Il s’agit d’un des secteurs du livre qui se porte le mieux. Engouement marqué pour les auteurs de chez nous et multiplication des événements qui la mettent à l’honneur, la bande dessinée québécoise n’est plus à la marge.
Alors que la 36ème édition du Festival Québec BD vient de se conclure à Québec, un constat fait surface. Si la production de BD québécoises a été reconnue tardivement, elle se déploie à présent au-delà des frontières une case à la fois.
« C’est une belle période. Depuis 15 ans, ça se passe bien pour la bande dessinée au Québec pis même à Québec », constate Francis Desharnais qui a publié sa première BD, Burquette, en 2008. Alors qu’un bassin d’éditeurs et de bédéistes se trouvent à Montréal, la ville de Québec n’est pas laissée en plan. Une communauté d’artistes, bien que plus restreinte, participe au dynamisme de la scène dans la Capitale-Nationale. Valérie Boivin, illustratrice et bédéiste, décrit la scène de la bande dessinée d’ici comme étant à échelle humaine. C’est ce qui lui plaît aussi.
Francis Desharnais note d’ailleurs qu’il y a « une volonté d’intégrer les auteurs de BD et les dessinateurs dans d’autres cadres de production » à Québec. Cela permet aux bédéistes d’être confrontés à d’autres types d’art. « On va côtoyer les gens qui font de la danse, qui font de la peinture, qui font de la poésie. Fait que ça, c’est nourrissant aussi », précise l’auteur.
La proximité avec Québec BD basée dans la Capitale-Nationale profite aussi aux créateurs. Au-delà du Festival Québec BD, l’organisme coordonne des rencontres avec des bédéistes internationaux et permet aux auteurs québécois de faire des escales à l’étranger afin de voir de quelle façon la bande dessinée se fait en France, en Belgique, en Angleterre ou encore, au Japon.
Une signature québécoise
Libraire chez Pantoute depuis 35 ans, Marco Duchesne avance que « la BD québécoise a une histoire aussi longue que la BD européenne ». L’historienne, Mara Falardeau, montre d’ailleurs que les premières bandes dessinées francophones à utiliser de façon systématique le phylactère, ce qu’on appelle communément les bulles, sont québécoises. Si les BD avec phylactères naissent dans les journaux américains en 1896, dès 1904, dans la presse quotidienne, des bandes dessinées avec des bulles sont publiées. C’est en termes de visibilité qu’elle a rencontré quelques accrocs, d’après le libraire: « Ça l’a pris un peu plus de temps à se faire connaître, à se faire aimer, à se faire diffuser. » Son âge d’or est arrivé plus tardivement.
Marco Duchesne souligne qu’à ses débuts, les éditeurs québécois étaient frileux à l’idée d’éditer de la bande dessinée. Les auteurs se sont alors tournés vers des moyens à leur portée. À travers des formats autopubliés, ils ont commencé à raconter des récits autobiographiques et à se confier. Ce genre intimiste est devenu une expertise des bédéistes québécois.

Première Québécoise à gagner le Grand Prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) en 2022, Julie Doucet est considérée comme la pionnière de ce genre au Québec, d’après Marco Duchesne. S’étant exilée aux États-Unis et publiant en anglais, Julie Doucet est inspirée par la mouvance punk et par le contexte socio-économique rude des années 1980. Propriétaire de la librairie Première Issue, David-Alexandre Riverin considère que le travail de cette bédéiste est représentatif de ce qui se créait dans l’underground américain à l’époque.
Pour Marco Duchesne, il y a une continuité dans la production de bandes dessinées au Québec. Avec le temps, des bédéistes tels que Mélanie Leclerc, Jimmy Beaulieu et Catherine Ocelot ont fait du récit de soi un créneau à explorer.
Au tournant des années 2000, une conjoncture favorable à l’établissement de maisons d’édition québécoises a aidé à stabiliser l’industrie de la BD au Québec, affirme Sylvain Lemay, professeur titulaire à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Ce dernier est d’ailleurs à l’origine de la première formation universitaire dédiée à la bande dessinée fondée en 1999 à l’UQO, ce qui a grandement participé à l’essor de la BD au Québec et à sa relève.
« On parle de spectacles de danse, on parle de pièces de théâtre. On parle de bandes dessinées un peu sur le même niveau, dans un même champ culturel. » – Sylvain Lemay

Alors que dans les années 1990, l’univers de la bande dessinée était peu commenté dans les médias, on lui consacre à présent des chroniques hebdomadaires. Cette reconnaissance à plus large échelle a permis aux lecteurs d’ici de mieux saisir les origines du 9e art au Québec. Chaque année, les prix Bédéis Causa remis lors du Festival Québec BD mettent également en lumière des auteurs qui marquent en temps réel le Québec.
Le travail de Michel Rabagliati en est un des plus marquants pour la BD québécoise tant par la popularité de sa série Paul que par les thématiques abordées. C’est là, selon Sylvain Lemay, que le Québec peut se distinguer dans le paysage de la BD internationale. Il ajoute que, pour sortir du lot à l’étranger, « il faut parler de nous, de notre histoire, de notre passé », ce qui n’est pas toujours bien reçu par les lecteurs franco-belges.
Au confluent de l’espace franco-belge et des États-Unis, la bande dessinée québécoise porte cette double influence. Nos voisins au Sud ont une tradition bien ancrée de super-héros, mais également une autre de BD d’auteurs qui percolent sur les productions d’ici. De l’autre côté de l’Atlantique, la forme des albums franco-belges tels que Spirou ou Tintin a également laissé ses traces.
Un marché international
« C’est ça le défi en ce moment. Il y a de plus en plus de lecteurs intéressés par la BD, mais il y a encore de la place. Il pourrait y en avoir d’autres. », affirme Francis Desharnais. Les ventes de bandes dessinées québécoises augmentent chaque année. Les éditeurs étrangers gardent tout de même une large part du marché de la BD au Québec selon le Bilan Gaspard du marché du livre au Québec de 2021. Cette année-là, l’album le plus vendu était Astérix et le griffon de Jean–Yves Ferri et Didier Conrad, ce qui montre l’engouement toujours présent pour les classiques français.
L’ouverture du marché de la bande dessinée a permis à des auteurs québécois de faire leur place à l’international, selon Marco Duchesne. En effet, avec la transformation des canaux de communication, des bédéistes peuvent demeurer au Québec tout en étant publiés par des maisons d’édition françaises ou étasuniennes.
Sylvain Lemay remarque d’ailleurs que l’emploi de l’anglais est fréquent chez ses étudiants à l’UQO, et ce, afin de rejoindre un public à l’étranger. Ce phénomène n’est pourtant pas unique au Québec, précise David-Alexandre Riverin, propriétaire d’une librairie spécialisée en BD en langue originale anglaise.
« De la BD locale, il n’y en a presque plus. Ce que je veux dire, tout le monde veut être lu par tout le monde. » – Marco Duchesne