Depuis la reprise des conflits armés dans la zone du Haut-Karabakh, les communautés arméniennes et azéries du Canada ont exhorté le gouvernement fédéral à se positionner plus fermement. Or, il a très peu réagi. Assiste-t-on à une stratégie liée à l’exportation d’armes vers la Turquie ou à un manque d’intérêt décomplexé ? Analyse.

Selon le Recensement canadien de 2016, près de 64 000 Arméniens sont établis au Canada. Plusieurs groupes, dont le Comité national arménien du Canada (CNAC), ont appelé la communauté internationale et le gouvernement canadien à reconnaître l’agression de leur communauté.

« Nous voulions que le gouvernement dénonce clairement l’attaque de l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dont le Canada est aussi membre, déclare le président du chapitre québécois du CNAC, Apraham Niziblian. La réponse du Canada a été pathétique et déplorable. »

La communauté arméno-canadienne n’a donc pas eu ce qu’elle demandait selon M. Niziblian, qui a encore de la famille établie au Haut-Karabakh. « On vit cette situation comme le dernier chapitre de l’histoire du génocide des Arméniens par l’Empire ottoman, ajoute-t-il. Nous avons peur que l’Arménie tombe complètement sous le joug de la Russie. »

Soulagement et déceptions

La communauté azérie du Canada, qui compte 6425 ressortissants, s’est aussi mobilisée dans les dernières semaines. « Le but était d’attirer l’attention du gouvernement du Canada et du public sur la violation des droits de quelque 750 000 Azéris qui ont été déplacés de leurs terres natales en 1993 », souligne le directeur associé du Réseau des Canadiens azerbaïdjanais, Anar Jahangirli. Ils ont perdu leurs terres, leurs propriétés et leurs moyens de subsistance. »

Même si la communauté est soulagée de la défaite de l’Arménie, le Canada n’a pas rempli son rôle « d’intermédiaire honnête et juste » selon M. Jahangirli. Le gouvernement aurait dû réagir plus rapidement et s’adresser aux deux parties.

Il estime que presque tous les Azéris du Canada ont été touchés par cette guerre, puisque des membres de leurs familles vivent à proximité des combats. « Quelques-uns de nos membres ont perdu des proches », ajoute-t-il.

 

Au-delà des lois

Pour Cesar Jaramillo, directeur de l’organisation non gouvernementale canadienne Project Plougshares, le conflit du Haut-Karabakh est un nouvel exemple du double discours canadien. « Il y a un décalage très clair entre l’action et la rhétorique du gouvernement qui gère très bien ses relations publiques en prônant la diplomatie internationale et les droits humains, explique-t-il. Mais quand ces valeurs empêchent une possibilité de profit et de création d’emploi, ils les oublient. »

Au début du mois d’octobre, le gouvernement a annoncé qu’il cessait d’exporter des drones militaires vers la Turquie. Cette déclaration a suivi des reportages suspectant l’utilisation par les forces azéries de drones turcs équipés de capteurs fabriqués en Ontario.

 

 

Si cette décision était nécessaire, elle pourrait n’être qu’un écran de fumée selon M. Jaramillo. « Le gouvernement avait déjà suspendu deux fois la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, mais ça n’a pas duré, explique-t-il. Actuellement, des armes y sont toujours exportées tandis que la guerre continue de faire rage au Yémen. »

 

Montage : Pascaline David – Genially

 

Le Canada a rejoint, l’année dernière, le Traité sur le commerce des armes (TCA) qui vise à réglementer les ventes d’armes internationales. Les pays signataires doivent s’assurer que l’exportation d’armes n’implique pas de risques de miner la paix et la sécurité ou d’être utilisée pour « commettre ou faciliter une violation grave du droit international humanitaire ou des droits de l’Homme ».

« Les conditions du TCA n’ont pas été respectées et nous pensons que le Canada ignore les risques, qu’il regarde volontairement ailleurs, ajoute M. Jaramillo. La réalité est telle qu’une majorité de l’industrie de l’armement canadien est liée aux conflits les plus dévastateurs du monde. C’est une position intenable. » Selon lui, un début de solution consisterait à reconnaître que le risque existe bel et bien.

 

 

Absence d’expertise

Pour Irvin Studin, rédacteur en chef du magazine Global Brief et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, le silence du Canada ne s’explique pas par des intérêts financiers liés aux exportations d’armes vers la Turquie. « C’est une vision trop réductrice et simpliste de la situation », lance-t-il.

Studin estime que le désintérêt et le manque d’expertise sont plutôt à l’origine du statu quo favorisé par le pays, qui est trop éloigné géographiquement et diplomatiquement du conflit. « Personne, au sein de l’appareil politique à Ottawa, n’a de connaissances assez pointues sur le sujet pour être capable de se positionner », ajoute celui qui est également président du think tank The Institute for 21 century questions (21CQ).

La pandémie aurait aussi joué un rôle de « distraction », détournant l’attention du gouvernement qui se concentre davantage sur les enjeux nationaux.

Alors, protection d’intérêts ou désintérêt ? Toujours est-il que la fin du conflit au Haut-Karabakh ne favorisera probablement pas une nouvelle prise de parole du Canada sur ces enjeux.