À Québec, plusieurs acteurs du milieu de la photographie font perdurer, par leur travail et leurs démarches, la riche tradition de photographes. À travers leurs rôles et implications dans le domaine de la photo, ils s’inscrivent dans un patrimoine culturel vieux de plus d’un siècle. Plusieurs familles et individus se sont succédés à travers les années et ont permis l’évolution et la perennité du patrimoine photographique de la ville de Québec.

Certains pionniers, comme les membres de la famille Livernois, ont davantage marqué l’imaginaire des amateurs de photographie. Jocelyn Paquet, fondateur de Les Archives du Photographe attribue l’engouement envers cette famille de Québec au riche héritage laissé derrière eux. Même s’il estime que plusieurs célèbres photographes ont également contribué au patrimoine de Québec de par leurs  inestimables oeuvres, Jocelyn Paquet reconnait qu’il est difficile de surpasser la réputation des Livernois. « Ce qu’ils ont laissé en héritage, ce sont surtout des images de Québec à l’époque, le Québec d’autrefois et le Québec au temps de la religion », ajoute M. Paquet.

Selon l’archiviste, capturer et documenter la vie des citoyens de la ville de Québec à la fin du 19e siècle exigeait des moyens particuliers. « Il fallait être là, il fallait avoir des caméras de qualité et il fallait savoir utiliser les chimies pour le développement », explique Jocelyn Paquet. Selon lui, le fait que les Livernois étaient les premiers dans le milieu de la photographie est la principale raison expliquant l’indélébile trace qu’ils ont laissé dans l’imaginaire de la société. Avec des documents produits par quatre générations de Livernois, le fonds J.E. Livernois Ltée est en effet un des plus volumineux de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) Le fondateur des Archives du Photographe espère que l’intérêt envers les Livernois donnera également de l’attention aux réalisations d’autres pionniers de la photo. L’homologue anglophone des Livernois à l’époque, W.B. Edwards, ainsi que Paul Gouin, Fred C. Würtele et Philippe Gingras étaient de grands photographes et figurent pour la plupart à la BAnQ. Selon Jocelyn Paquet, comme les Livernois, ils ont tous capturé admirablement la vie et le Québec d’autrefois.

Même s’il estime que « le temps des vrais photographes de profession est un peu disparu » en raison de la libéralisation du milieu de la photo, « phénomène accentuée par l’appareil photo dans les téléphones cellulaires », Jocelyn Paquet explique que les photos et les techniques restent. Pour celui qui a consacré les dernières années de sa carrière à la conservation et la préservation des archives de l’histoire, « l’héritage des grands photographes du passé saura perdurer, car on a des photos, du matériel physique et des négatifs. Les négatifs, on peut les placer sous la lumière du jour et voir les photos avec ses yeux ». Pour lui, l’empreinte des Livernois et autres photographes d’autrefois alimenteront toujours les souvenirs et leur travail photographique sur pellicule restera à jamais de l’art.

Un savoir en voie de disparition

Pour certains acteurs du milieu, se consacrer à la conservation de matériaux, de techniques, de savoirs et d’appareils anciens est nécessaire à la pérennité du patrimoine culturel de la photographie. D’autres, comme René Genest, le font par simple passion et respect pour l’histoire.

De nature curieuse, René Genest raconte qu’au début de l’adolescence, plusieurs de ses escapades en ville aboutissaient devant le studio Livernois. Dans les années 50 et 60, le studio était en effet un des seuls endroits à Québec offrant la possibilité aux amateurs de photographie de mettre la main sur des caméras allemandes de renom comme ceux de marques Leica, Hasselblad ou Zeiss Ikon. « Les boitiers Hasselblad m’ont toujours fasciné », explique t’il. Aujourd’hui technicien en réparation d’équipement photo chez Caméra Pro Service, il rigole encore à se rappeler la fois où, vers l’âge de 13 ans, il avait été chassé de la devanture du magasin par le propriétaire. « Qui aurait cru qu’un Livernois chasserait un futur mécano certifié Hasselblad de la vitrine de son magasin, alors qu’il regardait des Hasselblad ! », ironise René Genest.

Depuis cette époque de lèche-vitrine, René Genest s’est consacré à l’apprentissage des techniques propres à la photographie. Son expérimentation de type essai-erreur et ses formations auprès des géants de la photo l’aident aujourd’hui à « comprendre l’univers autour de nous », qualités essentielles à l’exercice de son métier, selon M. Genest. La technologie, la chimie et la physique mécanique sont toutes des connaissances générales développées et apprises par une exposition de longue durée au domaine de la photographie, explique René Genest. Il s’inquiète cependant de la disparition progressive de ce savoir particulier, puisque selon lui, « l’obsolescence programmée et les techniques de conception des nouvelles caméras » empêchent les plus jeunes du milieu d’acquérir le savoir-faire nécessaire à la réparation d’appareils photos anciens. Depuis la fermeture du studio Livernois en 1974 et de plusieurs autres boutiques spécialisées, les services offerts par le technicien se font plutôt rares à Québec. Selon lui, il est important de continuer de nourrir l’intérêt et la fascination des générations plus jeunes envers les techniques et éléments d’ingéniosité du passé.

D’un grand respect pour l’histoire, René Genest estime également que son métier le place dans une position privilégiée. Mettre la main sur des caméras de toutes les époques lui permet de toujours rester « à jour » et même s’il commet encore des erreurs dans la réparation de certains modèles, il s’acharne. « Le travail doit être bon, les gens doivent partir avec une caméra qui fonctionne comme à l’origine. Si mon travail est mauvais, je recommence et ce, jusqu’à ce que je sois content de l’état final de l’appareil », ajoute le technicien reconnu pour son travail partout en Amérique du Nord. « On n’ajoute rien aux caméras anciennes, contrairement aux plus récentes. On fait juste leur donner l’amour nécessaire, les remettre sur la bonne « track ». On prolonge la vie et l’histoire ».

Harmoniser jadis et aujourd’hui

À l’ère du numérique, où tout le monde a facilement accès à une caméra de qualité, certains photographes exploitent les procédés anciens par respect de la photo. C’est le cas d’Antoine Perrone, photographe amateur de Québec. Par souci de conserver une démarche pertinente et une richesse à ses photos, le jeune photographe a décidé d’utiliser l’argentique. Il estime que la photographie sur pellicule est beaucoup plus vivante et tangible que la photographie numérique, car « le numérique ce sont des pixels sur un écran, tandis que l’argentique découle d’une réaction chimique, d’où son caractère vivant ». Même si les caméras récentes et les capteurs de grande précision produisent des photos de fabuleuses résolutions, Antoine Perrone préfère tout de même le grain, la poussière et les imperfections de l’argentique, ainsi que l’imprévisibilité de la photographie de rue.

La passion du photographe de Québec pour la photo n’est pas apparue soudainement. Elle s’est plutôt développée comme résultat naturel d’un penchant pour l’observation d’oiseaux. « J’ai pu développer la patience, l’appréciation pour le moment et son caractère éphémère. Beaucoup d’éléments se reflètent aujourd’hui dans mon quotidien et dans mon style de photographe », explique Antoine Perrone.

Selon lui, l’intérêt qu’il entretient pour l’argentique depuis quelques années alimente également sa passion pour la photographie. Mettre la main sur une caméra au caractère historique, apprendre des techniques de développement et connaitre le parcours des photographes d’autrefois sont tous des éléments inspirants pour le photographe. Il estime que cette appréciation pour l’histoire, les vieux procédés et l’héritage de ses prédécesseurs dans le milieu résulte de son contact avec l’argentique.

Antoine Perrone essaie également de rester à l’affût des techniques et des démarches d’autres photographes. Selon lui, il y a beaucoup à apprendre dans l’approche de certains adeptes de la photographie avec leurs sujets et le désir de reproduction des atmosphères et techniques « pousse à enfiler sa caméra et sortir pour une session de photo. »

Antoine Perrone, photographe amateur de Québec, se qualifie de spectateur lorsqu’il place sa caméra au cou. Pour lui, « laisser les photos parler d’elles-mêmes » et faire en sorte qu’elles soient « libres à l’interprétation de tous et chacun » constituent des éléments essentiels de sa démarche. (Crédit photo : Laurent O’Connor-Blanchard)

Combiner procédés anciens et pertinence moderne n’alimente pas seulement la démarche photographique d’Antoine Perrone, cela sert aussi de base à un projet de magazine de photos. En raison de la « surconsommation de la photo sur les réseaux sociaux » et de « la perte de valeur de la photo sur ces belles plateformes », M. Perrone compte faire les choses autrement. Il souhaite en effet lancer un magazine de photographie argentique de rue prochainement. Pour lui, le médium du magazine permet de redonner de la valeur aux photographies, puisqu’il est seulement possible d’en placer quelques unes. Le format papier, la démarche selon des procédés de longue haleine et le caractère tangible de l’argentique constituent aussi une certaine forme d’art, selon le photographe. « La beauté peut aussi se retrouver dans la simplicité, la vie de quartier, la vie de rue et la vie culturelle », explique Antoine Perrone. Il espère que son futur magazine participera à un regain de popularité de l’argentique et saura illustrer la vie à Québec, tout en s’inspirant du travail et de l’expérimentation des précurseurs de la photo.