Parmi les répondants touchés par la grève de la Fédération autonome de l’enseignement, 59% ont déclaré avoir constaté une augmentation du temps d’écran chez leur enfant au cours des cinq semaines sur lesquelles s’est étendue la fermeture des écoles. Le temps d’écran constituerait ainsi « la préoccupation numéro un » des parents depuis le retour sur les bancs d’école. La perte des apprentissages ainsi que la baisse de motivation figurent aussi parmi les principales inquiétudes mentionnées.
Selon Mélissa Généreux (en photo ci-contre), le temps d’écran représente le nombre d’heures passées chaque jour devant divers types d’écrans, en dehors des périodes dédiées au travail ou aux études. Elle souligne cependant que ce chiffre ne reflète pas nécessairement la réalité, celui-ci étant rapporté par les parents en fonction de leurs observations à la maison.
Une surexposition aux écrans augmenterait considérablement le risque de développer certains problèmes de santé, autant sur le plan physique que psychologique. Mme Généreux constate notamment une diminution de la qualité du sommeil en raison de la lumière bleue générée par une panoplie d’appareils électroniques. Elle rapporte par ailleurs un profil de santé psychologique plus faible chez les jeunes qui passent plus de temps devant un écran. Il convient tout de même de noter que cet opinion n’est pas partagé. En effet, les études ne permettent pas encore d’établir un lien entre les pathologies exprimées par Mme Généreux et la lumière bleue, selon cet article du magazine l’Illustré.
Il importe toutefois de relativiser les faits. C’est « le contexte dans lequel sont utilisés les écrans et non seulement le temps d’écran [qui] joue sur le développement cognitif des enfants », expliquent les auteurs d’une étude française publiée dans la revue Journal of Child Psychology and Psychiatry.
C’est donc l’utilisation dite « malsaine » des écrans qui inquiète davantage les experts. « Ça sous-entend la quantité, […] le lieu, le contexte, le type de contenu, etc. », précise Mme Généreux.
Un usage excessif des écrans pourrait également provoquer un dysfonctionnement cérébral. Les stimuli qu’on retrouve au sein d’un environnement numérique influencent le système de récompense en augmentant la libération de dopamine, si bien qu’on pourrait en comparer les effets à la consommation de drogues dures ou d’alcool. Cette dépendance affecte d’ailleurs diverses « sphères de la qualité de vie » des jeunes, selon Mme Généreux.
Socialiser avec la machine
Les faits saillants de l’enquête menée par Mélissa Généreux révèlent par ailleurs que les jeunes présentent davantage de difficulté à socialiser dans un contexte réel qu’auparavant.
Pour Christine Baillargeon, agente de recherche et de planification à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, il s’agit d’une « transformation sociale majeure ». Œuvrant dans le domaine de l’éducation depuis maintenant 19 ans, elle invite les parents à surveiller certains symptômes associés à la dépendance, telle que la « non-résistance à la notification ». « Alors que l’école est censée être une institution de socialisation, nos enfants socialisent avec la machine », signale-t-elle.
En tant que parent, Mme Baillargeon affirme que la gestion du temps d’écran est un combat qu’elle doit livrer au quotidien. Elle remarque plus particulièrement les effets néfastes d’une surexposition médiatique sur la perception de l’image féminine chez les jeunes filles. « Je l’ai complètement échappé comme mère. J’aurais voulu plus encadrer le rapport au corps et aux produits de beauté. Je me suis fait ramasser par les réseaux sociaux », regrette-t-elle.
La diabolisation des écrans
François Pouliot (photo ci-contre), déclare ne pas avoir constaté une augmentation notable de l’utilisation des appareils électroniques parmi les élèves depuis la reprise des cours. « Est-ce que les vingt-deux jours de grève ont fait en sorte que les jeunes ont développé des mauvaises habitudes, […] moi je ne le vois pas », précise-t-il. Selon M. Pouliot, les jeunes d’aujourd’hui prennent activement part à la vie étudiante et se soucient tout autant des enjeux sociétaux que les générations précédentes.
Bien qu’une large partie de la littérature scientifique dénoncent les aspects négatifs de l’utilisation excessive des écrans, « tout n’est pas noir ou blanc », rappelle la Dre Généreux. Elle affirme d’ailleurs que l’omniprésence du numérique amène aussi des éléments positifs. « Ce qu’on voit, c’est que pour les jeunes ou toute personne qui fait partie d’une certaine forme de diversité, […] les réseaux sociaux en ligne favorisent vraiment l’appartenance à une communauté. »
« Est-ce qu’il faut diaboliser, non, mais je pense qu’il faut en parler! » — Mélissa Généreux
Prendre le numérique par les cornes
En avril 2019, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur présentait le cadre de référence de la compétence numérique, un outil de référence pour les acteurs du domaine de l’enseignement qui doivent s’adapter à la réalité numérique d’aujourd’hui.
Selon Mme Baillargeon, cette initiative ne suffit pas à effectuer un virage numérique de manière structurée. « Il faut des politiques sociétales, sur l’usage, ce qui est autorisé et ce qui l’est pas », affirme-t-elle.
M. Pouliot insiste pour sa part sur la nécessité de remettre en question les méthodes d’enseignement traditionnelles en vue de s’adapter aux nouvelles technologies. Le directeur de l’école secondaire de Neufchâtel estime que c’est en « sortant du cadre » que l’on peut amener les étudiants à développer de nouvelles compétences académiques.
Dans tous les cas, les experts s’entendent pour dire qu’une grande partie de la solution au problème du temps d’écran se trouve dans la collaboration entre les institutions scolaires, gouvernementales et les fédérations impliquées.
Maintenant, mettez à l’épreuve vos connaissances sur le temps d’écran en participant à notre quiz interactif.