Tous les mois, des centaines d’individus empruntaient le chemin Roxham pour demander l’asile au Canada. L’accord entre Washington et Ottawa signé le 24 mars a ordonné sa fermeture sur le champ. Pourtant, cela n’empêche pas des demandeurs d’asile d’entrer au Canada en le contournant à quelques enjambées de son balisage officiel, comme le rapporte Radio-Canada. Retour sur la fréquentation d’un chemin qui a gagné en popularité depuis sa réouverture à la suite des années pandémiques

C’est à l’extrémité d’un rang en Montérégie que se trouve le chemin Roxham, un passage de quelques mètres qui sépare le Québec de l’État de New York. De l’autre côté de la frontière, des personnes s’y engagent, bagages à la main, pour demander l’asile au Canada. Ils ont notamment quitté Haïti, le Venezuela, ou l’Inde en passant par les États-Unis.

Une partie adjacente au rang est la propriété du Gouvernement fédéral. Des voitures de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se succèdent près d’un bâtiment de grande taille où sont accueillis les demandeurs d’asile une fois la frontière traversée.

Contrôlé par la GRC, le passage de la frontière canado-américaine implique un protocole bien ficelé, appliqué par les agents affectés au poste non officiel de Roxham. Les ressortissants qui souhaitent déposer une demande d’asile au Canada doivent s’y conformer.

Le chemin Roxham a connu une hausse 

L’année 2022 a été marquée par une hausse importante du nombre de demandes d’asile formulées à ce point d’entrée non officiel. Selon Adèle Garnier, spécialiste des enjeux migratoires et professeure au Département de géographie à l’Université Laval, les passages irréguliers à la frontière sont motivés par des conflits à l’international et par les modalités de l’Entente sur les tiers pays sûrs. 

Adèle Garnier, spécialiste des enjeux migratoires et professeure agrégée dans le Département de géographie à l’Université Laval (Photo: Université Laval)

Parallèlement, le discours politique plutôt bienveillant à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés du gouvernement de Justin Trudeau, à la suite de l’élection de Donald Trump en 2016, a probablement joué un rôle d’activateur de ces entrées frontalières. 

« En partie, ce sont clairement des nationalités où l’on voit une correspondance avec les crises de migration forcée et avec les populations qui sont principalement installées au Canada », explique Adèle Garnier à propos des pays d’origine des demandeurs d’asile.

La fermeture de la frontière et, par extension, du chemin Roxham pour des raisons sanitaires jusqu’en novembre 2021 ont également fait chuter les entrées irrégulières. 

 

Naviguer entre régularité et irrégularité

C’est lors de la signature de l’Entente entre tiers pays sûrs en 2002 et de son application à partir de 2004 que le chemin Roxham est devenu une porte d’entrée non officielle pour le Canada.

Par cet accord, les individus souhaitant déposer une demande d’asile doivent le faire dans le premier « pays sûr » qu’ils franchissent. Toutefois, cette Entente ne régit que les demandes légales qui sont déposées dans des points d’entrée officiels et, ainsi, n’empêchent pas les passages irréguliers comme le chemin Roxham. Alors qu’une renégociation sur les modalités de l’Entente est demandée, Adèle Garnier se montre plutôt pessimiste pour l’avenir.

« Le plus probable, c’est que le Canada et les États-Unis rendent cela plus difficile. Ça ne fera pas disparaître les gens qui cherchent à travers la frontière », précise Adèle Garnier.

Entrevue avec la professeure au Département de géographie à l’Université Laval et spécialiste des enjeux migratoires pour comprendre les contours de Roxham.

Tous les chemins mènent à Roxham

Pourquoi le chemin Roxham est autant fréquenté et connu internationalement ? L’article très documenté de notre consœur Suzanne Colpron (La Presse) explique que ce sont des raisons géographiques qui expliquent sa popularité. Les migrants en provenance de l’est des États-Unis qui veulent se rendre au Canada pour y présenter une demande d’asile vont forcément le faire dans les provinces de l’Est canadien. Alors que le territoire qui relie les États-Unis à l’Ontario est principalement constitué des Grands Lacs et que le lien entre le Maine et Nouveau-Brunswick est éloigné des centres, le Québec est l’option qui reste pour les individus se dirigeant vers le Canada par voie terrestre pour y demander l’asile.

Le voisinage du chemin Roxham

 

À Lacolle, une municipalité du Québec située dans la région de la Montérégie, quelques résidents vivent à proximité du chemin Roxham.

Plusieurs sont en défaveur de la présence du chemin Roxham qu’ils considèrent comme une traversée « irrégulière ». Ils évoquent le coût apparemment trop élevé de l’entretien, de la construction d’un bâtiment de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du processus général d’acceptation de ces demandes d’asile. Pour d’autres, il s’agit d’un chemin « clandestin » et ceux qui utilisent cette traversée dérogent au processus habituel des demandes d’asile, notamment, en évitant le temps d’attente pour obtenir les papiers légaux en passant par les points d’entrée officiels comparativement à ceux qui entrent par le chemin Roxham. Un résident particulièrement contre le chemin Roxham déclare aussi qu’il est surtoutlucratif pour les passeurs et que cela leur bénéficie davantage qu’aux migrants.

Lacolle est une municipalité du Québec qui se trouve à proximité de la frontière canado-américaine (Photo : Mégan Harvey/L’Exemplaire).

En discutant de la traversée « à l’envers », du Canada vers les États-Unis, un répondant affirme que « ce n’est pas le chemin Roxham en tant que tel qui est le problème ». Il ajoute que les migrants ont de bonnes raisons pour traverser la frontière à cet endroit en mentionnant la température glaciale de l’hiver québécois et en abordant, plus tard, la sévérité de la sécurité du côté des États-Unis.De plus, il explique que ce chemin facilite également le processus de repéragedes migrants du côté de la GRC.

Peu de résidents de Lacolle ont déclaré avoir vu des migrants emprunter d’autres chemins, par exemple sur leurs propriétés privées. Une source anonyme a révélé avoir aperçu plusieurs migrants qui traversaient son terrain, particulièrement en période estivale. La GRC demande, à l’occasion, la permission d’arpenter les lieux afin d’interpeler des personnes migrantes ayant traversé hors du chemin Roxham. Ces migrants, entrés de façon irrégulière, vont être par la suite accompagnés à des hôtels sous la propriété fédérale pour commencer le processus des demandes d’asile. 

À Lacolle, l’enjeu entourant les passages irréguliers d’individus à Roxham est bien connu des résidents. (Photo : Mégan Harvey/L’Exemplaire).

Plusieurs organismes ont vu le jour pour venir en aide aux migrants. Du côté canadien, l’organisme Créons des ponts (Bridges not borders) possède deux missions principales, soit de soutenir les migrants dans leur traversée et de sensibiliser les Canadiens à la réalité des migrants. Leur site offre une variété d’informations allant du processus de traversée (disponible en plusieurs langues) à une liste de suggestions d’actions proposées aux Canadiens pour aider les migrants. Créons des ponts se coordonne, entre autres, avec des organismes tels que Plattsburgh Cares, dans l’état de New York. Celui-ci a aussi pour objectif de faciliter la traversée des migrants jusqu’à la frontière du Canada, mais ne s’y limite pas.

La hausse importante de demandes d’asile par les voies régulières et irrégulières ne fait qu’agrandir les délais d’attente. Leur dossier est pris en charge directement à Roxham par des agents de la GRC, mais des délais persistent notamment pour l’approbation de leur demande et l’obtention d’un permis de travail. 

Le chemin Roxham continue de diviser au Québec alors que de récents sondages estiment qu’une majorité de Québécois sont en faveur de la fermeture de ce passage. Selon Adèle Garnier, ce sondage est circonstanciel : « De manière générale, quand vous dites “est-ce que vous voulez que le Canada accueille plus de personnes qui fuient la persécution ?”, on voit une très forte majorité de Canadiens qui disent “oui”. »

Renégociation et suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs sont évoquées par certains politiciens provinciaux qui pressent le gouvernement fédéral d’ajouter cet enjeu à leur l’agenda politique.