Les étudiants en éducation mènent un combat auprès du gouvernement depuis maintenant plusieurs années, et semblent plus près que jamais du but, avec l’annonce de l’appui politique des libéraux, en congrès, le 24 novembre dernier. Ils souhaitent obtenir une compensation financière concrète pour leur stage 4. Celui-ci est le pré-requis final à l’obtention du baccalauréat et demande plus de 60 heures de travaux en classe et de stage chaque semaine, sans toutefois offrir un salaire.

Pour mieux comprendre les réalités de la formation en enseignement, l’Exemplaire a rencontré Rose Beaupré Ayotte, qui est déléguée aux affaires externes de l’Association étudiante du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (AÉBÉPEP) de l’Université Laval.

 

Crédit clip (lancement) : Assemblée nationale ; Crédit photos : Campagne sur le travail étudiante (CUTE)

Pourquoi la « compensation financière » ?

Alexis Tremblay est attaché politique à la Campagne de revendications et d’actions inter-universitaires pour les étudiant(e)s d’éducation en stage (CRAIES) depuis plusieurs mois maintenant. L’objectif principal de l’organisme est d’obtenir des salaires en enseignement le plus tôt possible, et le moyen d’action principal, ce sont des séances de représentation à l’Assemblée nationale.

Dans l’entretien audio qui suit, M. Tremblay explique comment le terme de « compensation financière » devrait être utilisé et compris dans l’espace public.

 

 

Une réaction de la part du gouvernement

Les membres du Parti libéral du Québec ont voté, dimanche 26 novembre dernier en congrès national, une résolution pour que « le gouvernement s’emploie à valoriser davantage la profession d’enseignants en offrant une compensation financière ».

Par son geste, le PLQ devient le dernier parti politique à affirmer publiquement son soutien à la cause des futurs enseignants, portée à travers la province par la CRAIES. La Coalition Avenir Québec (CAQ), le Parti Québécois (PQ), Québec Solidaire (QS) et Option Nationale (ON) ont tous déjà signifié leur intention de payer les stagiaires s’ils sont élus l’an prochain.

« On était super contents d’apprendre que les libéraux sont à bord, explique la déléguée aux affaires externes de l’Association étudiante du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (AÉBÉPEP) de l’Université Laval, Rose Beaupré Ayotte. C’est le dernier à affirmer son soutien, et maintenant, comme c’est le parti au pouvoir, ça va peut-être avoir plus de poids auprès de la ministre David. »

Comité exécutif de la CRAIES. Photo tirée de Facebook

Alexis Tremblay rappelle que les associations-membres de l’Union étudiante du Québec (UEQ) travaillent actuellement à élaborer un rapport complet sur le sujet depuis plusieurs mois, qu’elles remettront ensemble au gouvernement. Rappelons, à ce sujet, que la CADEUL a refusé de s’affilier à cette association nationale, le 27 novembre dernier, dans un référendum qui s’est soldé à 55 % pour le NON et 45 % pour le OUI.

L’UEQ a notamment comme objectif principal de réclamer un montant d’investissement concret, puis de proposer une solution avec un coût financier défini. Si le document est jugé satisfaisant par la CRAIES, l’UEQ ira ensuite proposer le projet auprès de la ministre David.

Des difficultés marquées

À l’Université Laval, pas moins de 950 heures en stage doivent être cumulées, en moyenne, au dossier de l’étudiant pour obtenir un baccalauréat en éducation, le tout de manière bénévole de A à Z.

Quoique « très formateur et nécessaire » au cheminement de chacun selon Mme Beaupré Ayotte, l’exercice engendre une précarité financière dangereuse pour de jeunes étudiants qui peinent à payer leurs dépenses quotidiennes, devant renoncer à un emploi rémunéré à temps partiel par manque de temps, en raison des stages.

« Notre stage final demande de faire beaucoup de rétroaction sur nos planifications, sur notre pilotage en classe, donc on a beaucoup de travaux d’analyse de nous-mêmes sur une demie-année de temps. Au final, tu es enseignant le jour, puis étudiant la nuit et la fin de la semaine. Dans tout ça, tu dois planifier ce que tu vas faire avec tes élèves aussi, donc ça devient une roue sans fin. » – Rose Beaupré Ayotte

Le constat est d’ailleurs la même ailleurs au Québec, à quelques différences près en termes d’heures, de kilométrage à couvrir et de besoins. « La réalité est partout pareil, affirme Rose. On est tous des étudiants, on a tous des dettes et on peine tous un peu à s’en sortir. »

Selon Nicolas-Claude Larouche, un étudiant en quatrième année du programme d’enseignement primaire à l’Université Laval, la compensation n’est pas uniquement destinée à un confort matériel, mais vise également à assurer une réduction du stress. Il insiste sur le fait que les conséquences financières influent sur la santé psychologique de l’étudiant, sur sa capacité à réussir son cursus, ainsi que sur sa vie hors campus.

« Les étudiants se placent dans une situation financière qui est très précaire. Pour certains, c’est même l’abandon de leurs études, parce qu’ils ne peuvent plus vivre, parce qu’il n’en peuvent plus tout simplement. C’est une question de bien-être psychologique jusqu’à un certain point. » – Alexis Tremblay

Virage politique ?

 

 

Depuis quelques semaines, la revendication d’une compensation financière des professeurs de demain est très médiatisée et cause de réels débats sociaux sur la toile et à l’Assemblée nationale. La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a avoué « étudier le dossier » de très près, en considérant l’enjeu d’une manière globale.

« Sérieusement, je pense que ce n’était jamais encore arrivé que ça soit autant présent que ça, sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. J’ai l’impression que c’est devenu un sujet électoral vraiment important, et c’était ça notre but ultime au fond. » – Rose Beaupré Ayotte

La déléguée aux affaires externes de l’AÉBÉPEP avoue toutefois conserver certaines réserves à l’annonce libérale, et préfère attendre les conclusions officielles que tirera le parti dans toute cette affaire. « Je ne suis pas dans leurs têtes, mais le Parti libéral a été le dernier à annoncer son soutien, il n’avait plus vraiment le choix. On parle beaucoup d’éducation à la veille des élections. »

De son côté, l’étudiant, Nicolas-Claude Larouche, estime que l’attention apportée au dossier dernièrement est « très encourageante »  et risque de toucher bien plus d’étudiants que les futurs enseignants seulement si le projet aboutit. Au Québec, les stagiaires en sciences infirmières ou en travail social n’obtiennent pas non plus de compensation.

« Je crois que ça va probablement causer un effet crescendo, notre combat. Ça amène une réflexion sur les autres programmes avec des stagiaires, au niveau du service public surtout, en ce qui a trait directement au gouvernement. Plus largement, et indirectement ça touche tout le monde. » – Nicolas-Claude Larouche

L’Université Laval à bord

Lors de son élection en mai dernier au poste de rectrice à l’Université Laval, Sophie D’Amours a promis d’enfin s’occuper de la question des stages payés, tous domaines confondus. À l’époque, Mme. D’Amours avait assuré « y jeter un œil attentif sous peu », mais n’a jusqu’ici pas encore conduit le projet à un gain concret.

Son entrée en fonction est survenue peu de temps après que les doctorants en psychologie aient obtenu 25 000$ en bourses pour leur doctorat de cinq ans. Le 10 octobre dernier dans Impact Campus, le vice-recteur exécutif de l’UL et bras droit de D’Amours, Robert Beauregard, a déclaré qu’il faut s’inspirer du gain de ces futurs psychologues.

« Quand on contribue dans un milieu de travail, il faut être rémunéré, avait-il avoué. C’est une bataille qu’il faut mener partout, et je dirais encore plus dans les secteurs publics et gouvernementaux. Il y a une conversation à accélérer avec l’État, qui doit ouvrir les cordons de la bourse de manière imminente. »