La perte, l’identité. Deux sujets millénaires en littérature, mais toujours actuels, pour lesquels certains écrivains réussissent encore à surprendre un lectorat rapidement lassé. Comment aborder, donc, la lecture du roman Les Falaises, qui traite de ces thématiques humaines au profond de la grisaille automnale, alors que le printemps peine à nous délecter des premières caresses chaleureuses du soleil ?

Dans ce premier roman, Virginie DeChamplain nous enveloppe dès les lignes initiales d’images qui ne détonnent pas de la monochromie et de la dépression sociale qui nous frappe. Le récit de V, la protagoniste qui ne sera jamais nommée, propose ce que l’humain typique ressent du haut de l’un de ces plans verticaux menant à la mort, lorsque les instincts s’éveillent : un vertige.

Le fait que V, la femme à travers laquelle se dévoile l’histoire, porte la même initiale que l’auteure laisse présumer une part d’autofiction. D’autant plus qu’elles partagent également leurs origines, accrochées à la rive sud du fleuve Saint-Laurent, de Rimouski aux côtes gaspésiennes. La familiarité des lieux forge la crédibilité des images : « Les vieux pickups parkés croches. Les chiens laissés lousses » ; on sent presque l’odeur des vents du large en octobre, entre les lignes.

L’intensité de chaque page semble bien dosée à travers les voix narratives différentes, qui délimitent les fils de la toile des générations. On tourne une page, puis une autre, et encore une autre : on se laisse absorber dans un univers à la fois triste et beau, où l’angoisse et la liberté de V dansent de phrase en phrase. On se prend au jeu ; on voyage avec elle.

Les déclinaisons du voyage

Entre poésie riveraine, réflexion sur l’héritage de mère en fille et voyage dans les fjords islandais, DeChamplain nous offre un texte dense que n’aurait pas renié l’Albert Camus de L’étranger. Au-delà de la trame scénaristique similaire du protagoniste qui se replonge dans son passé au décès d’un parent, quelques marqueurs textuels y font écho. La phrase courte rythme chaque page. L’ambiance parfois lourde, parfois émotive, laisse peu de répit au lecteur. V emprunte même parcimonieusement l’apathie au personnage de L’étranger.

L’auteure signe un roman émotif, personnel, d’une puissance qui transcende la simplicité des mots, mais dont l’impact résonne des jours après avoir tourné la dernière page. L’écriture contemporaine omet généreusement les prépositions et articles : elle lie la narration aux dialogues sans créer de cassure. Une lecture qui coule donc aisément, et qui met en lumière le langage coloré (parfois pittoresque) des personnages et leurs sensibilités, lors des quelques escapades hors du Jeomniprésent.

Un premier roman fort, en contrastes, à la fois doux et rêche, auquel on pourrait reprocher son format très aéré de 200 pages et des poussières. L’ensemble aurait bénéficié de quelques pages supplémentaires pour étoffer davantage un récit ancré dans le concret, le réel, mais aussi aérien à l’occasion, offrant plusieurs vertiges : « La plus belle falaise d’Islande / Une main sur la barrière / Un pied dans le vide ». Un récit de femmes bercées de nostalgie, de souvenirs d’une enfance instable, mais aussi d’un amour immense que les déchirures de la vie ne pourront jamais endiguer. Virginie DeChamplain, une plume actuelle et sensible. À découvrir.