Le travail « sous la table », ou encore « le travail au noir » est une réalité à Québec. Dans un bar au détour d’une rue, dans un dépanneur ou encore sur les chantiers, les travailleurs non déclarés de l’économie souterraine oeuvrent sans contrats fiables, n’hésitant pas à prendre des risques.
Déjà en 2012, des journalistes sous couverture s’employaient à trouver du travail au noir dans la région Montréalaise. En quelques jours, une activité de livreur leur a été proposée. Du côté de Québec, le travail dissimulé n’est pas plus tabou.
Les quelques employeurs de la ville que nous avons rencontrés n’étaient pas surpris par nos questions, même si la grande majorité a refusé de nous répondre, par peur de la dénonciation.
L’un d’eux a brièvement évoqué choisir la facilité d’employer quelqu’un au noir, car cela enlève toute la paperasse. « C’est plus simple, surtout quand c’est pour juste quelques heures. On paye en cash et c’est réglé », évoque notre source anonyme. Les employeurs restent cependant méfiants, affirme Alain, un jeune homme venu de France avec un visa de touriste. Malgré un document qui l’empêche formellement de pratiquer une activité rémunérée, Alain a tenté de trouver du travail au noir au sein de Québec. Une tâche devenue apparemment plus compliquée suite à l’arrivée de « mouchards ».
Anna, étudiante, a de son côté fait le choix de travailler plus de 20 heures, soit au-dessus du nombre d’heures maximum de son permis d’étude. Ses différents employeurs ignorent que la jeune fille travaille au-delà de ses heures légales, car Anna a déclaré détenir un permis de travail. Un document qu’aucune des entreprises qui l’emploie n’a tenu à vérifier.
Pour trouver du travail sous la table, il suffit concrètement de se déplacer dans les commerces du quartier, de mentir sur ses papiers d’immigration ou bien encore d’aller simplement discuté avec des étudiants. En quelques minutes, on obtient des « contacts », comme le précise Antoine, étudiant à l’Université Laval.
Une prise de risque conséquente
L’accès au travail dissimulé est simple, mais la prise de risque est bien réelle. Hervé en a fait les frais, en tant qu’employé. « Je suis dans la restauration, et c’est assez courant de travailler au noir pour pallier aux besoins temporaires de main d’oeuvre durant la grosse saison. J’ai fait deux mois de travail au noir dans un restaurant de Québec. Je n’ai pas fait de demande de permis de travail parce qu’il aurait été refusé ». Hervé finit finalement par travailler légalement pour son employeur pendant deux ans.
Un métier qu’il abandonne ensuite « pour des raisons de survie.. Je travaillais plus de 100h par semaine et j’ai développé des problèmes d’alcoolisme chronique .. ». Son employeur, mécontent, a décidé de l’assigner au tribunal. « Pour pouvoir vaciller entre la France et le Québec, il faut pouvoir se payer un avocat disposant de très bons moyens logistiques souvent réservés aux gros cabinets et pratiquant forcément des honoraires très élevés, » déclare Hervé, dépité.
Selon l’article 1373 du Code civil du Québec (C.C.Q.), la prestation à laquelle un débiteur est tenu envers un créancier ne doit être «ni prohibée par la loi ni contraire à l’ordre public». Ainsi, un contrat conclu au noir, en fraude des lois fiscales, qui sont d’ordre public, n’est pas valide. L’employé se retrouve donc dans une situation difficile où ses droits ne sont pas forcément reconnus devant un tribunal.
Un employé au noir prend aussi le risque de ne pas être payé s’il met un terme à son contrat. Et durant son temps de travail, il ne bénéficie d’aucunes des protections offertes par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et par les divers régimes publics, tels que le Régime de rentes du Québec et l’assurance emploi.
Une économie souterraine assumée
Au Québec, la construction et la restauration sont les deux secteurs les plus touchés par le travail dissimulé et l’évasion fiscale. Selon Statistique Canada, la valeur totale de l’activité économique souterraine était estimée à 40,9 milliards de dollars en 2011, soit 2,3 % du produit intérieur brut. À elle seule, l’industrie de la construction est responsable de 28 % de ces activités illégales.
Revenu Québec dresse trois points négatifs découlant de l’activité souterraine : le gouvernement subit des pertes de revenus énormes. Les citoyens respectant la loi se retrouvent avec des charges fiscales alourdies car ils doivent compenser les pertes occasionnées par ceux qui s’adonnent au travail au noir. Enfin, les entreprises subissent une concurrence déloyale, car celles qui pratiquent l’évasion fiscale peuvent offrir des produits et services à moindre coût.
Mais selon l’Association de la Construction du Québec, certains employeurs seraient contraints d’employer au noir. En 2013, durant la négociation des conventions collectives dans l’industrie de la construction , l’association transmettait une lettre à la première ministre Pauline Marois en expliquant le choix illégal des entrepreneurs : «[…] Il est impossible pour un employeur de rentabiliser un contrat s’il doit payer son salarié à taux double, et ce, spécialement dans le secteur commercial et dans le secteur industriel non-lourd. Celui-ci, la plupart du temps, est contraint de faire travailler des salariés le samedi sans le déclarer aux autorités fiscales.»
Des mesures efficaces… ?
Pour lutter contre le phénomène, Revenu Canada compte sur la dénonciation. Une pratique qui ne rencontre pas forcément un franc succès selon un article de Radio Canada, paru en 2010. De la part du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité Sociale, des changements étaient attendus avec en prévision de nouveaux professionnels embauchés et formés. Mais en 2009, selon le Soleil, les démarrages étaient difficiles.
Aujourd’hui, dur de savoir où en sont les choses, mis à part un communiqué daté du 13 novembre 2014 (http://www.fil-information.gouv.qc.ca/Pages/Article.aspx?aiguillage=diffuseurs&type=1&listeDiff=353&idArticle=2211134846) qui annonçait des perquisitions dans la région de Montréal : « Dans une optique de gestion rigoureuse des fonds publics, le Ministère poursuivra et renforcera ses actions pour mettre fin aux stratagèmes frauduleux dont les personnes vulnérables sont souvent les premières victimes ».
Dernier point, le plus à l’ordre du jour, le rapport des commissaires de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, sorti cette semaine à l’occasion du vote annuel du budget Québécois. Le rapport Godbout entend lutter contre le travail au noir en augmentant la taxe de vente du Québec (TVQ). Argument mis à l’honneur : « La hausse de la TVQ permet de récupérer une part importante de l’économie souterraine, car tôt ou tard, les gens qui travaillent, incluant les travailleurs au noir, finissent par consommer» annonçait hier Luc Godbout à Gilles Duceppe dans le Journal de Montréal.