Fin septembre, l’ONG « UN Watch »révèle que l’Arabie Saoudite tiendrait actuellement un rôle primordial au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Un comble, au regard des violences et des injustices dont fait preuve le pays chaque jour. Rapidement relayée, cette information provoque de vives réactions de part le monde. Pourtant, selon Julia Grignon, co-directrice de la clinique de droit international pénal et humanitaire à l’Université Laval, cette polémique n’a pas réellement lieu d’être.

Au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, les 47 pays membres sont regroupés en cinq groupes, correspondants aux cinq grandes régions du monde. Elue membre en 2013, l’Arabie Saoudite fait partie du bloc « Asie » pour un mandat de trois ans. Le pays a été choisi par ses pairs asiatiques pour être le représentant du bloc en 2015. C’est donc dans ce contexte que le pays est amené à jouer un rôle dans le Conseil des droits de l’Homme.Un rôle cependant loin d’être aussi capital que semble le laisser entendre l’ONG « UN Watch ». « L’Arabie Saoudite n’a pas été nommée à la présidence du Conseil des droits de l’Homme » explique Julia Grignon, professeure de droit international à l’Université Laval, « elle a été nommée àla tête d’un groupe consultatif qui détermine ceux qui vont être les rapporteurs spéciaux». Avec l’aide de quatre membres supplémentaires, issus des autres régions du monde, l’Arabie Saoudite participera doncà choisir les personnes chargées d’analyser à l’avenir les grandes problématiques internationales. Un poste bien plus significatif que décisif selon Julia Grignon. « Tout ça est extrêmement consensuel et formaliste. Très concrètement, ce qui fait tourner la baraque c’est le Haut Commissariat des droits de l’Homme. Qu’un pays ou un autre prenne la présidence d’un panel, honnêtement il n’y a pas une grande différence dans la manière de travailler» estime Mme Grignon, présente aux Nations Unies lorsque la Libye était présidente de la Commission des droits de l’Hommeen 2003.

Qui plus est, ce n’est pas réellement l’Arabie Saoudite qui a été nommée à la présidence du groupe, mais bien l’ambassadeur saoudien des Nations Unies, à titre personnel. Une légère différence, importante à souligner selon Julia Grignon.

La crédibilité de l’ONU mise à mal

Pour autant, cela pose tout de même un problème d’image.Il semble difficile de justifier qu’un pays comme l’Arabie Saoudite, connu pour ses violations récurrentes aux droits humains, fasse partie du Conseil. La situation est clairement paradoxale et remet en cause la crédibilité du système des Nations Unies. Il y a une nette différence entre la volonté énoncée du Conseil d’élire seulement des pays respectant les droits de l’Homme, et la réalité effective. Le fait est qu’accepter l’Arabie Saoudite comme membre, c’est répondre à « des enjeux géopolitiques et géostratégiques à l’intérieur des Nations Unies » explique Julia Grignon. Tout est histoire de compromis. Sortir l’Arabie Saoudite du Conseil, c’est risquer de se mettre à dos tout le Moyen-Orient selon la professeure de droit international. « C’est les travers du système, chaque région poursuit ses propres intérêts politiques»continue-t-elle. Il est donc nécessaire de faire des concessions, afin de ne pas verrouiller totalement le processus de décision de l’ONU.

Une situation représentative du monde

D’autant plus qu’inclure l’Arabie Saoudite dans le système n’est pas forcément négatif selon Julia Grignon.« Cela peut avoir des vertus éducatives, en obligeant l’Etat à regarder les droits humains en face »estime-t-elle. La professeure rappelle que « tous les Etats du monde commettent des violations de droits humains. En fonction des époques et du contexte, ces violations sont plus ou moins graves, plus ou moins flagrantes».Certes l’Arabie Saoudite en est coutumière, mais si l’ONU décide de sortir le pays du Conseil des droits de l’Homme, alors bien d’autres suivront. Dans l’immédiat, l’exclusionn’est pourtant pas une solution envisageable. Il faudrait refondre le système en profondeur. « Tout ça n’est que la représentation du monde. On ne peut pas dire que c’est la faute de l’ONU puisque les Nations Unies,ce sont les Etats ! Les Etats qui crient au scandale, ils en sont partie prenante. S’ils veulent changer le système, c’est à eux de travailler pour y parvenir» s’insurge Julia Grignon.