Depuis le 18 novembre dans les rues de Port-au-Prince, des milliers d’Haïtiens scandent des slogans et brandissent des pancartes dénonçant la corruption au pays. Bien loin de cette réalité, sous le froid glacial du Québec, les jeunes étudiants haïtiens suivent méticuleusement les manifestations qui ont actuellement lieu dans leur pays d’origine. Pour la plupart de ceux rencontrés, cette protestation sociale catalysée par la jeunesse redonne l’espoir d’un possible changement social et politique attendu depuis longtemps en Haïti.
Entre les allers-retours à la bibliothèque pour étudier, les cours de maîtrise et les réunions de l’Association des étudiants antillais de l’Université Laval, Richenel Ostine et Richardson Beaublanc discutent quotidiennement avec leurs proches en Haïti. Pour Richardson Beaublanc, arrivé au Québec il y a deux ans, il est important dans ces moments de tensions politiques d’être solidaire et de débattre sur les questions politiques haïtiennes. « À Québec, nous avons une meilleure qualité de vie qu’en Haïti. Mais nous ne restons pas dans notre bulle, nous sommes très sensibles à ce qui se passe et nous voulons que les choses s’améliorent », explique cet étudiant à la maîtrise en travail social.
Il partage, avec son collègue Richenel Ostine, la flamme des revendications actuelles contre la corruption. « Je suis tiraillé, car j’ai pris position bien avant ma venue au Québec. Je suis en contact avec certains protagonistes qui sont impliqués directement dans les manifestations. J’aurai voulu être en Haïti en ce moment, mais en même temps, je suis conscient que j’ai l’opportunité de faire des études dans une grande université », confie Richenel Ostine, arrivé à Québec il y a deux mois.
S’ils étaient en Haïti, ils se mobiliseraient jour et nuit pour la cause. « La jeunesse de mon pays est en train de se réveiller. C’est une bonne guerre et il faut s’impliquer », déclare Richardson Beaublanc. Il renchérit, avec confiance: « Je te jure, nous allons savoir où est passé l’argent de Petrocaribe! »
La jeunesse, un nouveau souffle
Depuis juillet, le hashtag #petrocaribe, synonyme d’une volonté populaire demandant une enquête sur les fonds de Petrocaribe, s’est propagé sur les réseaux sociaux. Il s’est transformé en réel mouvement de contestation, avec comme principal acteur, la jeunesse haïtienne. « Le dossier Petrocaribe est un catalyseur du mouvement contre la corruption en Haïti, affirme Richardson Beaublanc, d’un regard vif et pétillant. C’est un bon prétexte, car cela fait longtemps que les élites dirigeantes pillent le pays. »
Même constat pour l’étudiant à la maîtrise en droit international à l’Université de Montréal Fred Lagrandeur, qui soutient la bravoure de cette jeunesse. « C’est nécessaire de dire que c’est assez et qu’on ne peut pas continuer dans cette direction, avoue-t-il, d’un ton engagé. Il n’y a pas de meilleure façon de participer dans la construction de l’avenir. »
Cette classe moyenne et éduquée qui conteste haut et fort le gouvernement est une nouveauté qui réjouit beaucoup d’étudiants. « Habituellement, cette catégorie sociale ne s’implique pas dans les affaires politiques. Cela me donne espoir que les jeunes professionnels, des gens qui ont des choses à perdre, manifestent dans la rue », souligne Richardson Beaublanc.
Instabilité politique
Malgré cette ferveur pour le changement, la violence au pays inquiète la diaspora haïtienne. Avec neuf sœurs et ses parents en Haïti, Fred Lagrandeur partage ce sentiment. « Ma famille est inquiète, car leur vie est en danger. Il y a beaucoup de morts. Même si je suis ici, je suis sous tension parce que cela peut dégénérer à n’importe quel moment », confie cet étudiant, qui occupe également le poste de président de l’Association des étudiants haïtiens de l’Université de Montréal. Avec cette situation politique instable, la plupart des étudiants rencontrés déplorent le manque de compréhension du gouvernement Canadien, qui continue, malgré les revendications de la diaspora au Québec, l’expulsion des réfugiés haïtiens. Selon eux, en retournant dans leur pays d’origine, ces réfugiés se retrouvent dans une situation précaire et font face à des dangers de sécurité.
Très engagé en Haïti avant son départ, Ramsay Jn Louis est arrivé l’année dernière au Québec pour étudier l’économie à l’Université Laval, dans le but de pouvoir redonner à sa communauté par la suite. « Quand j’entends ce qu’il se passe, je me dis que le combat va être plus difficile, mais je ne suis pas quelqu’un qui abandonne. Il ne faut pas perdre espoir », affirme-t-il, d’un ton optimiste.
Richenel Ostine déplore les répressions que subissent les manifestants, mais croit que ce mouvement populaire est nécessaire. « J’étais en Haïti, je n’avais pas peur. Pourquoi aurais-je peur maintenant? De toute façon, si nous ne le faisons pas maintenant, ce serait une bombe à retardement», déclare cet étudiant à la maîtrise en administration de l’éducation. D’une allure révolutionnaire, il n’a pas peur de peser ses mots. «Ils peuvent toujours assassiner une personne qui est contre la corruption, mais ils ne peuvent pas assassiner trois millions de personnes, proclame-t-il. Nous ne pouvons pas assassiner une volonté populaire. »
Le climat d’insécurité en Haïti n’effraie pas ces étudiants, qui tentent aussi bien que mal de conjuguer leur fin de session à leur implication dans ce mouvement social qui prend de plus en plus d’ampleur. Malgré l’inquiétude qu’ils ont à l’égard de leurs proches, la frénésie de la relève leur permet d’espérer un avenir meilleur pour le pays qu’ils chérissent plus que tout au monde. Ils souhaitent que la lutte contre la corruption en Haïti puisse apporter de réels changements dans la société.