La photographie argentique, longtemps la norme en photo, a été détrônée au début des années 2000 par la suprématie du numérique. Pour Marion Desjardins, photographe, la pratique de la photographie argentique représente un retour aux sources accompagné d’un certain réconfort. Elle attribue également une excitation et une « magie » à ce type de photo. « J’ai tout appris avec l’argentique », résume la photographe.
Selon Marion Desjardins, apprendre la photographie en débutant avec des appareils à pellicules est une bonne manière de comprendre l’essence de la photo. Cela constitue aussi une occasion de réfléchir, de penser à chaque petit élément avant de cliquer sur le déclencheur. « C’est plus tangible que le numérique, plus vivant aussi côté visuel, puisque le tout est créé grâce à un procédé chimique et non pas par des pixels », explique la photographe qui pratique la profession sous le nom de Llamaryon. Pour bien des adeptes de l’analogique comme Marion, le passage à la photographie argentique permet de prendre une pause et un recul face à l’instantanéité du numérique en raison du nombre limité de poses sur une pellicule.
Compte tenu des particularités qui accompagnent chaque type de film ou d’appareil, les images produites grâce à la pellicule possèdent des caractéristiques propres à cette pratique. Selon Marion Desjardins, cela procure une valeur ajoutée à l’argentique. « On ne peut pas reproduire la chaleur du grain argentique, même avec tous les filtres possibles. Juste pour ça, ça vaut tout l’or du monde », insiste la photographe.
La disponibilité des caméras argentiques sur le marché de seconde main permet de convaincre Marion Desjardins que ce type de photographie sera en mesure de perdurer dans le temps. Certes, le besoin d’obtention rapide d’un produit découragera toujours des gens à s’adonner à l’argentique, mais cette pratique ne tombera pas dans le « désuet », selon la photographe. Elle explique que l’accessibilité parfois difficile des pellicules et du développement risquer de « nicher » les photographes argentiques dans leurs propres petites communautés. Toutefois, le médium restera toujours pertinent aux yeux de Marion Desjardins, puisque « ça représente l’histoire de la photographie ».
Popularité en hausse surtout chez les jeunes
Chez Les Antiquités Bolduc, commerçant d’objets et meubles anciens situé sur la rue Saint-Paul à Québec, l’engouement provoqué par la photographie argentique n’est pas passé inaperçu. En effet, Frédéric et Stéphanie Bolduc, antiquaires, ont constaté une hausse de la demande pour les caméras antiques dans les dernières années. L’enthousiasme provoqué par le lancement de la nouvelle pellicule, l’Ektachrome E100, par la compagnie Kodak à la fin de l’année 2018, reflète cette tendance. L’intérêt grandissant des communautés d’adeptes de la photographie argentique et des clients de la boutique pour les appareils photo a poussé les antiquaires à augmenter leur inventaire : une large collection d’appareils anciens de tous les genres a d’ailleurs été acquise au cours de l’année 2018.
Selon Frédéric Bolduc, même si l’important volume de caméras requiert une plus grande surface en boutique et un entreposage méticuleux, « ce n’est qu’une question de temps avant de vendre ». Il estime également que l’écoulement du « stock » ne constitue pas un problème, car le temps n’a pas d’incidences graves sur la durabilité ou les mécanismes des différents appareils. Ses seules pertes sont les films qu’il place en décoration, mais l’antiquaire souligne que certains photographes plus expérimentés recherchent ces « bobines » expirées. Pour les occasionnels, M. Bolduc note que l’achat de pellicules neuves est encore possible. Ces produits manufacturés par des compagnies comme Kodak, Fujifilm et Ilford sont disponibles en ligne ou chez certains commerçants spécialisés.
Les différents étalages situés stratégiquement à l’entrée de la boutique ont d’ailleurs encouragé plusieurs curieux à entrer jeter un coup d’œil. Les antiquaires remarquent ainsi une hausse d’affluence de la part de photographes curieux, adeptes ou « maniaques » de ces appareils autrefois soigneusement imaginés et conçus par les géants de la photo. Cet intérêt a également provoqué des retombées économiques pour la boutique de la rue Saint-Paul. Lors de la période estivale de 2018, Frédéric Bolduc estime qu’ils ont été en mesure de vendre « une caméra par jour pendant presque soixante-dix jours ». Selon lui, parmi les consommateurs les plus intéressés se trouvent les jeunes de 16 à 30 ans. Pour les deux antiquaires, l’âge de cette clientèle laisse présager le maintien ou l’augmentation de la demande à long terme. Quant à la raison de ce gain de popularité chez les jeunes, Stéphanie Bolduc soulève le fait qu’ils n’ont pas connu l’âge d’or de l’argentique et cette nostalgie du passé expliquerait le retour à la mode de la photographie analogique.
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Les avantages et les inconvénients de la photographie argentiques
Pour Richard Baillargeon, cette hausse de popularité de la photographie argentique est plutôt présente chez les amateurs et non pas chez les professionnels de la photographie. Celui-ci est professeur professeur à l’École d’art de l’Université Laval et il se spécialise dans les arts visuels. Il ajoute que : « Cet engouement pour la photographie argentique, il n’est pas autant présent chez les photographes professionnels. Pour beaucoup d’entre eux, ils privilégient les outils numériques». Le numérique offre la possibilité d’avoir instantanément accès aux photos qu’on vient de prendre.
Pour saisir cette passion de la photographie argentique (ou analogique), il faut plutôt y voir une mode, notamment avec l’aspect vintage qui est relié à cette technique, selon M. Baillargeon. Il explique : « Les appareils photos de l’époque argentique, souvent les gens les considèrent comme des objets vintages. Des objets qui ont un rapport intéressant et intrigant.»
La production de photographie sur pellicule présente pourtant plusieurs défis. L’une de ses contraintes est l’accès à une chambre noire pour développer les photos. Nombre d’entre elles ont disparu avec l’arrivée du numérique. Selon M. Baillargeon, la photographie argentique n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut une formation technique et beaucoup de pratique avant d’être en mesure de comprendre les rudiments de cette pratique de la photographie. Pour illustrer les difficultés de la photographie argentique, il dit : « Les produits et les machines pour cette technique sont difficiles d’accès. À Québec, il y a un seul laboratoire pour faire de la pellicule couleur. Il y a donc peu de ressources.»
La photographie argentique présente un aspect artistique pour certaines personnes. Cette idée est partagée par Richard Baillargeon. Selon lui : « Le grain de la photographie argentique peut être intéressant pour donner une matérialité particulière à l’image». Par contre, M. Baillargeon ajoute que l’appréciation pour la qualité d’une photo argentique reste une question de goût pour chaque personne.
Il faut prendre en compte qu’au niveau de la qualité de la photo, le numérique n’a rien à envier à la photographie argentique. Selon le professeur de l’Université Laval : « Jusqu’à une date assez récente, la qualité des capteurs numériques avait des hauts et des bas, mais actuellement, on a des capteurs numériques qui permette d’obtenir des photos de très hautes résolutions». Ainsi, le choix d’une technique de photographie est avant tout une préférence personnelle pour chaque photographe.
La chimie derrière l’image La photographie argentique désigne la technique d’obtention de photo grâce à un procédé photochimique. Selon l’Encyclopédie Universalis, ce principe repose sur l’exploitation de la photosensibilité et de de trois halogénures d’argent, le bromure, le chlorure et l’iodure d’argent (d’où l’appellation argentique). La réaction photochimique survient lorsque la lumière entre en contact avec la pellicule recouverte d’une fine couche d’émulsion (mélange hétérogène des différents halogénures). En dépit de plusieurs avancées techniques au cours de l’histoire, la procédure d’obtention d’une image en argentique reste fondamentalement la même. Chambre noir (Crédit photo:Laurent O’Connor-Blanchard) Selon un temps d’exposition déterminé manuellement par le photographe ou mesuré automatiquement par l’appareil, la lumière entre dans un boitier hermétique (chambre photographique) par une ouverture ou une lentille. Cette lumière est ensuite captée sur une pellicule photosensible et laisse une image « invisible » sur le film. Puis au développement, le film est immergé dans divers produits chimiques afin de rendre l’image « visible » et la faire apparaître sur la pellicule. Les pellicules de types négatifs (lumières et couleurs inversés) ou diapositives (directement observables) pourront par la suite être projetés sur du papier photosensible en chambre noire ou numérisés afin d’obtenir l’image. |