« How many roads must a man walk down
Before you call him a man? »

En 1963, Bob Dylan se demandait après combien de chemins parcourus un homme méritait d’être appelé de cette manière. Évidemment, Dylan n’est pas un idiot et cette question reste sans réponse. Dans sa chanson Blowing in the wind, le tout récent lauréat du prix Nobel de littérature nous invite à nous questionner sur la légitimité qu’un homme puisse être appelé homme, qu’une femme puisse être appelée femme, qu’un mécanicien puisse être appelé mécanicien ou bien qu’un journaliste puisse être appelé journaliste. Si pour les premiers exemples, la question semble évidente, la dernière catégorie suscite beaucoup d’interrogations. Après tout, qu’est-ce qui légitime une personne d’être appelé journaliste mais surtout, cette personne est-elle encore utile?

D’un côté, certains vous répondront franchement oui. Le journalisme entendu comme le moyen de traiter, analyser et transmettre une information à destination du public doit exister pour le bien-être de la démocratie. D’un autre côté, certains vous répondront franchement non. Aujourd’hui, avec le développement des réseaux sociaux et l’essor des citoyens-journalistes, les médias n’ont plus de raison d’être. Pourtant, l’époque actuelle a plus que jamais besoin des journalistes et ceci pour plusieurs raisons. Avec la montée en puissance des réseaux sociaux s’accompagne la propagation de fausses informations aux odeurs de propagande.

The Gossips – Norman Rockwell

Là où le journalisme joue un rôle essentiel, c’est dans le traitement de ces fausses informations. Un credo valable pour tout journaliste: le doute. Il faut douter de soi, des faits, des a priori. Le journaliste ne doit pas se contenter de transmettre une information mais bien de la recouper, c’est-à-dire vérifier sa véracité. C’est ce qui se passe sur le terrain mais c’est aussi ce qui est enseigné dans les écoles de journalisme. Ici, au Québec ou en Europe, la clef de voûte des formations est la remise en question des informations. Qui a dit quoi? Dans quel but? Où et comment?… sont les premières questions à se poser. Ce travail préliminaire permet d’évacuer dans la plupart des cas les fausses informations, mais il arrive que le recoupage soit plus difficile.

Les théories du complot sont des exemples très révélateurs. Celles-ci foisonnent sur Internet et des sites regorgent d’arguments allant dans le sens d’une certaine théorie. C’est ce que le sociologue Gérald Bronner appelle le mille-feuille argumentatif, un empilement d’arguments faibles qui donne l’impression que « cela ne peut pas être le fruit du hasard ». Aurore Van de Winkel, une chercheuse à l’Université Catholique de Louvain explique lors d’une interview avec La Libre que les gens vont « croire à une rumeur si elle confirme nos intuitions, la manière dont on envisage le monde, si elle nous a été donnée par quelqu’un en qui on avait confiance, si cette personne est jugée compétente, etc. » L’un des problèmes majeurs du journalisme est justement cette confiance perdue envers la population. Pas besoin d’être un fan des théories du complot pour remettre en question le travail et les compétences des journalistes. Il suffit de taper des mots-clefs dans Google pour se rendre compte que le journalisme est l’un des métiers dans lequel la population émet le plus de réserve.

Extrait d’une recherche de mots clefs dans Google

 

Comment faire pour (ré)installer cette confiance entre le journaliste et la population?  Cette question peut trouver son sens lorsque les journalistes d’investigation jouent leur rôle à la perfection: être les chiens de garde de la démocratie. La récente révélation des Panama Papers est un exemple de contre-pouvoir qu’exerce le journalisme. Le traitement et l’analyse de millions de documents ont permis de dévoiler l’une des plus grandes fraudes fiscales au monde. Ce travail titanesque a demandé des mois d’efforts et de recherches à des centaines de journalistes qui ont appliqué la base du métier, le doute. Sans cela, la vérité n’aurait jamais éclaté au grand jour. En 1992, lors du sommet de la Terre à Rio, l’homme d’affaires canadien Maurice Strong a constaté que «…sans information, point d’opinion publique, sans opinion publique avertie, point de volonté politique et sans volonté politique, point de réussite…». En suivant ce principe, le rôle du journalisme dans une démocratie devient évident. Celui-ci peut mouvoir des actions politiques en sensibilisant la population.

Pouvoir, journalisme et société

Cette trinité aura eu, au cours de l’Histoire, des frontières mouvantes. La relation qu’entretient le pouvoir -principalement politique- et le journalisme peut être ambigu. Les mêmes critiques reviennent souvent: les journalistes sont à la solde du pouvoir. Même si les politiciens peuvent communiquer avec le reste de la population sur les réseaux sociaux, ils auront toujours besoin des journalistes. L’inverse est tout aussi vrai. En théorie, ces trois parties doivent être bien séparées, mais la carte n’est pas le territoire et dans les faits, tout se complique un peu. Où placer la frontière entre les journalistes et les citoyens qui sont toujours plus réactifs sur les sites médiatiques? Où établir une limite entre le politicien et le journaliste? Où se situent le domaine privé et les affaires publiques? Pour un journaliste, les réponses à ces questions se trouvent dans les différents codes de déontologie. C’est un élément essentiel de la profession, un garant du travail exercé dans l’intérêt de la population.

Alors, avons-nous encore besoin des journalistes?
Plus que jamais, c’est essentiel.