Depuis la démission du président bolivien Evo Morales le 10 novembre 2019 sur une « suggestion » du chef de l’armée, la Bolivie traverse une tempête après une longue période de stabilité. Putsch ou révolte du peuple ? Mise en contexte d’une situation compliquée …

Pour comprendre la situation qui règne en ce moment en Bolivie, un petit rappel des derniers événements permettra d’y voir plus clair. Après son arrivée au pouvoir en 2006 puis largement réélu en 2009 et 2014, Evo Morales président depuis quatorze ans veut se présenter à nouveau pour un quatrième mandat. Ce que la constitution bolivienne de 2009 ne lui permet pas. Un référendum est mis en place en 2016 pour savoir si le peuple Bolivien sera prêt à lui accorder une participation aux élections présidentielles de 2019. Il perd le référendum avec 51, 3 % de « Non ». Malgré cette défaite, il décide de ne pas y prêter attention et en appelle au Tribunal suprême électoral qui lui accorde le droit de se présenter à nouveau. C’est cette décision qui lancera l’érosion de sa base électorale et la montée des critiques de l’opposition.

C’est dans un contexte beaucoup moins favorable qu’aux précédentes élections qu’Evo Morales se présente à la tête de son parti Movimiento al Socialismo ou Mouvement au Socialisme (MAS) au scrutin du 20 octobre dernier. Dans le système électoral bolivien, si un candidat obtient plus de 50% des voix lors du premier tour ou s’il a une avance de dix points sur le second, il est alors élu dès le premier tour. Il était donc primordial pour Evo Morales de remporter le premier tour pour ne pas avoir à affronter son opposant Carlos Mesa (ancien président bolivien de 2003 à 2005).  Les résultats officiels de ce scrutin donnent 41,7% des voix pour MAS contre 36,5 % pour Carlos Mesa.

C’est à ce moment que tout part à vau-l’eau. L’opposition dénonce une fraude électorale utilisant comme argument qu’il y a eu une « pause » de plusieurs heures lors du dépouillement des voix et suite à celle-ci, le chef de MAS qui était au coude à coude avec Carlos Mesa, gagne alors 10 points de pourcentage sur son opposant. L’intervention rapide de l’Organisation des Etats Américains (OEA) qui affirme qu’il s’agit d’une «  fraude massive  » va précipiter la chute d’Evo Morales et celle de sa famille. Les militants de l’opposition ont mis le feu à la maison du président ainsi que celle de sa sœur, une partie de la police se mutine et le 10 novembre dernier le chef de l’armée lui «  suggère  » de poser sa démission. Pour Evo Morales c’en est trop, la sécurité de sa famille et la sienne sont en danger, l’exil au Mexique apparaît alors être la solution pour abaisser les tensions et les excès de violence grandissants au sein de la société bolivienne.

Ainsi depuis l’exil du président déchu, le 12 novembre dernier, Jeanine Añes la seconde vice-présidente du Sénat bolivien, s’est autoproclamée présidente malgré l’absence du quorum parlementaire requis. Attachée à la formation politique de centre-droit,  Jeanine Añes s’est empressée, suite à son auto-proclamation, d’effacer des tweets de 2013 où elle y conviait les Indiens à «  retourner sur leurs plateaux  » et obtient le soutien  de Carlos Mesa et de Luis Fernando Camacho, ainsi que des États-Unis… Elle a déjà promis la mise en place de nouvelles élections électorales dans les 90 jours qui suivent sa prise de pouvoir mais refuse la participation d’Evo Morales et le menace de poursuites judiciaires s’il se présente. Selon le quotidien Libération, elle envisagerait même « la fermeture du Parlement pour contourner le parti d’Evo Morales qui est majoritaire dans les deux chambres, afin de gouverner par décrets présidentiels ».

Putsch ou pas Putsch ?

La balance pencherait plutôt pour le «  oui  ». Il faut tout d’abord se pencher sur l’intervention l’Organisation des Etats Américains (OEA) qui a affirmé une fraude électorale. Bien que peu relayée, l’étude du Center for Economic and Policy Research montre que rien ne permet d’affirmer des « fraudes massives » observées par l’OEA. Dans un article de Mathis Nicole Desmau, il précise non seulement que « l’organisation est financée à 60% par les Etats-Unis et qu’elle a historiquement souvent servi leurs intérêts ».

Un autre facteur qui renforce la théorie d’une implication des États-Unis est qu’ Evo Morales avait annoncé vouloir nationaliser les mines de lithium de son pays (la Bolivie détient plus de la moitié des réserves mondiales de lithium) et avait annulé, peu de temps avant les élections, un accord avec ACI Systems Alemania et Tesla pour l’exploitation de ces mines. Curieusement, l’action de Tesla en bourse a connu une forte hausse après l’annonce de la chute de Morales …

Ce qui montre que les actionnaires sont aujourd’hui rassurés à propos de l’approvisionnement en lithium grâce au départ d’un président qui ne voulait pas vendre aux grandes entreprises pour être remplacé par des partis conservateurs et ultra-libéraux … C’est dans ces moments de manque de stabilité politique que des «  deals  » peu scrupuleux mais très juteux naissent.

D’un point de vue plus théorique, deux écoles s’affrontent. Erica De Bruin, spécialiste des relations entre les citoyens et l’armée qui travaille aux États-Unis interrogée par BBC Mundo et relayé par le Courrier International estime que « Les coups d’État surviennent de plus en plus souvent via des manifestations importantes dans la rue. Sans l’appui d’une fraction des militaires, il est néanmoins difficile que ces manifestations aboutissent à ce résultat » et rajoute à propos de la suggestion du chef des armées qu’elle implique « une menace implicite qui pourrait être exercée soit par l’armée elle-même, soit par les manifestants qui ne seraient plus arrêtés par les militaires ».

 

D’un autre côté, Cecilia Salazar, directrice du troisième cycle en science du développement de l’université Mayor de San Andrés, interrogée par El Pais insiste sur le contexte qui a précédé la démission d’Evo Morales et plus précisément sur la mutinerie de la police. Elle estime qu’en démissionnant « l’intention de Evo Morales était de montrer au monde entier que la Bolivie était fortement divisée et qu’en renonçant publiquement à sa charge, il serait ensuite en mesure de reprendre le pouvoir pour pacifier le pays ».

Enfin, le New York Times fait preuve de précautions et rappelle que « la ligne de partage entre les coups d’État et la révolte peut être floue, voire inexistante ». D’après leur analyse, la révolte et le coup d’État sont imbriqués et qu’il est possible de les différencier par leurs connotations morales où « autant les ‘coups’ sont aujourd’hui condamnables, autant les révoltes sont saluées ». De ce point de vue, le sentiment de coup d’État ou de révolte dépend simplement de l’appartenance politique. Mais quelques questions demeurent aujourd’hui, pourquoi les États-Unis, si ce n’est que par intérêt économique, sont intervenus par le biais de de l’OEA dans cette élection ? Et pourquoi le silence de la communauté internationale ? Dossier à suivre …