QUÉBEC– Humaniste, bouleversante et habilement orchestrée, la nouvelle création de la dramaturge québécoise Isabelle Hubert, Frontières, émeut et transporte le spectateur du début à la fin. Dans une mise en scène de Jean-Sébastien Ouellette, cette coproduction du théâtre de la Bordée et de la Compagnie dramatique du Québec traite du sort des immigrés clandestins d’Amérique Centrale qui, au péril de leur vie, tentent de gagner l’Eldorado nord-américain. À l’affiche jusqu’au 30 novembre.

Telma et Paco sont mère et fils. Las de leurs conditions de travail misérables sur les champs de leur pays d’origine, ils décident de partir rejoindre le père qui les attend déjà au Nord. À l’instar des milliers de clandestins qui tentent leur chance chaque année, ils vont donc  traverser le Mexique en sautant sur le toit d’un train de marchandises. Non sans s’être fait une promesse auparavant: si l’un tombe, l’autre doit poursuivre sa route sans se retourner. D’emblée, Telma chute et se fracture les jambes. La pièce va dès lors explorer successivement les deux possibilités qui s’offrent à Paco: se sacrifier en restant auprès de sa mère ou poursuivre sa route, le cœur chargé de remords.

«On a souvent ce choix-là à faire entre se sacrifier ou regretter d’avoir été soi-même et cette frontière-là est également très présente dans la pièce», souligne en entrevue Jean-Sébastien Ouellette. On l’aura compris, les «frontières» qu’aborde cette œuvre ne sont pas uniquement géographiques. «Tous les personnages sont à la frontière de quelque chose. Ils doivent faire un pas pour accéder à autre chose. Ils ont à composer avec des frontières psychologiques», met en évidence Isabelle Hubert. La présence de personnages en souffrance est d’ailleurs une constante dans les pièces de l’auteure: elle éprouve «de la sympathie pour leur douleur et ressent le besoin d’en témoigner».

Humains, les personnages de Frontières, qui évoluent entre la simplicité touchante de leurs désirs et l’horreur des situations qu’ils vivent, le sont plus que jamais. Comme Fabio ce membre de gang à qui son comparse, Raul, demande de régler son compte à quelqu’un, alors même qu’il manifeste de façon presque enfantine son souhait d’aller à la pêche. Et Raul de lui rétorquer que «la vie n’est pas une partie de pêche». Finement ciselées, les répliques sont d’une justesse et d’une profondeur tragiques désarmantes.

Aborder l’immigration

Tout aussi efficace, la mise en scène économe de M. Ouellette permet au drame humain de couler tout seul. Une théâtralité résolument cinématographique, où l’on passe d’une scène à l’autre à travers des enchaînements fluides et sans perdre le rythme. Le spectateur est plongé dans la scène suivante, pendant que le décor de la scène précédente disparaît discrètement. Les effets de lumière et les projections méritent une mention particulière: leur maîtrise impeccable laisse le sentiment que les ressources scéniques sont inépuisables. Seul bémol, le fait que certains acteurs jouent – avec brio d’ailleurs – plusieurs rôles en même temps, peut être mêlant parfois pour le spectateur.

Brassant des thèmes certainement actuels comme l’immigration, la foi et la soif de liberté, Frontières pointe du doigt la difficulté pour «chaque personne d’être elle-même, tout en s’intégrant», explique M. Ouellette. Et si la pièce ne cherche pas à apporter des réponses mais bien à susciter la réflexion, on ressort de la salle avec une conviction: au delà des chiffres, l’immigration c’est avant tout un condensé d’histoires humaines.