couverture trop simpliste, c’est un gros défi. »
Un travail d’accompagnement qu’il sera amené à exercer de nouveau. Le 2 octobre dernier, l’ONU a autorisé l’envoi de soldats kényans pour lutter contre la violence des gangs armés et rétablir le calme. Une décision plutôt bien accueillie par la population.
« Il n’y avait rien qui se faisait à Port-au-Prince, depuis juin 2021, un des trois arrondissements de la capitale est totalement contrôlé par les gangs et maintenant, c’est le quartier de Carrefour-Feuilles qui a été vidé de ses habitants. C’est des histoires qui ne s’arrêtent jamais, on ne voit pas vraiment de sortie à cette crise. »
Pour autant, les missions de l’ONU rappellent de mauvais souvenirs à la population. En 2010, les casques bleus avaient ramené sur l’île le choléra depuis le Népal, faisant au moins 10 000 morts et 800 000 malades. Le correspondant pour La Presse, prévoit de revenir à Haïti d’ici novembre pour être là avant l’arrivée des militaires. Une mission qui sera suivie de très près par les médias du monde entier.