QUÉBEC – Le vieillissement de la population donne régulièrement lieu à de sombres prédictions qui promettent aux jeunes un avenir funeste, où ils devront travailler d’arrache-pied pour payer les soins et les pensions d’une multitude d’aînés invalides. Et si les vieux en décidaient autrement?

En 2010, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) de Montréal a publié un rapport intitulé La longévité : une richesse. Après y avoir décrit les scénarios catastrophes souvent évoqués à propos du vieillissement de la population au Québec (diminution de la population active au Québec, insuffisance des régimes de retraite, ralentissement de la croissance du PIB, réduction des revenus du gouvernement, déficits structurels), les auteurs rappellent l’essentiel : la prolongation de la vie humaine est un progrès extraordinaire.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la fin du travail rémunéré signifiait bien souvent la pauvreté; le Québec et le Canada se sont donc dotés de lois sociales et fiscales pour protéger les travailleurs qui prenaient leur retraite à 65 ans et avaient à peine quelques belles années pour en profiter (l’espérance de vie des hommes était de 66 ans et celle des femmes, de 71 ans).

Mais les choses ont bien changé : aujourd’hui, à 65 ans, hommes et femmes peuvent s’attendre à vivre encore une vingtaine d’années, et qui plus est en très bonne santé, du moins jusqu’à 75 ans; c’est en effet l’âge auquel, selon les chercheurs, ils risquent de devenir vulnérables et de souffrir de problèmes de santé plus importants, et qui marque le début du véritable vieillissement.

Pour tirer profit de cet allongement de la vie et atténuer les répercussions négatives du renversement de la pyramide des âges, plusieurs pays occidentaux ont adopté le concept de « vieillissement actif » : il s’agit de permettre à chacun, après 60 ou 65 ans, de mener une existence active satisfaisante – en travaillant à temps plein ou à temps partiel ou en exerçant des activités bénévoles, par exemple – et de continuer ainsi à contribuer, par son expérience et ses connaissances, au développement économique de la société.

Évidemment, les règles d’accès à la retraite devront être modifiées, et il faudra trouver des incitatifs pour encourager les gens à rester sur le marché du travail ou à y revenir. Les perceptions des employeurs devront aussi évoluer, et il faudra lever les obstacles qui se dressent parfois sur la route des travailleurs plus âgés qui cherchent un emploi. Mais une présence accrue des 60 ans et plus au travail n’aura que des répercussions positives, à tous les niveaux : meilleur réseau social, meilleure santé physique et mentale, avantages économiques individuels et collectifs, et allègement du fardeau économique des jeunes.

De plus en plus de chercheurs s’intéressent d’ailleurs aux moyens de ralentir le vieillissement; leurs travaux vont dans plusieurs directions, qu’il s’agisse d’observer le mode de vie des centenaires, d’étudier le code génétique d’animaux particulièrement intéressants ou de tester des traitements révolutionnaires contre le vieillissement.

Mode de vie

Selon certaines études, la génétique n’explique qu’en partie les cas de longévité exceptionnelle; le mode de vie en est de loin le facteur le plus important. Dans une conférence TED donnée en 2009, Dan Buettner, journaliste au National Geographic, explique comment il a décidé d’étudier avec son équipe le mode de vie de communautés comptant une proportion élevée de centenaires pour tenter d’en tirer des leçons.

De la Sardaigne au Japon en passant par la Californie, il a trouvé un certain nombre de ces communautés et dressé une liste de facteurs communs qui semblent expliquer la longévité de leurs membres – facteurs qui rappellent d’ailleurs les recommandations les plus fréquentes des experts de la santé :

– Une vie active (sans nécessairement de sport à proprement parler), qui ne repose pas, ou peu, sur les technologies modernes;

– Une attitude positive, une raison de vivre;

– Régulièrement, des pauses complètes prenant différentes formes, comme la prière ou la méditation;

– Une alimentation surtout végétale, un peu d’alcool chaque jour et des stratégies pour ne pas trop manger;

– Un réseau social où la solidarité est très présente.

Approches médicales

Traditionnellement, la médecine occidentale cherche à traiter les maladies – cancer, Alzheimer, maladies cardiovasculaires… Mais une idée nouvelle se fait de plus en plus jour chez les scientifiques : si au lieu de traiter les maladies associées à un vieillissement que l’on a toujours cru inévitable, on considérait le vieillissement lui-même comme une maladie à traiter, qui serait à l’origine des autres?

En effet, selon de nombreux chercheurs, pour la première fois de notre histoire, nous comprenons suffisamment bien la nature du vieillissement pour commencer à chercher des moyens efficaces de le contrer; il semble qu’il n’y ait pas de « date de péremption » à l’être humain, pas de durée de vie programmée pour l’espèce. On pourrait ainsi retarder l’apparition de maladies comme l’arthrite, l’athérosclérose, le diabète, l’Alzheimer et certains cancers en éliminant des infections chroniques et des inflammations silencieuses, en renforçant les mécanismes de réparation déjà présents dans l’organisme ou en régénérant des organes avec les cellules souches.

Dans un « carnet insolite » diffusé le 28 septembre dernier à l’émission Les années-lumière, Stéphane Durand, professeur au Centre de recherches mathématiques de l’Université de Montréal, présentait le « traitement Dracula » : en transfusant le sang d’une jeune souris à une souris âgée, on observe un rajeunissement de tous ses organes, ainsi qu’une amélioration de ses fonctions cognitives. Cela laisse croire que des éléments présents dans le sang d’un jeune organisme activent des cellules souches dormantes dans celui du spécimen âgé, ce qui permet d’envisager la fabrication d’un médicament qui en imiterait les effets. Un chercheur américain a d’ailleurs récemment obtenu les mêmes résultats en donnant du sang d’un jeune humain à une souris âgée, et on testera bientôt la méthode chez l’humain, sur des patients atteints d’Alzheimer à un stade modéré.

D’autres scientifiques sont quant à eux partis à la recherche des gènes responsables du vieillissement dans divers organismes; dans une conférence TED de 2011, la biologiste Cynthia Kenyon raconte comment elle a réussi à doubler la durée de vie adulte d’un ver parasite (C. elegans) en modifiant un gène appelé daf-2 afin d’activer les mécanismes de réparation déjà présents dans l’organisme. En modifiant le même gène chez des mouches, puis des souris, elle et ses collègues ont aussi obtenu une longévité accrue. Les humains qui vivent très vieux sont plus susceptibles d’avoir une mutation de ce gène, ce qui laisse entrevoir la possibilité de concevoir un médicament qui imiterait ce mécanisme et retarderait ainsi le vieillissement et l’apparition des maladies liées à l’âge.