L’institut de la statistique du Québec compile plusieurs données quant à l’utilisation des bibliothèques publiques dans la province. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les abonnements ne sont pas en chute libre, et le nombre de visites physiques dans les bibliothèques a augmenté entre 2009 et 2019.
La rénovation de la bibliothèque Gabrielle-Roy, dont les travaux entamés depuis 2019 ont coûté 43,3 millions de dollars et viennent juste de se terminer, illustre parfaitement l’évolution des bibliothèques contemporaines. Bien plus que de simples lieux de prêt de livres, elles sont désormais des espaces de socialisation et d’échange, jouant un rôle crucial dans la transmission de l’information, la promotion de l’inclusion et la cohésion sociale. Ce projet reflète ainsi une continuité dans l’engagement envers la culture et le développement communautaire, soulignant l’importance continue des bibliothèques dans la vie urbaine contemporaine.
L’inauguration de la bibliothèque Gabrielle-Roy en 1983 a marqué un tournant décisif pour Québec, démontrant l’importance de la culture dans le développement urbain. Son arrivée a également joué un rôle essentiel dans la revitalisation du quartier Saint-Roch, alors en déclin, signalant ainsi un investissement culturel de 7 millions de dollars, à l’époque, dans une période où une telle initiative semblait risquée pour la ville.
La bibliothèque Gabrielle-Roy par Gala Dionne
La nouvelle version de la bibliothèque accueille plus de lumière avec une fenestration accrue, tout en conservant le choix stratégique du site et la structure ouverte de l’atrium central, des caractéristiques toujours pertinentes. Sa mission de placer l’apprentissage, l’échange et la découverte au centre de la vie des Québécois reste inchangée.
La Ville justifie cet investissement par la nécessité d’agrandir les lieux (de 25%) et de les rendre plus lumineux. La mobilisation de telles ressources indique peut-être que les bibliothèques sont toujours des milieux indispensables à une vie sociale digne de ce nom?
Les bibliothèques comme tiers lieux
Le rôle des bibliothèques dépasse aujourd’hui largement celui d’un entrepôt à livres ou d’un lieu pour les emprunter. Elles sont devenues ce qu’on appelle un tiers lieu. Après la maison et le travail ou l’école, la bibliothèque a maintenant pour vocation d’être un lieu de rencontre que l’on habite pleinement. Les usagers y viennent dorénavant non seulement pour avoir accès à la connaissance et à l’information, mais ils ont aussi l’occasion d’y vivre toute une panoplie d’expériences culturelles (expositions, contes animés, etc.), et de socialiser avec des gens de tous les horizons. Il s’agit en somme d’un autre «chez-soi» qui vise à accueillir tous les citoyens sans discrimination.
Cette nouvelle vocation est en phase avec le Manifeste de l’UNESCO sur la Bibliothèque Publique, qui stipule que « les services de la bibliothèque publique sont fournis sur la base de l’égalité d’accès pour tous, indépendamment de l’âge, de l’origine ethnique, du sexe, de la religion, de la nationalité, de la langue, du statut social et de toute autre caractéristique ».
En plus de remplir une mission éducative évidente, les bibliothèques jouent également un grand rôle social, en campagne comme en ville. En ce qui concerne les milieux urbains, les tiers lieux que sont les bibliothèques remplissent une mission sociale toujours plus larges.
Au cœur des villes
Pour Annick Germain, chercheure en études urbaines et sociales à l’INRS, les bibliothèques apportent des avantages bénéfiques dans les vies communautaire, culturelle et sociale d’un arrondissement ou d’un quartier. Elles remplissent donc leurs nouvelles missions d’inclusion et de cohésion sociale. Dans les quartiers montréalais où la diversité multiethnique est très présente, la chercheuse souligne que les bibliothèques représentent au cœur des villes un lieu d’hospitalité et d’accueil pour les nouveaux arrivants. Selon elle, ces lieux jouent un grand rôle dans l’intégration des immigrants et permettent de briser l’isolement, tout en faisant des liens avec d’autres individus.
Pour la docteure en sociologie urbaine, les bibliothèques sont bien plus qu’un lieu pour emprunter des livres. Elles sont devenues des institutions très importantes pour les villes, car leurs fonctions se sont élargies. Elles remplissent encore et toujours des fonctions éducatives, mais leur mission est de plus en plus sociale. Les bibliothèques d’aujourd’hui offrent des programmations comprenant des activités variées qui rejoignent des populations diverses. Elles sont vivantes, inclusives et s’ajustent sans cesse aux besoins des citoyens.
De plus, en milieu urbain, l’accroissement de problèmes sociaux tels que l’itinérance, rend l’intégration d’intervenants sociaux incontournable, selon Annick Germain. Effectivement, les bibliothèques sont de grands espaces publics qui ont bien souvent un accès direct qui donnent sur les rues des grands centres. Cependant, la chercheure ajoute que bien que certaines sections des bibliothèques doivent être protégées, il est impossible de fermer les yeux sur certaines réalités des grands centres urbains et des quartiers défavorisés. Pour autant, les bibliothèques ne peuvent être cloisonnées.
Pour Denis Chouinard, président de l’Association des bibliothèques publiques du Québec, les bibliothèques représentent un lieu de socialisation et d’échanges. Les activités prévues dans la programmation des bibliothèques induisent cette socialisation.
« Les personnes qui ont peu de moyens, itinérantes ou souffrant de problèmes de santé mentale sont bien souvent mal reçues dans les institutions ». Pour le président, les bibliothèques sont des lieux de proximité qui doivent au contraire favoriser l’inclusion.
Elles ont donc un rôle social à jouer à l’instar de celles de Drummondville, de Saguenauy et de Québec qui travaillent de pair avec des travailleurs sociaux. Elles produisent un travail de prévention qui permet d’outiller leur personnel pour savoir comment agir et comment accueillir les plus vulnérables.
Au cœur des villages
En dehors des villes, dans les communautés plus éloignées et les villages, le vieil adage selon lequel « tout le monde connaît tout le monde » est de moins en moins vrai. La disparition et la dépopulation des lieux communs, tels que les églises, les clubs et les parcs aggravent l’isolement vécu par plusieurs citoyens. Selon Sébastien Ouellet, professeur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), chaque communauté doit avoir un lieu de rencontre public et accessible – un tiers lieu en somme – pour combattre ce phénomène.
En région, l’idée qu’une bibliothèque n’est qu’un entrepôt de livres, un lieu intellectuel où le silence est de mise est à bannir. Pour répondre aux besoins des petites communautés rurales, elle se doit de devenir un lieu rassembleur, un lieu qui permettrait aux gens de se rejoindre pour des activités culturelles près de chez eux.
Le professeur Ouellet ajoute aussi que la flexibilité est très importante dans les régions. Les bâtiments multifonctionnels ont de meilleures chances de survie que ceux à vocation unique. Dans cette optique, le professeur a aidé à la mise en place d’un projet dans le village de Sainte-Perpétue: la médiathèque l’Héritage de l’Islet-Sud.
D’autres idées sont en route pour cette médiathèque, comme y intégrer la bibliothèque municipale et rendre le parvis plus accessible. Le modèle de Sainte-Perpétue est déjà imité par des villages voisins. Le temps dira si le modèle deviendra populaire dans la province.
Qu’il s’agisse de redonner vie aux anciennes églises des villages ou d’adopter une nouvelle vision de la bibliothèque dans les milieux urbains, il importe plus que jamais de réaliser à quel point ce lieu fait partie intégrante du tissu social qui fabrique notre société.