C’est le 22 mars dernier que s’est déroulée la mise en ligne des laissez-passer pour le plus grand festival musical au Canada. En moins de deux heures, les 105 000 laissez-passez en admission générale avaient trouvé preneur.
Deux failles informatiques se sont produites lors de la mise en vente, ce qui aurait permis à certains de dépasser la limite de quatre billets par personne en plus de contourner la file d’attente. La direction du festival avait pourtant ouvert la billetterie une heure plus tôt que prévu pour éviter que le système ne tombe en panne. Une décision loin d’avoir fait l’unanimité auprès des festivaliers alors que plusieurs n’ont pas pu se procurer de laissez-passer.
Ce n’est d’ailleurs pas la première édition du festival qui connait un engouement de cette ampleur. L’année dernière, le site affichait complet autour de la même heure.
Le prix de la culture
Refusant de manquer les prestations de leurs artistes préférés, nombreux sont ceux qui doivent maintenant s’en remettre aux sites de revente tels que Billets.ca. Or, les billets disponibles sur ces plateformes sont généralement beaucoup plus chers que 150$, soit le prix initialement fixé par l’organisation du FEQ.
« Qu’est-ce qui se passe avec l’industrie de la revente, c’est qu’on prend ces billets-là pour après ça de façon privée faire un profit là-dessus donc revendre à un prix plus élevé », constate Étienne Grandmont, député de Taschereau.
C’est face à ce constat que le parti de Québec solidaire a lancé une pétition sur le site de l’Assemblée nationale le 27 mars dernier. Celle-ci porte vise deux objectifs: garantir des billets pour la population de Québec et travailler à interdire la revente entre particuliers.
Selon Samantha McKinley, vice-présidente aux communications du FEQ, 70% des laissez-passer auraient été vendus à des résidents de Québec. M. Grandmont précise tout de même que la revente constitue un facteur influent à ne pas négliger. « Il n’y a rien qui nous garantisse qu’effectivement 70% des gens de la région de Québec sont ceux qui vont pouvoir assister aux spectacles que le festival d’été a bâti pour eux », explique-t-il.
Le député solidaire tient par ailleurs à rappeler que cet événement existe avant tout dans l’optique d’offrir un accès à la culture aux citoyens de la région. « On l’aime ce festival-là, […] à chaque année la programmation est exceptionnelle, mais on veut que les gens de Québec puissent en profiter », affirme-t-il.
En décembre dernier, le ministre de la Culture et des Consommation a confié à la députée Kariane Bourassa la tâche de se pencher sur les pratiques des revendeurs afin d’accélérer la mise en place de mesures préventives concernant la revente de billets au sein de l’industrie culturelle. Étant donné le peu de progrès observé dans le dossier depuis lors, la députée caquiste a décliné notre invitation d’entrevue.
« Moi, j’aimerais ça que quelqu’un […] au gouvernement de la CAQ allume puis puis envoie le signal. Qu’on fasse une enquête sur cette entreprise-là (Billets.ca). Ça a juste pas de bon sens. » – Étienne Grandmont
Le modus operandi des sites de revente
L’article 236.1 de la Loi sur la protection du consommateur stipule que « qu’aucun commerçant ne peut exiger d’un consommateur, pour la vente d’un billet de spectacle, un prix supérieur à celui annoncé par le vendeur autorisé par le producteur du spectacle. »
La loi n’encadre pas en revanche les transactions réalisées entre particuliers. Pour Anne-Marie Leblanc, analyste en matière de protection du consommateur, cette nuance pose problème. Selon l’experte, plusieurs sites de revente prétendent agir uniquement à titre d’espace public servant à faciliter la revente entre particuliers.
Or, certaines anomalies portent à croire qu’un« système organisé » chercherait à générer des profits en arrière-plan. « Les sites de revente doivent être considérés comme des commerçants. Ils ne peuvent pas se dédouaner en disant qu’ils sont seulement des intermédiaires entre particuliers », insiste Mme Leblanc.
L’analyste rappelle par ailleurs qu’une disposition de la Loi sur la protection du consommateur contrevient à l’achat de billets à l’aide de logiciels de vente. Elle déplore cependant l’absence d’un système de surveillance qui permettrait de freiner les opérations des sites de revente.
Option consommateurs a récemment entrepris une action collective contre les sites de revente Billets.ca et 514-Billet. L’organisme à but non lucratif critique notamment un manque de transparence de la part de ces plateformes qui « ne divulguent pas clairement » leur nature, « induisant ainsi les consommateurs en erreur. » Une initiative applaudie par Mme Leblanc qui considère que l’Office de la protection des consommateurs n’en fait pas assez pour sa part afin de mieux encadrer la revente entre particuliers.
Du côté de Québec solidaire, la sensibilisation figure parmi les pistes de solution évoquées. Selon M. Grandmont, la revente de billets entre particuliers devrait être réprimandée. « Des gens qui achètent des billets puis qui les revendent, ça devrait être perçu comme immoral. On ne devrait pas faire ça », affirme-t-il.
Pour comprendre les motivations derrière la revente entre particuliers, L’Exemplaire s’est entretenu avec un revendeur. Comme de nombreux festivaliers, André (nom fictif) n’a pas réussi à obtenir de passes pour le FEQ l’année dernière. Lors de la vente en admission générale du mois dernier, il a cette fois-ci pu mettre la main sur plusieurs laissez-passer.
« Initialement, je voulais juste deux passes, mais étant donné l’engouement, j’en ai pris quatre », explique-t-il. Dans son cas, André a choisi de revendre ses laissez-passer au prix de 500 $, soit légèrement en dessous de la moyenne actuelle du marché. Il a par ailleurs préféré opter pour Facebook en guise de plateforme de revente plutôt que de se tourner vers des sites spécialisés.
Alors que le dossier de l’accessibilité à la culture semble stagner malgré le mandat confié à Mme Bourassa, Étienne Grandmont réitère l’importance d’accélérer le processus. Selon le député de Taschereau, le gouvernement de la CAQ doit impérativement trouver des moyens pour contrer efficacement cette industrie pernicieuse. « Il faudra trouver des balises, c’est à ça que ça sert de déposer un projet de loi. […] Mais qu’on le fasse rapidement! Qu’on s’y mette! », ajoute-t-il.
De son côté, Anne-Marie Leblanc souligne l’importance de l’inclusion des groupes de protection des consommateurs dans cette démarche. Elle conclut en affirmant que « finalement, c’est vraiment les consommateurs qui sont perdants et qui payent vraiment trop cher pour les billets. »