La campagne fédérale de 2015 est la plus longue depuis 1872. Cette campagne de 78 jours n’a pas empêché l’oubli par les cinq chefs de parti de quelques enjeux pourtant importants, à la faveur de certains thèmes omniprésents.

Parmi les thèmes qui ont monopolisé les débats et les discours, un sujet en particulier a éclipsé tous les autres, celui du niqab. Le caricaturiste Graeme MacKay a illustré cette omniprésence par le dessin d’un iceberg dont la partie cachée regroupe tous les autres enjeux dont on parle trop peu, selon le dessinateur. Voici les quatre sujets qui ont été oubliés.

Les pauvres et les itinérants

La classe moyenne a été un grand sujet de débat, au détriment des populations plus pauvres. Pourtant en 2013, selon Statistique Canada, 13,5 % de la population canadienne avait un faible revenu. Les groupes ayant un taux de pauvreté plus élevé sont notamment les mineurs, les aînés vivant seuls, les familles monoparentales, les autochtones et les nouveaux immigrants.

Le Collectif régional d’itinérance en Outaouais a lancé un appel pour dénoncer l’oubli dans la campagne des populations très pauvres comme les itinérants. À ce jour, il n’y a pas de chiffres précis de l’itinérance au Canada ; seules des estimations sont réalisées par les mairies. Des bénévoles ont recensé le nombre de sans-abri à Montréal et en ont décompté environ 3 000 en 2015. En 2011, selon la série de Radio-Canada «Naufragés des villes», le Secrétariat national du Canada pour les sans-abri estime que ce problème touche environ 150 000 personnes.

L’agroalimentaire

Si l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ont été abordés en vue de la conférence sur le climat à Paris en décembre prochain, le secteur de l’agroalimentaire n’a été que frôlé dans le cadre du Partenariat Transpacifique. Ce traité, qui implique 12 pays, représente 40 % de l’économie mondiale. L’entente conclue entre les dirigeants traite plus des grandes firmes que des petits producteurs, qui sont inquiets au sujet du maintien du système de gestion de l’offre. Mis en place 1970, ce dernier permet de maintenir un équilibre entre l’offre et la demande pour contrôler les changements des prix et ainsi garantir une certaine équité dans la concurrence.

Cette ouverture au libre-échange va largement influencer les petites et les moyennes entreprises, qui subissent déjà une concurrence peu équitable face aux grandes entreprises du secteur. En terme de production, à l’échelle provinciale, une ferme du Québec possède en moyenne 64 vaches laitières par troupeau, quand une ferme de Californie en possède en moyenne 1 056 par troupeau. La filière agroalimentaire québécoise s’est mobilisée pour appeler à protéger la gestion de l’offre dans le cadre de ce traité. Dans Le Devoir, Philipe Rollé, conseiller en alimentation et intervenant à Radio-Canada Première, estime qu’il faut faire la promotion d’une «agriculture raisonnée» pour inciter la population à encourager les produits locaux.

Le système de santé et les médicaments

Bien que le secteur du médicament soit concerné par le Partenariat Transpacifique, le sujet est peu représenté dans les débats et les discours des chefs de partis. Pourtant, selon l’Union des consommateurs, les Canadiens paient 30 % plus cher leurs médicaments que les autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Par an, un Canadien dépense en moyenne 795 dollars pour des médicaments prescrits, sans compter ceux en vente libre.

Au Québec, les dépenses en médicaments sous ordonnance atteignent 927 dollars par an et par habitant. Selon Angus Reid, un forum d’études de marché en ligne, 14 % des Canadiens n’ont pas acheté un médicament à cause du prix. Le Canada est le pays au monde à ne pas avoir intégré les médicaments à son système public de santé. Au sein des pays possédant un régime de santé publique, les prix des médicaments sont plus bas de 24 à 48 % qu’au Québec.

Des discussions entre les ministres de la Santé des huit provinces ont eu lieu en juin 2015 pour agir rapidement. Plus de 400 groupes, personnalités publiques et experts se sont réunis pour encourager le passage à un régime public. Selon eux, cela permettrait notamment de baisser le prix des médicaments prescrits, de rendre plus équitable l’accès aux médicaments, mais aussi de mieux contrôler les finances publiques.

Les autochtones

L’Assemblée des Premières Nations affirme que le vote de la population autochtone pourrait faire basculer le résultat dans 51 circonscriptions. Selon l’Enquête nationale auprès des ménages réalisée en 2011 par Statistique Canada, 1 400 680 personnes avaient une identité autochtone en 2011, ce qui représente 4,3 % de la population canadienne. Leur participation électorale est faible, les autochtones ne se sentant pas vraiment concernés par les élections fédérales.

La confiance entre le gouvernement du Canada et les autochtones a été rompue notamment à la suite de la décision du Parti Conservateur de Stephen Harper d’abolir les 160 millions de dollars accordés par le précédent gouvernement pour la protection des langues autochtones. La population autochtone demande par ailleurs une enquête nationale pour faire cesser les crimes et les violences envers les femmes autochtones. Cette revendication intervient suite à la révélation de la disparition ou le meurtre de 1 017 femmes autochtones entre 1980 et 2012. Le gouvernement conservateur au pouvoir a refusé de mener l’enquête.

Par ailleurs, il reste de nombreux problèmes sanitaires à résoudre au sein des réserves. Par exemple, la communauté Neskantaga composée de 350 personnes vit depuis 7 600 jours, soit plus de 20 ans, sans eau potable. Ce sont aussi 2 000 résidences de réserves qui ne sont pas rattachées à l’aqueduc.

De tous ces sujets (pauvreté, agroalimentaire, système de santé, question autochtone), il n’aura été que très peu question tout au long de la campagne électorale…