Le 9 février 1922, cinq cents femmes marchaient à destination du Parlement de Québec pour réclamer le droit de vote des Québécoises. Cent ans plus tard, l’exposition « 9 février 1922, elles marchent vers le Parlement » leur rend hommage au pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale. Marise Falardeau est archiviste de la bibliothèque de l’organe législatif, elle a conçu le projet. Denyse Baillargeon est historienne, spécialiste de l’histoire sociale des femmes au Québec. À l’occasion du lancement de cet événement, elles dévoilent les coulisses d’une exposition qui a misé sur le virtuel pour toucher le plus grand nombre. 

Il règne un silence de cathédrale au cœur du pavillon d’accueil flambant neuf de l’Assemblée nationale du Québec. Le claquement de quelques pas lointains ne trouble qu’à de rares moments la quiétude de ce sous-terrain spacieux et inondé de lumière. En avançant dans cet espace circulaire, on tombe rapidement sur une première vitrine remplie de documents. Pourtant, l’endroit n’a rien d’un musée. « C’est la première fois que le pavillon accueille une exposition », détaille Marise Falardeau. « C’était un défi ! »

Un défi relevé il y a plus d’un an, en janvier 2021, à la suite d’une découverte inattendue : « Au hasard d’une recherche, mon collègue Alain Gariépy est tombé sur le discours de Marie Lacoste Gérin-Lajoie du 9 février 1922 qui réclamait le droit de vote pour les femmes de la province. C’était fantastique d’avoir ce document entre les mains, il fallait en faire quelque chose ! », se souvient l’archiviste.

L’idée de créer un projet autour de l’histoire du suffrage féminin au Québec a germé. En ligne de mire, le centenaire du 9 février 1922. Consultation des journaux de l’époque, plongée dans les Archives nationales et épluchure des discours prononcés sur le thème au Parlement, une vingtaine de personnes a participé au projet.

L’exposition, d’une durée de 40 minutes, se tient à deux emplacements précis qui n’ont pas été choisis au hasard. « Nous voulions mettre en valeur le mur narratif du pavillon car trois des meneuses du mouvement du 9 février y sont représentées sur une fresque », explique Marise Falardeau. « Pour le clin d’œil, nous avons également placé une plaque à côté des deux commissions parlementaires portant le nom des femmes politiques pionnières du Québec. »

Au moyen de vitrines et de tiroirs coulissants pour « mieux contrôler la lumière », chaque emplacement met en avant extraits de discours revendicatifs et articles de journaux critiques illustrant les tensions relatives à la question du droit de vote féminin.

Un événement dématérialisé

La responsable du projet ne s’est pas donné d’objectif chiffré en termes de visiteurs attendus. Elle souhaite surtout toucher le plus grand nombre. Une volonté qui se retrouve dans la construction d’une visite virtuelle et la réalisation d’un documentaire vidéo de 20 minutes disponible en ligne, sur les médias sociaux de la bibliothèque de l’Assemblée nationale.

Un travail accompli sous l’œil attentif de Denyse Baillargeon, experte en histoire sociale des femmes au Québec. Une discussion virtuelle s’est tenue le jour du lancement sur son ouvrage paru en 2019 « Repenser la nation : l’histoire du suffrage féminin au Québec ».

La spécialiste raconte avec passion les tribulations de l’histoire du droit de vote dans la province: « Au Bas-Canada, des colons issus des États-Unis débarquent à la fin du 18e siècle. Selon leurs principes, toute personne propriétaire peut voter. Or le terme de « personne » en lui-même n’exclut pas les femmes ! »

Des propriétaires féminines, héritières après le décès de leur mari par exemple, peuvent donc voter dès 1791. Puis, les mentalités changent. « Au cours du 19e siècle, il devient inacceptable qu’une femme se prononce dans l’espace public. Sa place est au foyer », poursuit l’historienne. « Le droit de vote leur est ainsi retiré en 1849, avant de leur être à nouveau accordé en 1940. »

La visite guidée, disponible gratuitement sur réservation tous les jours à 11h15 au pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale, aborde une grande partie de ce récit. Pour les frileux des musées, l’équipe chargée du projet travaille actuellement sur un balado, basé sur des extraits de discours des figures du mouvement, Idola Saint-Jean et Marie Lacoste Gérin-Lajoie.

Malgré un démarrage organisé majoritairement en ligne du fait des contraintes sanitaires, « l’essentiel est que les gens viennent sur place », souligne Marise Falardeau. « Ça fait drôle un lancement virtuel ! » Le 9 février, peu de visiteurs se sont déplacés. Mais l’exposition est disponible jusqu’à la mi-décembre. Pour cela, il faudra marcher vers le Parlement.

Suffragettes ou suffragistes ?

Pour parler de ces femmes militant pour le droit de vote au début du 20e siècle, deux termes sont employés : les suffragettes et les suffragistes. Les premières sont minoritaires et égalitaristes : elles réclament un droit des femmes à égalité avec celui des hommes. Les secondes sont majoritaires et dites « maternalistes ». Elles revendiquent un droit différent que leur confère le statut de mère. L’historienne Denyse Baillargeon range Idola Saint-Jean, première candidate à une élection fédérale québécoise en 1930, célibataire et sans enfant, du côté des suffragettes. Auprès d’elle militait également Marie Lacoste Gérin-Lajoie, une mère catholique « suffragiste » qui se retire de la lutte féministe lorsque l’Église se positionne contre le droit de vote des femmes.

 

Marise Falardeau, archiviste depuis 15 ans, a été chargée de projet pour l’exposition « 9 février 1922, elles marchent vers le Parlement». Elle manipule ici le discours manuscrit de Marie Lacoste Gérin-Lajoie prononcé le 9 février 1922 devant les parlementaires. (Crédit photo : Fonds Assemblée nationale du Québec)
Denyse Baillargeon est historienne spécialiste de l’histoire sociale des femmes au Québec. Consultée pour l’exposition « 9 février 1922, elles marchent vers le Parlement », elle présentait le jour du lancement son ouvrage « Repenser la nation : l’histoire du suffrage féminin au Québec ». (Crédit photo : Louis Fabre)