1.35, c’est le taux de fécondité des Japonaises. En considérant qu’un taux de 2.1 assurerait un remplacement des générations, les prédictions alarmistes s’en donnent à cœur joie et envahissent sans cesse l’espace public nippon, explique Valérie Harvey, écrivaine et sociologue spécialiste de la question démographique du Japon.

Elle ajoute que cela fait plus de trente ans que le taux de fécondité se situe en deça du seuil recommandé, mais qu’aucune mesure concrète n’a été mise en place. L’espérance de vie des Japonais (82,6 ans) est aussi un facteur à considérer, car il est l’un des plus élevés de la planète, soutient la sociologue.

Mis ensemble, ces facteurs induisent un problème inéluctable: une population active qui se fait de plus en plus rare. M. David Boisclair, directeur de la Chaire de recherche de l’Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques, fait état du ratio de dépendance qui augmente dangereusement.

Autrement dit, le nombre de personnes «à charge», soit la population de jeunes combinée à la population de personnes âgées, est en nette progression par rapport à la population active qui, elle, décroît. «C’est une composante importante de la croissance économique», précise le directeur. Ainsi, le Japon se trouve dans une situation où la population active est moins nombreuse à supporter l’activité économique du pays et l’entrée d’argent dans les coffres de l’État, permettant entre autres de financer les régimes de retraite.

Dans l’ouvrage de Mme Harvey «Le pari impossible des Japonaises», la sociologue fait état que la population active chutera de 70% d’ici 2050 par rapport aux données de 2005. Seulement 44.5 millions de Japonais seraient alors sur le marché du travail.

M. Boisclair soutient que les personnes âgées contribuent tout de même à la santé économique du pays. Cependant, cette participation tend à décroître au fil des années suivant l’âge de la retraite. «Dans les premières années [de la retraite], les gens tendent à consommer de la même manière; des choses différentes: moins de cravates et plus de parties de golf», explique le chercheur, «après 5 à 10 ans, ça commence à changer de façon un peu plus importante et la consommation totale décroît jusque dans les dernières années de vie».

En fin de vie, la consommation de l’individu peut augmenter de manière significative, mais se concentre dans des secteurs précis, notamment dans les soins de santé qui peuvent être très onéreux, indique M. Boisclair.

Infographie OlivierSource: OCDE

Le manque à gagner de main d’oeuvre s’explique également par le fait que les femmes soient mises à l’écart du marché du travail dès qu’elles ont des enfants. À cet égard, Mme Harvey raconte que ces femmes détiennent pourtant des formations universitaires et qu’elles pourraient contribuer activement à l’activité économique du pays. Le filet social précaire de l’archipel pousserait davantage de femmes à délaisser leur emploi afin de prendre soin de leur nouveau-né.

Un système de garderie public presque inexistant conjugué à des pénalités fiscales si les deux parents travaillent n’aide en rien les femmes à retourner sur le marché du travail, selon la sociologue. «C’est toujours un modèle traditionaliste selon lequel le père joue le rôle de pourvoyeur de la famille», explique-t-elle. À cet égard, «un système de garderie comme au Québec, ça aide», inique-t-elle. M. Boisclair souligne également que le gouvernement québécois a opté à une certaine époque pour des «bébés bonis» afin d’encourager les naissances.

Cependant, cette stratégie n’a pas été aussi efficace que ne l’aurait espéré le gouvernement, soutient M. Boisclair. Le parlement japonais a mis en place le même genre de soutien aux familles, mais sa contribution reste modeste: 1.1 % du PIB y était consacré en 2003 selon Le Monde. Visiblement, ces mesures n’ont pas eu l’effet escompté.

La sociologue juge que le premier ministre Abe devrait plutôt envisager des politiques sociales et se défaire du réflexe strictement économique. Elle ajoute par ailleurs que la culture d’entreprise est appelée à changer, car cette relation qu’entretiennent les Japonais avec le travail devient nuisible. Déjà, «dans le marché du travail japonais, on fait beaucoup d’heures supplémentaires bénévolement» raconte-t-elle. Mme Harvey affirme que, dans le contexte économique actuel, cette tendance s’amplifiera puisqu’un employer «voudra faire tout ce que son employeur lui demandera de faire pour conserver son emploi».

Par ailleurs, elle est d’avis que les causes d’une récession économique au pays du soleil levant sont moins liées à l’endettement des ménages, car le peuple japonais a l’habitude d’économiser comparativement aux consommateurs occidentaux. «Ici on dépense tout ce qu’on a et on dépense même à crédit tandis qu’au Japon, la carte de crédit, c’est encore quelque chose de très rare. Ce sont les étrangers qui utilisent ça», souligne-t-elle.

Par conséquent, en temps de ralentissement économique, les Japonais seront tentés de se serrer davantage la ceinture et l’économie nippone en pâtira nécessairement puisqu’elle sera alors entraînée dans une sorte de cercle vicieux.

Un «dépeuplement» canadien ?

Bien que le Canada ait un taux de fécondité relativement bas (1.61), il se situe en bien meilleure position que celui du Japon. M. Boisclair précise qu’au cours des prochaines décennies, le Québec par exemple connaîtra une stabilisation de sa population à neuf millions d’individus. Aucune décroissance de la population canadienne n’est prévue, ajoute-t-il.

Le chercheur stipule que si le gouvernement avait voulu encourager les naissances, «il aurait dû se poser la question il y a 20 ans». En mettant en place des mesures incitatives dans les cinq prochaines années, «ces individus vont arriver dans l’économie dans 25 ans», indique-t-il. L’effet du vieillissement de la population sera donc déjà passé à ce moment.

Heureusement, le Canada, contrairement au Japon, constitue une terre d’accueil et jouit d’un solde migratoire positif. Le Japon, quant à lui, a un solde migratoire nul. Bref, l’archipel nippon ne peut pallier le manque à gagner de naissances avec l’accueil d’étrangers. Le Canada, si. M. Boisclair souligne à cet égard que les immigrants ont un taux de fécondité plus élevé que les Canadiens «de souche».

Comme ces nouveaux arrivants sont concentrés dans certaines régions du pays, le chercheur rappelle néanmoins que leur présence au pays ne peut compenser le maigre nombre de naissances à l’échelle nationale. En quelques mots, certaines régions connaissent un dépeuplement accru. «Les Maritimes, notamment, c’est un autre dossier», lance M. Boisclair.