L’eau douce au Canada constitue environ 20% des réserves mondiales. Une apparence d’abondance, mais les besoins grandissants d’eau potable dans le monde posent de nombreux et nouveaux défis. Pollution, privatisation et gestion de l’eau font partie des enjeux actuels qui entourent cette ressource précieuse. L’Exemplaire tente un portrait de l’or bleu du Québec.

Récemment, le directeur de la santé publique Luc Boileau affirmait que la présence des contaminants, tels que les PFAS (composés perfluorés chimiques et souvent d’origine humaine) n’était pas inquiétante. L’eau municipale est soumise à une réglementation stricte, le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), qui assure que l’eau dans les aqueducs, celle qu’on consomme, est potable et sécuritaire pour la consommation selon l’organisme à but non lucratif Eau Secours. Ce règlement reste spécifique pour les municipalités qui desservent en eau leurs citoyens. 

Contamination

Pourtant, la présence de micro-organismes (E. coli, coliformes fécaux) ou de substances chimiques (plomb, trihalométhanes) font apparaître des cas de contamination de l’eau potable au Québec. Ce sont les eaux de surface, celles principalement utilisées pour desservir en eau les municipalités, qui présentent le plus de cas de contamination. Les rejets des eaux usées d’origine municipales et industrielles, l’utilisation des produits chimiques en agriculture, la présence de plomb dans les aqueducs d’eau potable sont quelques exemples pointés du doigt par Eau Secours concernant les risques de contamination de l’eau potable au Québec. 

Le RPEP interdit certaines activités, telles que les activités de forage et d’hydrocarbures, en proximité des lieux de captage d’eau pour éviter une contamination, mais ce n’est pas suffisant pour la protection de l’eau selon Rébecca Pétrin, directrice générale de l’organisme Eau Secours.  

Rébecca Pétrin est directrice générale d’Eau Secours. (Photo : Ville de Saint-Sauveur).

« On ne peut pas se baser uniquement sur ce règlement-là pour protéger notre eau potable.»  Rébecca pétrin, directrice générale d’eau secours. 

Dans le cas des activités minières, forestières et agricoles, «les normes souscrites dans ce règlement-là ne sont pas suffisantes pour éviter de contaminer ou de détruire la qualité de l’eau potable pour les municipalités, pour les citoyens», mentionne Rébecca Pétrin.

Avec la présence de contaminants dans l’eau, plusieurs solutions de traitement des eaux voient le jour. C’est aussi le cas d’initiatives universitaires telles que la compétition de traitement de l’eau ASCEC Mid-Pac pour étudiants. Ainsi, chaque année, l’équipe de traitement des eaux de l’Université Laval (ÉTEAUL) développe un système efficace et rapide à construire afin de traiter une certaine quantité d’eau contaminée à la suite d’un scénario de catastrophe naturelle. Un défi particulièrement apprécié des étudiants. 

Par sa géographie, le Canada possède un grand réservoir d’eau douce, ce qui donne parfois une impression d’abondance de cette ressource. Plusieurs y voient une opportunité d’y faire un gain économique important, un peu comme l’hydroélectricité au Québec. 

Vers une privatisation ?

La Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés protège l’eau, en tant que ressource, mais d’autres éléments l’entourant pourraient être soumis à une certaine privatisation comme les services municipaux. 

«Le secteur privé n’est pas propriétaire de l’eau, il assume la production et la distribution.» Frédéric Lasserre, professeur à l’université laval. 

La privatisation de l’eau est également un enjeu au cœur des préoccupations de l’organisme Eau Secours. L’eau en tant que ressource publique ne peut être privatisée, mais cette privatisation s’immisce sous d’autres formes au Québec. Par exemple, dans des contrats de partenariat public-privé pour les services municipaux, dans le traitement de l’eau potable et d’assainissement des eaux usées. Même si le Québec a été en partie épargné par les vagues de privatisation de l’eau, contrairement à l’Ontario,  la privatisation peut s’observer dans certaines municipalités.

Et, selon Eau Secours,la privatisation du marché de l’eau peut entraîner quelques dérives. C’est pourquoi l’organisme sans but lucratif milite pour conserver une gestion publique de la ressource notamment en raison de son caractère essentiel à la vie. Au Québec, cette privatisation se voit davantage dans les services de traitement des eaux usées plutôt que dans le traitement et la distribution de l’eau potable. 

Bien qu’une grande partie du Québec ait accès à de l’eau potable directement au robinet,  les Québécois sont d’importants consommateurs d’eau en bouteille. Selon Eau Secours, il y a donc un enjeu au niveau de la mentalité.  Pour l’organisme, l’eau potable non facturée devrait être davantage accessible dans les institutions comme les écoles, les hôpitaux, les bibliothèques et davantage mise de l’avant dans les espaces publics comme les parcs. 

L’industrie de l’eau en bouteille est soumise à certaines réglementations, notamment en redevances payées à l’État. Les compagnies doivent faire une demande pour un permis de prélèvement d’eau qui est octroyé par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, mais cela soulève quelques enjeux pour Rébecca Pétrin, directrice générale chez Eau Secours.

Le poids environnemental de l’industrie de l’eau en bouteille est aussi un enjeu important. En effet, des compagnies comme Evian et Perrier, deux grandes compagnies d’eau en bouteille, ont leur production basée en Europe. Elles ne sont donc pas soumises aux mêmes réglementations qu’au Québec. L’eau Fiji en est un autre exemple.

L’annonce récente de la hausse des redevances, une augmentation du montant de 7 cents à 500$ pour le litre d’eau exploité, une hausse significative, et la mise en place du Fond bleu par la Coalition Avenir Québec sont de bonnes nouvelles pour la protection de l’eau, mais il reste du travail à faire selon Rébecca Pétrin.

Ainsi, malgré les intentions collectives de gestion de l’eau, une multitude d’acteurs, dont les municipalités, le gouvernement provincial et les industries, rendent la rendent plus difficile.

Une gestion de l’eau complexe

Bien qu’il y ait des réglementations, la présence de plusieurs acteurs et l’absence de données fondamentales sur l’état de la ressource (sur son renouvellement, l’inventaire de l’eau, l’état des nappes phréatiques, etc.) rendent la gestion de cette ressource un peu plus complexe au Québec selon Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie à l’Université Laval.

Frédéric Lasserre est professeur titulaire au Département de géographie de l’Université Laval (Photo : Université Laval).

Les phénomènes météorologiques, aggravés par les changements climatiques, ont un impact important sur l’eau et sont de plus en plus fréquents au Québec. De nos jours, ils affectent une plus grande partie de la population, ce qui pourrait poser davantage d’enjeux au niveau de la gestion de l’eau. Frédéric Lasserre, professeur au Département de géographie de l’Université Laval, nous parle de l’état des nappes phréatiques, des enjeux autour de la gestion de la ressource et du mythe de l’abondance de l’eau au Québec. 

En raison de la croissance  démographique et de l’aggravation des changements climatiques, la demande en eau ne devrait qu’augmenter dans les années à venir. Les municipalités doivent donc être prêtes à gérer ces enjeux. 

Ainsi, dans l’objectif d’évaluer la qualité des infrastructures des municipalités du Québec, le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU), avec la participation financière du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), publie chaque année un rapport présentant le Portrait des infrastructures en eau des municipalités du Québec (PIEMQ). 

Ce rapport réunit environ 900 municipalités, ce qui représente environ 90% de la population du Québec, 100 000 km de conduites d’eau potable, usée et pluviale et plus de 10 000 installations de traitement des eaux sous la responsabilité d’une centaine de municipalités sont évalués. La valeur de ces infrastructures représente 172,6 milliards de dollars auxquels il faut y ajouter la valeur de la chaussée qui les recouvre. Grand total : 224,3 milliards de dollars.

Marc-Didier Joseph est ingénieur et est Directeur de projets au CERIU. (Photo : CERIU).

Selon Marc-Didier Joseph, ingénieur et directeur de projets pour le CERIU et auteur du PIEMQ, la majorité de ces actifs sont considérés en bon état, mais certains sont à remplacer. C’est le cas des actifs considérés en mauvais ou en très mauvais état. 

Ainsi, la situation au Québec ne serait pas dramatique grâce à la disponibilité et à l’encadrement de cette ressource. Toutefois, dans les années futures, les enjeux entourant l’eau ne vont que s’accentuer et le rôle du Canada en tant qu’acteur central de cette gouvernance de l’eau devra être mieux défini.