Le virage numérique est-il une nécessité dans tous les médias? Les plus petits médias réticents à expérimenter de nouveaux formats de diffusion font le pari de miser sur la qualité de l’information.

Alimenter plusieurs plateformes numériques permet de rejoindre un public qui ne fréquentait pas forcément le média ainsi que de maintenir de jeunes fidèles de plus en plus sollicités. Radio-Canada a plongé la tête la première dans cette philosophie en se lançant dans les balados, dans la création d’un laboratoire de journalisme, suivant des précurseurs comme le New York Times. Aujourd’hui, la version numérique du grand journal américain a largement dépassé le papier : ses 55 infolettres sont une réussite et contribuent à la popularité inégalée du quotidien. Cependant, les deux médias ont des moyens largement supérieurs à la moyenne des médias, ce qui leur permet de prendre des risques.

La journaliste scientifique pigiste Valérie Borde souligne que l’expérimentation requiert des moyens techniques et humains importants. Et comme il s’agit justement d’expérimentation, ça ne fonctionne pas tout le temps. La directrice «stratégie et contenus numériques» de Radio-Canada, Chrystelle Crépeau relate la difficulté de trouver le bon dosage dans la sollicitation du public. «Nous nous sommes lancés dans les alertes pour les téléphones intelligents. On s’est demandé : est-ce qu’on en envoie trop? Quand doit-on en envoyer? Seulement en cas d’urgence, lorsque nous sommes en diffusion en direct sur Facebook? On s’est finalement entendu pour envoyer des suggestions de lecture les fins de semaine», explique-t-elle. Et tout ça seulement pour les alertes, sans compter les autres moyens de diffusion. « C’est incroyable le nombre de plateformes à alimenter chaque jour!», s’exclame Chrystelle Crépeau.

«Le rapport coût-bénéfice n’est pas toujours positif pour les médias», constate Valérie Borde. Dans les petits médias, l’augmentation du budget alloué à la mise en forme s’accompagne nécessairement d’une décroissance du budget de production de l’information, explique la journaliste.

Le directeur des contenus numériques au journal Le Soleil, Gilles Carignan, abonde dans la même direction : «Les médias régionaux n’ont pas les moyens du New York Times ou du Washington Post». Pourtant, dans un monde numérique «archiencombré», non seulement les articles du quotidien de Québec sont en concurrence avec ces derniers, mais aussi avec les contenus de divertissement.

La stratégie adoptée par Le Soleil a donc été d’une part, de passer d’une approche généraliste à une approche centrée sur le public de la ville de Québec, et d’autre part, de rediriger les ressources allouées à la gestion des réseaux sociaux vers la production d’une information de qualité.
Comme les autres, Le Soleil a tenté de suivre la vague des réseaux sociaux. Personnalisation des publications sur Facebook, présence sur Snapchat : tout pour se mettre à la page des Milléniaux. Puis, ils se sont demandé s’il était bien pertinent de dépenser toute cette énergie. Apparemment, la tendance changera d’enseigne d’ici quelques années.

«Nous avons réduit notre investissement de temps sur Facebook, nous avons davantage automatisé les publications. Et nous avons utilisé ce temps gagné pour la récolte d’information. Nous n’avons pas observé d’impacts négatifs, même qu’on a plutôt vu des impacts positifs», se réjouit Gilles Carignan.