L’industrie acéricole, ce fleuron québécois, est appelée à croître au cours des prochaines années. Les acériculteurs québécois sont-ils prêts à répondre à l’engouement croissant pour les produits de ce secteur spécifique de l’agro-alimentaire ? Comment la pénurie de main-d’œuvre et les changements climatiques affectent-ils l’industrie ? L’Exemplaire est allé à la rencontre d’acteurs dans le milieu acéricole pour leur demander comment vont les sucres, au Québec.
L’industrie acéricole au Québec est représentée depuis 1966 par l’Association des producteurs et productrices acéricoles du Québec. Elle a pour mission d’assurer le plein potentiel de la production et de la vente des produits de l’érable tout en misant, à présent, sur un développement durable. Selon Sylvain Delagrange, professeur en écologie fonctionnelle et écophysiologie végétale à l’Université du Québec, cette organisation est un avantage du paysage acéricole au Québec, notamment en raison de la mise en place d’un système de regroupement et de distribution. Depuis sa création, la production augmente et les pertes de sirop d’érable sont moindres.
Cette association permet également d’aider les acériculteurs à trouver un marché pour leur distribution. Ainsi, les propriétaires de cabanes à sucre peuvent se concentrer sur leur production, contrairement à ceux de l’Ontario qui doivent aussi gérer leur vente eux-mêmes. Cette organisation propre au Québec a donc permis une explosion du secteur acéricole contrairement à son voisin ontarien.
Les modèles d’affaires sont très diversifiés dans le monde acéricole québécois. Plusieurs cabanes à sucre ont conservé leur image plus traditionnelle inspirée du folklore touristique québécois, alors que d’autres misent sur les innovations pour arriver à produire à plus hauts volumes. Un des modèles d’affaires les plus populaires chez les acériculteurs repose sur l’agrotourisme avec la tenue d’évènements et de réceptions durant la période des sucres, ou durant l’année comme les mariages.
D’autres entreprises exploitent les érables dans le but de le transformer et de vendre directement les produits dérivés aux consommateurs, mais cela représente une mince partie des revenus. Très peu d’entreprises se penchent sur les produits dérivés de l’érable pour en vivre à longueur d’année comme le fait La Sucrière à Deschambault.
Pour plusieurs producteurs, la pandémie a été une période difficile en plus d’une baisse de rentabilité pour certains établissements. Certains ont décidé de se tourner vers Ma cabane à la maison, un service de boîte repas créé par l’Association des salles de réception et érablières du Québec (ASEQC). Les cabanes à sucre pouvaient ainsi continuer à vendre leurs repas, mais ce ne sont pas toutes les entreprises qui ont minimisé leur rentabilité pour la saison.
Afin de diversifier leurs sources de revenus, les acériculteurs « commencent à réfléchir à demander des compensations pour la diminution des GES grâce aux érablières », souligne Sylvain Delagrange. Les érablières jouent un rôle en captant le carbone présent dans l’atmosphère et pourraient recevoir des redevances pour ces actions. De plus, pour faire des économies, certaines érablières indépendantes se regroupent autour d’un centre de bouillage, question de se partager les installations. L’eau d’érable étant acheminée vers un même évaporateur, les acériculteurs se réunissent pour bouillir au même endroit.
Il semble donc y avoir un engouement pour ce secteur d’activité comme en témoignent les érablières mises en vente qui trouvent facilement de nouveaux propriétaires. Bien que la demande en sirop d’érable ait augmenté de 20% l’année passée, les gains ne sont pas garantis pour tous les acériculteurs. Selon Marie-Myriam Dumais Synnott, l’achat d’une érablière n’est pas accessible à tous. Si l’industrie acéricole se porte bien, la directrice de Créneau Acéricole précise que cela peut prendre plusieurs années avant d’avoir des gains.
Certaines cabanes à sucre, souvent plus petites, s’occupent de leur production ainsi que de leur distribution et ont tendance à porter une attention particulière à la qualité gustative de leur sirop, mentionne Marie-Myriam Dumais Synnott. En effet, la couleur et la saveur varient en fonction du moment dans la saison des sucres et de plusieurs autres facteurs.
Un sucre moins transformé
Selon la nutritionniste Geneviève O’Gleman, le sirop d’érable est un meilleur sucre en raison de la présence des nutriments – vitamines, minéraux et antioxydants – qui sont conservés lors de sa production. La transformation de l’eau d’érable en sirop est simple et consiste à faire bouillir l’eau et à la faire s’évaporer pour concentrer les sucres. De son côté, le sucre blanc est plutôt le résultat du raffinage de la canne à sucre. Ainsi, la transformation du sirop d’érable est plus minimale, plus douce et, donc, donne un résultat plus brut, moins transformé.
Tout comme le miel, le sirop d’érable est produit localement, ce qui le rend plus facilement accessible dans les cuisines.
Geneviève O’Gleman affirme que « tant qu’à manger du sucre, vaut mieux manger du sirop d’érable que du sucre blanc parce qu’il est plus écologique et plus éthique ». Elle ajoute que les travailleurs dans les champs de canne à sucre n’ont pas nécessairement les meilleures conditions de travail. Le processus de raffinage et les pesticides présents dans les champs sont également nocifs pour l’environnement. Selon Geneviève O’Gleman, le sirop d’érable est important pour l’économie québécoise: plusieurs régions ont un marché économique développé qui repose sur la production de sirop d’érable.
Le sirop d’érable est très parfumé et complexe. Plusieurs facteurs peuvent faire varier son goût. Les chercheurs du Centre ACER, en collaboration avec Jacinthe Fortin et Nancy Graveline du Centre de recherche et de développement sur les aliments, ont développé une roue des « flaveurs » de l’érable qui vont au-delà des saveurs de base : sucré, salé, acide, amer et umami. Elles englobent tous les arômes lors de la dégustation.
Il est possible de décrire les saveurs du sirop d’érable, ce qu’on ne peut pas faire avec le sucre blanc, dont le goût est standardisé et neutre. C’est pour cela que le sirop d’érable est connu internationalement. « Beaucoup de pays vont importer du sirop d’érable pour ses fonctions organoleptiques, pour le plaisir que le sirop d’érable procure […] pour ses composantes gastronomiques. », souligne Geneviève O’Gleman.
Outre les érables, d’autres arbres produisent aussi du sirop, qui peut être également utilisé dans la cuisine. Ils sont encore peu exploités, mais ces sirops commencent à être redécouverts. Geneviève O’Gleman explique que c’est une façon de varier son alimentation et les saveurs, tout en mangeant local.
Sylvain Delagrange constate que les producteurs acéricoles ont opté pour l’arbre qui produisait une quantité intéressante de sève et dont la sève était la plus sucrée. Alors qu’il faut 40 litres d’eau d’érable à sucre pour obtenir 1 litre de sirop d’érable, les autres arbres produisant une coulée bien moins sucrée nécessitent une quantité plus importante de sève et plus de temps d’évaporation pour arriver à un même pot de sirop.
« Ça va être un autre débouché, un autre type de mise en valeur. Ça ne sera jamais un remplaçant de l’érable. » – Sylvain Delagrange
Produire à meilleur coût
Selon Luc Lagacé, directeur de la division Recherche et transfert de technologie du Centre ACER, les défis actuels des acériculteurs sont nombreux et à plusieurs niveaux. L’objectif de produire à meilleur coût reste parmi les principaux et s’est même accentué au cours des dernières années, notamment, en raison de l’inflation.
Le développement de nouvelles technologies et l’optimisation des pratiques par le biais de la recherche viennent soutenir les acériculteurs dans cette quête de rentabilité.
D’après Marie-Myriam Dumais Synnott, directrice de Créneau Acéricole, investir dans les technologies permet d’assurer la rentabilité des érablières, puisque l’innovation permet, bien souvent, des économies de temps et d’énergie. Autour de cette agence de développement économique, gravitent les producteurs québécois qui veulent être à la fine pointe de la technologie. Créneau Acéricole s’est implanté dans la région du Bas-Saint-Laurent, là où les érablières comptent, en moyenne, le plus grand nombre d’entailles, soit 16 500 entailles selon les statistiques de 2021. À l’échelle de la province, la moyenne se situe plutôt autour de 7 500 entailles. Les innovations en matière technologique aident donc ces entreprises à très haut volume à demeurer efficaces.
Pourtant, de tels équipements demandent des investissements majeurs qui, d’après Luc Lagacé, ne seront pas nécessairement payants pour les plus petites érablières. « C’est vrai que les derniers débouchés dans les innovations, ça s’adresse plus à une catégorie d’érablières qui veulent faire un saut vers une plus grande production », précise-t-il.
Les équipementiers acéricoles se sont penchés, dans les dernières années, sur l’amélioration des concentrateurs et des évaporateurs. De plus en plus répandus, les concentrateurs sont destinés à filtrer une partie de l’eau pure de la sève à l’aide d’une membrane semi-perméable tout en conservant les molécules de sucre. Une fois dans l’évaporateur, l’eau d’érable concentrée atteindra un taux de sucre de 66% plus rapidement.
Avec la volonté de devenir une industrie plus verte, des tests concluants ont été effectués par Créneau Acéricole afin de récupérer des tubulures pour en faire des goutte-à-goutte pour l’industrie maraîchère plutôt que de les envoyer au centre de tri.
Améliorer l’efficacité de l’équipement, contrôler la flore microbienne dans le système de tubulures pour éviter les défauts, trouver de nouveaux débouchés dans la transformation des produits de l’érable et s’assurer que la production acéricole tend vers la carboneutralité: voilà quelles sont les priorités, parmi d’autres, pour l’acériculture de demain.
Réchauffement climatique
Mais les changements climatiques menacent de modifier la production de cette industrie forte au Québec. Les chercheurs qui étudient l’érable à sucre et ses capacités d’adaptation soulèvent plusieurs cas de figure. Déplacement de la période de coulée, coulées moins importantes, stress hydrique lié au réchauffement du climat… Bref, les érablières du Québec sont amenées à changer au rythme des perturbations climatiques qui peuvent interférer avec ce processus, surtout au Sud, comme dans les régions de l’Estrie et de la Montérégie ou aux États-Unis.
À ce titre, Sylvain Delagrange, professeur en écologie fonctionnelle et écophysiologie végétale, a mené une étude sur l’incidence du climat sur l’érable à sucre et sur la façon dont le réchauffement grandissant affecte le comportement de l’arbre. Il fait la distinction entre l’érable à sucre et l’érable rouge. Selon lui, l’érable rouge aurait une meilleure capacité d’adaptation que son congénère. Par exemple, ses racines tolèrent davantage d’être dans l’eau que celles de l’érable à sucre. Bien que ce dernier requière des conditions environnementales particulières, Sylvain Delagrange souligne qu’il possède tout de même de bonnes capacités d’adaptation bien qu’elles soient inférieures aux autres espèces d’arbres.
Sergio Rossi, professeur en écologie forestière à l’Université du Québec à Chicoutimi, s’intéresse aussi à l’érable à sucre et à son adaptation aux changements climatiques. Il partage les mêmes inquiétudes que Sylvain Delagrange qui voient, dans les changements climatiques, des perturbations importantes dans l’industrie acéricole au Québec.
Toutefois, les changements climatiques peuvent également rendre de nouveaux territoires propices à l’acériculture. C’est d’ailleurs sur cette possibilité que Marie-Myriam Dumais Synnott, directrice de Créneau Acéricole, s’appuie parlant du développement économique pour certaines régions : « Bien que ça va faire mal à certaines régions, ça va être difficile pour elles de produire du sirop d’érable. Mais, pour d’autres, c’est du développement économique. Je pense au Saguenay-Lac-Saint-Jean. En Gaspésie, ça commence à prendre plus de place dans nos forêts gaspésiennes. »
Malgré tout, Sergio Rossi insiste sur le fait que nous devons agir dès maintenant si nous voulons protéger la biodiversité, puisqu’elle est lente pour s’adapter aux changements climatiques. C’est aussi dans ce sens que les acériculteurs doivent contribuer à respecter des pratiques d’acériculture durables.
« Les producteurs et productrices acéricoles se sont donné des cibles de réduction des GES à l’horizon de 2030. » – Marie-Myriam Dumais Synnott
Si à court terme, les chercheurs et acériculteurs se montrent optimistes, sur le long terme, les producteurs acéricoles devront sans aucun doute adapter leurs pratiques en fonction des bouleversements climatiques qui surviennent.