Les régions du Québec manquent de vétérinaires. La pandémie a accentué le phénomène et les propriétaires d’animaux, petits ou grands, se font de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux à lancer des appels à tous afin de trouver un professionnel de la santé animale pour s’occuper de leur compagnon.

Selon Jean-Yves Perrault, président de l’Association des médecins vétérinaires praticiens du Québec (AMVPQ), les fermiers ont besoin de pouvoir s’appuyer sur un vétérinaire en tous temps , à toutes les heures de la journée, à longueur de semaine. Malheureusement, comme dans le cas de la médecine humaine, il constate qu’il y a aussi des bris dans les services vétérinaires et que « ça devient insoutenable ».

Gaston Rioux, président et porte-parole de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec partage cette opinion: avant la pandémie, on observait déjà une pénurie de vétérinaires au Québec comme ailleurs au Canada ou en Europe. Cependant, la pandémie a aggravé le problème en réduisant l’efficacité des cliniques et le nombre de patients qui peuvent être vus: « Elles peuvent recevoir moins de clients par jour, car il faut désinfecter la salle entre chaque client ». L’augmentation des adoptions d’animaux avec la pandémie, vient accentuer la demande en services vétérinaires, ajoute le spécialiste. Kathleen Larouche, vétérinaire dans le domaine des petits et grands animaux à la Clinique vétérinaire du Fleuve à Trois-Pistoles partage le même avis.

Les animaux sont davantage considérés comme des membres de la famille qu’avant, relate Guylaine Brisson. Hubert, pour sa propriétaire, est comme un petit bébé dont elle s’occupe. (crédit photo: Lydia Barnabé-Roy)

Un problème plus marqué en région

De nombreux vétérinaires situés au Bas-Saint-Laurent, approchés dans le cadre de ce reportage, ont refusé une entrevue par manque de temps et non par manque de volonté.  D’après Gaston Rioux, il est plus difficile d’embaucher des médecins vétérinaires en région.

Mme Larouche trouve difficile de jongler entre le travail et la vie familiale. M. Rioux, observe qu’à la différence des villes, les propriétaires d’animaux n’ont pas accès à des centres d’urgence en région. Ainsi, des cliniques se relaient afin d’effectuer des gardes de soirs et de fins de semaine.

Avec la pandémie, Dre Larouche a mentionné l’augmentation de cas urgents hors de l’horaire régulier. Selon M. Rioux et elle, les gens seraient aussi plus soucieux de la santé et du bien-être de leurs animaux de compagnie.

Juste avant l’entrevue, Mme Larouche a terminé la chirurgie d’une chienne atteinte d’une maladie utérine. (crédit photo: Lydia Barnabé-Roy)

Il faut aussi prendre en compte le fait qu’en région, les territoires sont grands, mais peu densément peuplés. Il y a peu de producteurs sur un grand territoire et « ça ne fait pas un développement d’affaires qui peut supporter la pratique vétérinaire», selon M. Perreault.

Le président de l’AMVPQ explique que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec a mis en place un indice de fragilité des établissements vétérinaires. Cet outil a permis de prouver qu’une partie du Bas-St-Laurent, la Haute Mauricie, l’Abitibi- Témiscamingue, et l’Estrie, sont toutes des régions plus vulnérables à une demande des services de médecins vétérinaires.

De longues files d’attente depuis le début de la pandémie

Il existe de longues files d’attente dans les cliniques pour les animaux de compagnie. Les services d’urgence sont plus accessibles pour eux, puisque, contrairement aux grands animaux, ils sont plus faciles à déplacer, souligne M. Perreault. De leur côté, les animaux de la ferme peuvent être à haut risque lorsqu’ils ont besoin d’aide urgente.

Martin Fournier, directeur général de la clinique de l’Estuaire à l’Est-du-Québec, souligne qu’il peut y avoir jusqu’à quatre heures d’attente avant que des animaux de ferme reçoivent des soins d’urgence, puisque dans leur cas, c’est le vétérinaire qui se déplace pour donner des traitements. Vu la densité du territoire, il est possible qu’un vétérinaire ait alors à parcourir 150 à 200 kilomètres pour une urgence.

Causes du manque de main d’oeuvre en santé animale

Selon Jean-Yves Perreault, les causes de la pénurie des vétérinaires sont multiples. La charge de travail est le premier facteur évoqué par ce vétérinaire. Aussi, les risques de maladies professionnelles sont accentuées, car exercer le métier avec des animaux de ferme est une pratique physique. D’ailleurs, Martin Fournier observe que plusieurs vétérinaires en région ont des problèmes de dos, d’épaules, ce qui les oblige à ralentir et à moins travailler. « Cette année on a eu beaucoup plus de problèmes d’arrêt de travail, plus de maladies », partage-t-il.

La formation des vétérinaires est aussi une cause soulevée par M. Perreault.: il s’agit d’une des formations universitaires parmi les plus coûteuses et que les infrastructures disponibles sont limitées. Seulement 96 étudiants graduent par an, d’après Michel Pépin, médecin vétérinaire et porte-parole pour l’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux.  En outre, il est difficile de former des praticiens dans les régions plus éloignées du Québec, avec tous les obstacles que cela crée au niveau de la conciliation travail-famille, évoque M. Pépin.

La salle de radiographie est nécessaire pour détecter de nombreux problèmes chez les animaux de compagnie. (crédit photo: Lydia Barnabé-Roy)

Ça vient du fait que les étudiants qui sortent chaque année du programme de l’Université de Montréal à Saint-Hyacinthe, que 60 % de la promotion va aller dans le domaine des petits animaux. « La région de Montréal est probablement la région la plus attractive pour les jeunes finissants parce qu’il y a les centres de références, la faculté de médecine vétérinaire n’est pas loin, la moitié du Québec vit et va dans la région du Grand Montréal. Donc la clientèle est abondante ce qui fait que les vétérinaires jeunes ont plus tendance à se diriger vers cette ville. », souligne M. Pépin. Cette caractéristique fait en sorte qu’il est plus ardu pour les régions de recruter et d’attirer les jeunes, même si les hôpitaux vétérinaires sont tout aussi bien équipés et professionnels.

À Rivière-du-Loup, Mme Larouche confirme que des vétérinaires sont recherchés depuis des années. Elle se souvient que lorsqu’elle était à l’école dans le secteur des grands animaux, elle s’est fait approcher au cours de sa deuxième année. À la fin de sa formation, elle savait déjà où elle irait travailler. Pour le domaine des petits animaux, les aspirants vétérinaires étaient contactés davantage vers la quatrième ou cinquième année. Cependant, aujourd’hui, elle confie que  « si tu veux avoir quelqu’un ou que tu connais une personne aux études, tu es mieux de t’y prendre de bonne heure et de l’accrocher en première année, puis de le faire travailler les étés pour l’habituer en espérant qu’il vienne travailler avec toi après sa diplomation ».

De plus, M. Fournier souligne qu’il y a une plus grande spécialisation des vétérinaires qu’avant. « Il y a 40 ans , on ne traitait pas le cancer. Maintenant, il y a des dizaines de spécialistes , ce qui fait un peu moins de monde pour faire des traitements de base. » Ce praticien de l’Est-de-Québec n’ignore pas les différences salariales entre les médecins vétérinaires en région et dans les grands centres. Selon lui, il peut y avoir un écart de 10 à 20 % entre les deux, lié, notamment, aux dépenses à faire en essence pour parcourir de longues distances.

Une relève qui se fait toujours attendre

Michel Pépin relate que le nombre d’animaux a continué d’augmenter plus vite que le nombre de vétérinaires au Québec: « On est rendu au-delà de 3 millions de chats et de chiens, puis de seulement 1500 vétérinaires pour les soigner ».

Il explique que l’unique Faculté de médecine vétérinaire où il est possible d’apprendre le métier en français, située à Saint-Hyacinthe attire 700 à 800 étudiants qui aimeraient en faire partie chaque année, mais que le manque de budget, d’espaces et de locaux, de professeurs font en sorte qu’il est impossible d’accroître les places disponibles de 96 à 150.

D’après M. Pépin, l’école essaie d’augmenter un petit peu ses cohortes chaque année, mais le problème de manque de main-d’oeuvre persiste et augmente sans cesse, car « il n’y a pas que les petits animaux ». Il ajoute qu’il faut également former des vétérinaires pour les grands animaux, dans la recherche, dans l’enseignement, dans l’inspection des viandes que l’on mange, dans l’inspection des maladies telles que la covid-19, etc.

« La population de vétérinaires dans les grands animaux est beaucoup plus âgée que dans les petits animaux: ils ont en moyenne une dizaine d’années de plus et la relève n’est pas là. C’est une profession qui n’est quand même pas facile physiquement. Donc étant donné qu’en moyenne 80 filles et 15 garçons graduent, et que les jeunes filles sont moins intéressées par la pratique des grands animaux en région, ça ne facilite pas la relève. » – Michel Pépin

Il croit qu’il va falloir que beaucoup plus de jeunes vétérinaires sortent de l’école pour contrer la pénurie et que cette dernière va durer encore plusieurs années. En plus, il ajoute que le recrutement de vétérinaires formés ailleurs n’est pas facile puisqu’ils apprennent la profession en anglais.

Les refuges débordent

Un organisme de la région de Rivière-du-Loup, Animaux Secours (AS), qui fonctionne différemment des SPCA en s’appuyant sur des familles d’accueil, est rempli à son maximum, selon Guylaine Brisson, trésorière et responsable du financement chez AS. Elle constate que la pénurie de vétérinaires se fait aussi ressentir dans les refuges pour animaux où il y a des abandons, provoqués par le manque de personnel soignant pour les petites bêtes. Selon elle, tous les propriétaires ne sont pas prêts à faire de la route pour soigner leurs animaux.

Guylaine Brisson, trésorière et responsable du financement chez Animaux Secours a déjà été famille d’accueil pour l’organisme. (crédit photo: Lydia Barnabé-Roy)

Mme Brisson croit que de telles situations entraînent une demande plus grande pour les refuges. Elle pense que des personnes peuvent ne pas être consciencieuses et lâcher leur animal dans la nature. « Ça fait des animaux malheureux, puis, en plus, ils peuplent à l’infini, surtout pour les chats: ils peuvent avoir environ trois portées par année. Donc, c’est très catastrophique », affirme la bénévole.

La Dre Larouche, elle ne pense pas que ce sont le manque de services vétérinaires qui causent plus d’abandons, mais bien le retour à une vie normale, à la suite de la pandémie. « C’est sûr que ça se voit dans les refuges que les gens ont recommencé à vivre un peu plus normalement. Il y a beaucoup d’animaux qui avaient été adoptés qui sont comme en retour dans les refuges. », dit-elle.

Des options pour remédier à la situation

Jean-Yves Perreault considère qu’un des bons aspects de la pandémie a été le développement de la télémédecine qui aide les producteurs dans les fermes à avoir du soutien et à les assister pour qu’ils fassent eux-mêmes des interventions sur leurs animaux.

M. Fournier, comme M. Pépin considèrent qu’avec la situation actuelle, il y a deux moyens de s’occuper des animaux qui ont besoin de suivi de vétérinaires. Premièrement, ils croient que les cliniques doivent prioriser les urgences et faire moins d’interventions préventives.

Lorsque les propriétaires souhaitent se débarrasser de leurs chiens. Ces derniers sont plus chanceux que les chats, d’après Mme Brisson, les gens essaient de leur trouver une nouvelle famille par l’intermédiaire du réseau social Facebook. (crédit photo: Lydia Barnabé-Roy)

D’ailleurs, Michel Pépin raconte que dans les dernières années, la médecine vétérinaire des grands animaux a quand même effectué des changements à ce niveau. En effet, elle fait davantage de prévention que de soins au fur et à mesure en vaccinant davantage, en suivant l’alimentation, en réalisant des suivis de troupeau, en dépistant les maladies, etc.

Deuxièmement, ils conseillent aux propriétaires d’être plus vigilants, et à prendre un rendez-vous dès qu’ils constatent une complication avec leurs animaux.

M.Fournier estime même que le problème d’entassement des animaux dans les abattoirs est une situation isolée et que le réseau des vétérinaires au Québec, en région, trouve des solutions pour qu’un vétérinaire puisse prendre la relève en cas de problème.Par ailleurs, le président de l’AMVPQ assure que le système des services de soin en continu est bien soutenu. Il admet cependant qu’il peut y avoir des enjeux et des bris de service, mais qu’une collaboration a lieu entre l’ordre des médecins vétérinaire du Québec, la MAPAQ, le milieu universitaire et son association pour améliorer la structure des services proposés.