Présentation au Salon international de l'automobile à Genève en 2018 (photo : Matti Blume/Wikimedia Commons)


Selon Ian P. Sam Yue Chi, président et directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ), le retrait du programme dans moins de trois ans est « un très mauvais choix » de la part du gouvernement.

Ian P. Sam Yue Chi est président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) depuis 2022.(photo : LinkedIn).

De l’aveu du président de la CCAQ, qui représente 890 concessionnaires de véhicules neufs au Québec, le programme Roulez vert a prouvé qu’il était efficace, car il a su faire la différence pour convaincre certains consommateurs de se tourner vers l’électrique. L’enjeu est qu’il existe un écart entre le prix des véhicules thermiques et électriques : « encore aujourd’hui, on a des disparités qui excèdent les 20 000$ dollars pour un véhicule équivalent à essence. » Le président de la CCAQ souligne que le gouvernement avait été clair quant au fait que le programme Roulez vert était temporaire, mais il juge tout de même sa fin trop précoce. Il craint que le retrait du programme diminue l’appétit pour les véhicules électriques et crée davantage de problèmes.

Réduire les GES

Le programme Roulez vert fait partie de diverses mesures mises en place par le gouvernement du Québec pour réduire les émanations de gaz à effet de serre (GES). En 2022, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a annoncé un règlement pour renforcer la norme sur les véhicules zéro émission(VZE) et interdire la vente de véhicule neuf à essence à partir de 2035. Cette annonce s’arrimait avec les objectifs du gouvernement du Québec pour réduire les GES, proposés deux ans plus tôt, via le Plan pour une économie verte. Au Québec, le transport représente le secteur le plus polluant, produisant plus de 43% des GES de la province.


Au Canada, les transports représentent le deuxième secteur économique produisant le plus de GES, derrière le secteur de l’exploitation pétrolière et gazière. En décembre 2023, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbault, a emboîté le pas du Québec en annonçant de nouvelles normes pour obliger que tout véhicule neuf vendu à partir de 2035 soit complètement électrique. Cette mesure cadre avec les plus récents engagements internationaux du Canada établis lors de la dernière conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28) qui se tenait à Dubaï en décembre 2023 et qui a marqué le « début de la fin » de l’ère des combustibles fossiles.

Le problème est que, lors de sa construction, un véhicule électrique produit plus d’émanation de gaz à effet de serre qu’un véhicule à essence. Néanmoins, la dette carbone des véhicules électriques s’annule généralement après trois années d’utilisation. C’est ce qu’avance le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), dans un rapport commandé par Hydro-Québec et publié en 2016.

Les concessionnaires prêts pour l’électrification

Au Québec, la croissance du parc automobile électrique est en constante évolution et est plus importante que celle des autres provinces. Les incitatifs instaurés par les gouvernements du Québec et du Canada, combinés à leur objectif d’interdire la vente de véhicule neuf à essence pour 2035, semblent y jouer un rôle. Ian P. Sam Yue Chi évalue à près de 270 000 le nombre de véhicules électriques présentement sur les routes.

Au cours des dernières années, il était difficile pour les concessionnaires automobiles de proposer des inventaires de véhicules neufs électriques. Une étude réalisée par AutoForecast Solutions révèle que des problèmes d’approvisionnement attribuables à la pandémie de Covid-19 et à une pénurie de semi-conducteurs, a empêché la production de plus de quatre millions de véhicules lors de l’année 2022. Les véhicules électriques, déjà plus rares, n’y ont pas fait exception. Cependant, le président de la CCAQ affirme que la situation a changé : « durant 2023, la tendance s’est renversée, des concessionnaires se sont mis à se constituer des inventaires. Donc, présentement au Québec, il y a de la disponibilité au niveau des segments électriques sans grand problème ».

Dans les prochains mois, le défi pour les concessionnaires automobiles sera lié à une demande toujours grandissante, selon Ian P. Sam Yue Chi. « On est passé d’un marché où on s’adressait à des utilisateurs précoces, des gens qui avaient soif de nouveauté, soif de technologie, des gens qui voulaient être les premiers à devenir propriétaire du nouveau modèle électrique, à la masse critique des gens », et le secteur automobile international réagit à cette demande. Selon un rapport de l’Environmental Defence Fund publié en 2022, ce sont 850 milliards de dollars qui seront investis par les manufacturiers automobiles et les fabricants de batteries d’ici la fin de la décennie pour développer des véhicules électriques de tous genres.

Avec la hausse en popularité des véhicules électriques (VE), le rôle des concessionnaires automobiles a changé. Ceux-ci doivent maintenant faire de la pédagogie auprès de leurs clients afin d’expliquer les différences liées à l’utilisation d’un VE, le fonctionnement des bornes de recharge ou l’effet des baisses de température sur l’économie de la batterie. Le PDG de la CCAQ affirme que les concessionnaires ont « beaucoup de temps à passer avec le client pour lui expliquer la réalité, et aussi, chercher à le convaincre que ça peut être une bonne idée pour lui. » Toujours selon Ian P. Sam Yue Chi, les concessionnaires se disent fiers de participer à la transition énergétique et de ce nouveau rôle d’éduquer sur la réalité des véhicules électriques.

L’envers du véhicule vert

Mais tout n’est pas si…vert. La hausse en popularité des véhicules électriques a pour conséquence d’augmenter la demande en batteries. Leur fabrication nécessite une grande quantité de minéraux critiques et stratégiques (MCS). L’exploitation de ces ressources naturelles, via l’industrie minière, entraîne des conséquences environnementales importantes. Rodrigue Turgeon, co-porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine et avocat spécialisé en droit de l’environnement, avance qu’en changeant « notre dépendance aux hydrocarbures en migrant vers des métaux, ce n’est pas vrai qu’on va réduire forcément l’empreinte sur les écosystèmes et la biodiversité.

Rodrigue Turgeon, co-porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine et coresponsable du programme national de MiningWatch Canada, souhaite repenser l’industrie minière : « Il faut dire non aux mines qui menacent indument l’eau, les écosystèmes vulnérables et les espèces menacées » (photo : Centre québécois du droit à l’environnement).

Entre 2021 et 2023, le nombre de titres miniers a augmenté de 65% au Québec. L’attrait pour les minéraux critiques et stratégiques est l’un des responsables de la hausse d’attractivité envers l’industrie minière. Rodrigue Turgeon, qui est coresponsable du programme national de MiningWatch Canada, une organisation non gouvernementale chargée de soutenir les populations affectées par l’industrie minière, stipule que l’extraction massive de minéraux a de quoi inquiéter quant à la pérennité des droits autochtones, des communautés, de l’état de santé des populations et de l’environnement.

Le juriste de formation lève le voile à propos des répercussions de l’activité minière sur les écosystèmes. « La première victime, au niveau de l’environnement, c’est l’eau ». Pour opérer, une mine a besoin d’une quantité « astronomique » d’eau. Les minières l’utilisent pour des procédés de traitements chimiques. Les résidus miniers représentent eux aussi, soutient Turgeon, un « important danger » pour les cours d’eau avoisinants. Même si des digues et des barrages sont construits pour contenir les résidus, le risque que les déchets se répandent dans les cours d’eau demeurent existant. Les procédés chimiques et les métaux lourds génèrent également des contaminants atmosphériques.

En plus de ses impacts sur l’eau et sur l’air, l’activité des minières, poursuit Rodrigue Turgeon, représente un danger pour la contamination des sols, en raison des nombreux déchets qui y sont enfouis. L’avocat perçoit l’industrie minière comme une industrie « de gestion de déchets », car elle génère « beaucoup plus » de déchets et de contaminants que de métaux.Par exemple, pour produire une tonne de cuivre, il faut produire 200 tonnes de déchets miniers, se désole Turgeon. Pour se débarrasser de ces milliers de tonnes de matières indésirables, les compagnies les entreposent dans des parcs à résidus, les recouvrent d’une géomembrane et « espèrent »que les résidus miniers ne se répandent pas dans l’environnement.

Rodrigue Turgeon concède que les compagnies minières installées au Québec sont assujetties à des normes environnementales plus strictes que celles d’autres États. Cependant, il doute de la capacité des autorités à les imposer. « Il n’y a presque pas d’inspection sur le terrain, ce sont les minières qui se dénoncent elles-mêmes. Et quand elles le font, le gouvernement impose très rarement des sanctions. »Le co-porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine mentionne qu’une infraction environnementale est signalée une fois aux quatre jours depuis dix ans, mais que seulement 10% d’entre elles auraient été sanctionnées.

Aux yeux de l’avocat, la transition énergétique en cours a des allures de campagne d’écoblanchiment. Plutôt que d’utiliser le terme « transition énergétique », le juriste préfère parler « d’addition énergétique », car les émanations de GES et la production d’hydrocarbures continuent d’augmenter au Canada. L’exploitation des MCS pour fabriquer des batteries et véhicules électriques ne cherche pas à favoriser la diminution de notre dépendance aux autres formes d’énergie, dont les énergies fossiles.

Rodrigue Turgeon reconnait que les minéraux ont un rôle à jouer dans la réduction des émissions de GES parce que nos sociétés industrielles ont des besoins. Néanmoins, il souhaite remettre en question ces « nécessités » pour réduire la consommation de masse. Selon lui, si la société consomme autant de produits et d’énergie que ce que les hydrocarbures fournissaient, les mines seront appelées à se multiplier. Ce scénario « apocalyptique » n’est pas plus viable pour l’humain et son environnement, soutient-il.

Objectifs gouvernementaux

Afin d’atteindre leurs objectifs environnementaux, les gouvernements provincial et fédéral doivent trouver des moyens pour réduire les GES. Toutefois, cette réduction n’est pas le seul cheval de bataille pour assurer la préservation de l’environnement. Les autorités étatiques ont des engagements pour maintenir la biodiversité. En décembre 2022, la Conférence des Nations Unis sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal visait notamment à lutter contre la surexploitation et la pollution. Les 188 États présents ont adopté des engagements allant dans ce sens.

Dominic Villeneuve, professeur adjoint de transport et mobilité à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD), s’intéresse à la dépendance automobile (photo : LinkedIn).

Dominic Villeneuve, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval, s’intéresse entre autres à la dépendance automobile. Conscient du rôle important de la voiture dans la société, le professeur invite à revoir sa place prépondérante. Aussi longtemps que des mesures qui encouragent l’utilisation de la voiture, comme la construction de stationnements gratuits ou l’augmentation de voies routières, seront reconduites, les automobilistes ne se remettront « jamais assez » en question, juge-t-il. À l’instar de Rodrigue Turgeon, M. Villeneuve croit qu’il est nécessaire d’amorcer une réflexion sur nos « besoins » énergétiques : « Pourquoi on a besoin d’autant de voitures que de personnes ? »

Pour Ian P. Sam Yue Chi, la spécificité territoriale et démographique du Québec justifie l’importante place occupée par le transport individuel. Le président de la CCAQ avance que la faible densité de population qui habite le vaste territoire québécois rend la voiture solo incontournable. En analysant l’avenir de la mobilité au Québec, Ian P. Sam Yue Chi estime qu’il « faut être réaliste » et que le transport individuel est loin de disparaître. Pour l’homme, l’avenir de la mobilité doit néanmoins passer par un « cocktail » de choix à offrir à la population. Dans cette perspective, le président de la CCAQ n’hésite pas à attribuer un rôle de premier plan au transport collectif.

Améliorer l’offre en transport collectif afin de proposer des alternatives à la voiture solo, électrique ou pas, est également une des préoccupations du professeur Dominic Villeneuve. Dans l’optique d’offrir le meilleur choix de transports aux citoyens, il souhaite « une redistribution plus équitable des investissements entre les différents modes de transport », dont le transport actif. Cette vision de la mobilité, fait-il remarquer, implique « un changement de paradigme ».

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