Le cancer de la prostate : un vrai casse-tête
Selon Santé Canada, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes. Un Canadien sur neuf recevra un diagnostic au cours de sa vie. Cela représente 23 300 hommes diagnostiqués avec ce cancer en 2020 au Canada et environ 4 500 décès par an.
Intégrée dans l’appareil reproducteur et urinaire masculin, la prostate est un petit organe localisé sous la vessie. À cause de l’âge, d’antécédents familiaux ou de facteurs extérieurs, les cellules de la prostate deviennent parfois cancéreuses. Elles envahissent progressivement l’organe pour aller, dans les cas les plus graves, jusqu’à se propager dans l’organisme sous forme de petites tumeurs, appelées métastases.
Qui dit cancer de la prostate, dit cancer multiple. Plusieurs stades existent dans le développement progressif d’un cancer de la prostate. Et chaque étape nécessite une approche thérapeutique variée et adaptée au patient. « En mettant en évidence toute cette complexité, on comprend le besoin d’une médecine de précision, d’une approche personnalisée », explique le Dr Guillaume Bouvet, PhD en biologie moléculaire à l’Université Laval. Il n’existe pas un seul traitement pour soigner tous les cancers (à l’exception de la chirurgie). Il faut s’adapter à chaque patient en fonction des connaissances acquises sur sa biologie, sa génétique et aussi de son choix.
Si le cancer n’est pas actif, le suivi régulier du patient par l’observation reste la meilleure approche. En fonction de la quantité de tissu atteint, le patient peut également être opéré ou/et traité par radiothérapie. Les choses se compliquent s’il y a une récidive, c’est-à-dire si le cancer réapparaît à la suite du traitement.
Dans ce cas, la radiothérapie est de nouveau programmée en plus d’une hormonothérapie (ou castration chimique). Ce traitement va réduire la production de certaines hormones par la prostate, car elles jouent un rôle dans la croissance et la propagation des cellules cancéreuses. Un seul problème… Le cancer résiste à la castration chimique avec le temps ! Cela entraîne une rechute et l’apparition de métastases. Il faut alors se tourner vers de nouveaux traitements plus ciblant et novateurs pour essayer de détruire ces petites tumeurs dispersées un peu partout dans le corps.
Quand la maladie est trop avancée et les options thérapeutiques limitées et peu efficaces, l’idée est de trouver un remède pour chaque type de tumeurs. Pour élaborer cette thérapie ciblée, il faut identifier au mieux les tumeurs présentes chez le patient.
Imbriquer les bonnes pièces
Dans un essai clinique (3TMPO), mené conjointement sur cinq centres hospitaliers à Québec, Sherbrooke et Montréal, des médecins tentent de caractériser ces métastases du cancer de la prostate. L’objectif ? Comprendre le faible taux de survie chez les patients à ce stade de la maladie. On retrouve à l’origine du projet les Dr Brigitte Guérin, Dr Frédéric Pouliot et Dr Jean-Mathieu Beauregard.
Pour ces chercheurs, les métastases d’un même patient pourraient être issues de cellules différentes, ce qui expliquerait les réponses opposées aux traitements. Dans certains cas, les tumeurs pourraient se changer en un autre type de tumeurs, les neuroendocrines, souvent associé à une augmentation de l’agressivité de la maladie.
« Le but principal est de voir l’hétérogénéité du cancer de la prostate », rapporte le Dr Bouvet, chargé du recrutement des patients de l’essai clinique 3TMPO sur le site de Québec.
Comme le prélèvement de tissus n’est pas possible sur les métastases, les médecins sur ce projet ont préféré l’imagerie pour éviter une intervention médicale invasive. Elle est aussi plus efficace pour révéler les petites tumeurs.
L’appareil d’imagerie employé s’appelle la tomographie par émission de positrons (ou TEP). En utilisant des traceurs radiomarqués, la TEP permet d’identifier spécifiquement les cellules cancéreuses grâce à la détection de ces particules radioactives injectées dans l’organisme.
L’essai clinique rassemble trois radiotraceurs différents pour voir et identifier le maximum de tumeurs chez le patient. Le premier traceur FDG est un sucre associé à un composé radioactif de fluor qui montre l’agressivité des tumeurs. Le FDG n’est pas spécifique au cancer de la prostate, il est utilisé pour tout type de cancers. Si le sucre marqué est intégré dans les tumeurs, cela veut dire qu’elles utilisent cette énergie, qu’elles sont en train de se multiplier et qu’elles sont vraiment agressives.
Le deuxième traceur PSMA cible une protéine que l’on retrouve spécifiquement sur les cellules cancéreuses de la prostate. Elle est couplée à un composé radioactif de gallium. Comme dans un jeu de construction, il faut trouver les bonnes briques à emboîter sur les cellules tumorales. Comme ces briques, ou traceurs, sont associées à une particule radioactive que l’on peut détecter lors d’un scan par TEP, il est possible de trouver et de caractériser un maximum de petites tumeurs dans l’organisme.
Si le résultat des deux images diffère, un examen avec un troisième traceur (octréotate) est alors nécessaire pour vérifier si la tumeur est maintenant neuroendocrine. Une fois que le patient a réalisé ces deux ou trois examens d’imagerie, les médecins peuvent évaluer son éligibilité pour des traitements moins généralistes.
Entrée en jeu de la théranostique
En plus d’imager les tumeurs, certains composés radioactifs ont aussi une action thérapeutique en allant dégrader l’ADN des cellules cancéreuses. Contraction de deux termes, la « théranostique », une méthode de traitement novatrice, combine la thérapie et l’imagerie diagnostique de pointe. Elle est en pleine émergence dans le traitement ciblé du cancer, notamment celui de la prostate. Ainsi, les patients se voient attribuer un traitement beaucoup plus adapté, ce qui augmente les chances de stabiliser ou de guérir la maladie.
Une récente étude publiée en 2021 dans le prestigieux journal The New England Journal of Medicine rapporte que la radiothérapie ciblée utilisant un composé radioactif théranostique couplé à la protéine PSMA prolonge la durée de vie des patients de quelques mois lorsqu’elle est combinée à des traitements conventionnels.
« C’est une des dernières lignes de traitement […] et le but, c’est de l’avancer » espère Guillaume Bouvet. Plusieurs essais cliniques sont en cours au Canada et dans le monde pour comparer cette approche théranostique à des traitements plus standards comme la chimiothérapie ou l’hormonothérapie.
De grands espoirs se portent sur cette approche et le CHU de Québec compte bien jouer dans la cour des grands. En effet, la Fondation du CHU de Québec a créé la toute première chaire de recherche hospitalière de la province et a choisi le domaine de la théranostique comme premier bénéficiaire.
« Les patients atteints de cancer seront les plus grands bénéficiaires de la Chaire, puisque l’activité de celle-ci contribuera directement à rendre accessible via des études cliniques des soins innovants répondant à leurs besoins cliniques criants non-comblés. » explique Marie-Claude Paré, directrice de la fondation CHU de Québec.
Les retombées de ce soutien pour la médecine personnalisée sur le système de santé québécois seront multiples : augmentation du nombre de patients traités au CHU, diversification des applications théranostiques disponibles, etc.
« En 2020, le CHU fut le premier centre canadien à offrir la thérapie au lutécium-PSMA, en dehors d’un essai clinique commandité par l’industrie, à des patients atteints de cancer de la prostate métastatique, confirmant encore une fois la pole-position du CHU en théranostique clinique » ajoute Marie-Claude Paré. « Il y a maintenant cinq médecins spécialistes en médecine nucléaire avec expertise en théranostique au CHU, ce qui fait d’eux la plus grande équipe médicale du genre au Canada. »
Les praticiens de l’essai clinique 3TMPO espèrent recruter les derniers patients d’ici la fin de l’année pour publier des premiers résultats dans la foulée. Une nouvelle étape vers une médecine de plus en plus personnalisée.
Pour en savoir plus sur le dépistage du cancer de la prostate : https://cancer.ca/fr/cancer-information/find-cancer-early/find-prostate-cancer