La région de Hong Kong est secouée depuis plusieurs mois par des manifestations contre l’amendement de la loi d’extradition, qui permettrait à la Chine continentale d’intervenir dans le système juridique hongkongais, encore indépendant. Le journaliste québécois Marc Thibodeau était sur place et a accepté de répondre à nos questions sur les événements et sur le traitement international jusqu’au cœur du mouvement.

En ce moment se joue une période historique pour la région administrative de la République populaire de Chine après l’introduction, en février 2019, d’un projet de loi autorisant l’extradition, après un assassinat commis par un ressortissant honkongais. Carrie Lam, cheffe de l’exécutif, met un coup de pied dans la fourmilière et provoque la colère de toute une population. Mais qu’est ce qui donne toute son importance à cette manifestation à l’échelle internationale ?

«Il y a beaucoup d’intérêt pour tout ce qui touche à la Chine, un pays scruté à la loupe actuellement, qui provoque une part d’inquiétude notamment dans le monde occidental, comme l’administration américaine qui met l’emphase sur la nature même du régime chinois. Hong Kong a été longtemps contrôlée par la Grande Bretagne, finalement cédée à la Chine avec un engagement vaguement formulé de maintenir le droit des libertés pour au moins une période de 50 ans», explique Mr Thibodeau.

Actuellement, c’est un bras de fer entre «une partie de la population qui s’inquiète que la Chine ne respecte pas son engagement et de l’autre côté le gouvernement qui est sous l’influence de Pékin, engagé à respecter son droit des libertés mais ne réussit pas à calmer la méfiance d’une partie de la population qui a décidé de descendre dans la rue». Sur place, entre le gouvernement qui a la main mise sur les réseaux sociaux et une partie de la presse qui relaie de la propagande pour éviter « trop de couverture ou de messages positifs concernant les manifestations », difficile de creuser de l’intérieur.

 

Marc Thibodeau était sur place au mois de septembre dernier, et a pu assister à diverses manifestations. Il a également constaté l’opposition qui s’opère entre les forces de l’ordre locales et la population, qui popularise le mouvement mondialement:

«Je pense que ces images fortes de jeunes qui sont en confrontation avec le gouvernement face à une police de plus en plus lourdement armée dans des affrontements musclés, retiennent beaucoup l’attention à l’échelle internationale.»

 

Les témoins du trop-plein

A l’orée d’une révolution citoyenne contre un gouvernement liberticide, Marc Thibodeau était un des journalistes participants à quelques événements exprimant un ras-le-bol général. Concernant l’accueil des médias sur place, il parle d’une gestion correcte de la part des autorités locales : « je n’ai pas eu de soucis de la part des forces policières qui m’ont laissé couvrir la manifestation. Cela dit il y a beaucoup de tensions là bas entre les journalistes locaux et la police : il y a eu plusieurs dénonciations, d’interventions violentes ou d’actes d’intimidation, par exemple avec le journaliste indonésien qui a été touché à l’œil par une balle en caoutchouc ».

 

«Ils ont un sens de l’image assez développé ce qui fait en sorte que ça circule beaucoup. Du point de vue des manifestants, il y a une réjouissance concernant l’attention internationale ; beaucoup d’entre eux ont l’impression que l’Occident n’agira pas nécessairement si les choses continuent à s’envenimer. Les reporters ne sont pas vus comme des sauveurs mais pas non plus comme des éléments problématiques. Les journalistes locaux sont constamment dans les manifestations aux premières lignes, donc beaucoup plus exposés aux dérapages potentiels.»

 

Il note également qu’il n’y avait pas de « filtrage formel », en témoigne la présence de nombreux vlogueurs, qui étaient là « pour enregistrer un peu de tout, ce qui alimente les tensions et l’indignation populaire. Chaque fois qu’il y a une intervention un peu musclée, elle est généralement filmée et relayée sur les réseaux sociaux, les jeunes étant très branchés sur internet. » À savoir que la plupart des communications et organisations des citoyens s’articulent via le forum LIHKG; les actions du mouvement populaire sont également relayées dans un sujet Reddit et l’application de messagerie sécurisée Telegram.

Un traitement très représentatif de la diffusion de l’information internationale à l’ère du Web, temple de la surinformation et des fake news. En se rendant sur place, Mr Thibodeau avait une idée très précise de ce qu’il était venu chercher: «Il y a un effort pour couvrir la manifestation et les tenants et aboutissants. En allant à Hong Kong, mon objectif était de comprendre la dynamique sous-jacente, la motivation des gens qui sont dans la rue, essayer d’avoir une idée de ce qu’est la perspective sur place. Il y a une couverture qui permet aux gens de se renseigner un minimum, par rapport à d’autres conflits où les sources sont plus rares».

 

Pourtant, proche de la caricature de la presse moderne, un sentiment de recherche du scandale plane sur le traitement médiatique des événements en cours:

«Ce qui était marquant, c’est que la couverture internationale se focalise sur les confrontations dans la rue et les scènes de violence: il est facile à partir de ces images de construire l’impression que Hong Kong est à feu et à sang, qu’il y a des combats un peu partout et qu’il n’y a aucune vie normale en ce moment. Dans les faits, la réalité est plus complexe, il y a des gens qui réussissent à vivre sans être affectés, il n’y a pas forcément de manifestations en continu partout tout le temps. Sous cet angle, c’est assez intéressant de voir que l’emphase placée sur ces affrontements alimentait une image un peu déformée de la situation: ce n’est pas le chaos total comme l’impression est donnée par ces images.»

 

Joker ? 親自來香港宣傳活動嗎? 圖:_Fungcw from r/LIHKG

Une affiche publicitaire pour Joker, un film aux accents de chaos, proche d’une bouche de métro incendiée.

 

S’informer et chercher à comprendre

Il ne faut cependant pas oublier, dans un contexte où l’information internationale est en difficulté, de chercher à voir plus loin que ces images catastrophes et ce climat de chaos qui plombe les véritables intentions du mouvement d’opposition. Les reporters sur place ont tout intérêt à montrer cette réalité :

«C’est très important d’en parler, la Chine exerce une forte pression sur sa population qui cherche à protéger ses droits. Ce qui se passe à Hong Kong est une nouvelle illustration des mesures que le régime est prêt à prendre pour imposer ses diktats, et l’issue du combat est incertaine. Ne serait-ce que pour les gens voient ce qui se passe et si la Chine tiendra ses promesses faites au moment de la cession de la colonie par la Grande-Bretagne.»

La démarche journalistique, c’est aussi savoir regarder à partir de plusieurs endroits, et de cette première opposition découle celle du désaccord avec les manifestations mêmes. Qui sont-ils, et quelles sont leurs raisons?

 

 

Et pour la suite?

Début septembre, Carrie Lam annonçait le retrait du projet de loi déclencheur des protestations, mais il semblerait que la machine une fois lancée n’est pas encore prête à s’arrêter, les manifestants réclamant à présent des élections soumises à un suffrage universel, ainsi que des libérations et des enquêtes concernant les violences policières.

 

Des manifestants hongkongais réunis dans un centre commercial le 2 octobre en soutien à une étudiante victime d’un tir policier dans une protestation.

 

« Ce que ça exprime simplement, il y a beaucoup de peur dans la population de Hong Kong que la Chine gruge tranquillement les droits de liberté dont les gens disposaient notamment au niveau de la liberté d’expression et d’association. Quand le gouvernement a voulu faire passer une loi d’extradition qui pouvait signifier que les gens allaient se faire extrader vers la Chine où le système judiciaire est complètement contrôlé par le gouvernement, ça a été la goutte qui a fait déborder le vase, les gens se sont retrouvés dans la rue, et je ne pense pas que le gouvernement local s’attendait à une telle levée de boucliers ; maintenant ils essaient de le gérer tant bien que mal.

On a donc d’un côté des manifestants inquiets qui veulent des preuves et des assurances, et de l’autre un gouvernement qui ne veut pas céder. Tout cela ne finira pas de si tôt, du côté des manifestants en tout cas. »

 

Texte rédigé à partir d’une entrevue avec le journaliste Marc Thibodeau, octobre 2019.