Menaces de mort, invitations au suicide, des internautes enflammés ont attaqué Marie-Eve Drouin, une enseignante de Beauce sur ses réseaux sociaux. Sa seule « faute », porter le même prénom que la professeure qui accompagnait des enfants lors d’un segment sur la vaccination obligatoire à l’émission La semaine des 4 Julie, à la mi-janvier.
Marie-Eve Drouin est propriétaire de la clinique scolaire « Les cours de Mme Marie-Eve » à Saint-Georges de Beauce. Elle a malheureusement été confondue avec Marie-Ève Lévesque de « La classe de Mme Marie-Ève », enseignante du centre d’apprentissage Succès scolaire qui, quant à elle, s’est notamment fait connaître pour ses capsules en ligne pendant la pandémie.
Lors de son dernier passage à la quotidienne animée par Julie Snyder, le 18 janvier dernier, les réseaux sociaux se sont enflammés. L’animatrice a demandé à deux enfants de la classe Mme Lévesque leur avis sur la vaccination obligatoire. Après leurs réponses, elle a lâché : « On dirait que je les ai drillés Julie ». Le passage, bien que bref, a été partagé de nombreuses fois, provoquant d’intenses réactions des utilisateurs. Plusieurs personnes se sont acharnées sur Marie-Ève, mais nombreuses d’entre elles n’ont pas su faire la distinction entre Mme Lévesque qui est passée à la télévision et Mme Drouin de Beauce qui gère son entreprise depuis maintenant 7 ans.
C’est le lendemain, vers 15h, que Mme Drouin a commencé à vivre les répercussions de la diffusion de l’émission. Elle raconte qu’elle a reçu un avis Google sur son entreprise lui donnant une étoile sur cinq : « Je pensais que c’était un troll et que c’était anodin ». Elle qui croyait à un événement isolé a été alertée par une autre basse notation une heure plus tard. Elle trouvait cela bizarre, mais ce n’est qu’à 17h qu’elle a vu l’ampleur de la haine dont elle était victime. « Ça s’est mis à dégringoler, à entrer de partout », sur sa page Facebook personnelle, celle de son entreprise et sa boîte de courriel en plus du Google entreprise.
L’enseignante ne comprenait pas toute cette haine qui lui était portée, elle qui n’avait pas vu l’émission. Il a fallu qu’elle tombe sur l’entrevue partagée sur les réseaux sociaux pour comprendre. Dans l’histoire, ce qui la fâche le plus, c’est le fait que ce n’est pas la première fois qu’on la mélange avec Mme Lévesque. Au début de la pandémie, en mars 2020, Mme Drouin offrait déjà ses cours depuis plusieurs années, puis Mme Lévesque s’est fait rapidement connaître et a été mise de l’avant notamment pour des services similaires. « Plusieurs clients se sont entremêlés entre les deux entreprises, confie-t-elle. Mais là, c’est par rapport à ma personne », termine-t-elle par un soupir.
Marie-Eve Drouin se désole que la situation soit arrivée une seconde fois, et surtout pour une chose qu’elle n’avait pas faite. « Informez-vous », affirme-t-elle. Elle mentionne qu’en regardant ses réseaux sociaux, les gens auraient dû réaliser qu’elle n’est pas Mme Lévesque : « On n’a pas le même visage ». La professeure n’arrive pas à croire que les gens se trompent si facilement; même une journaliste qui lui a écrit a fait l’erreur.
Des « Tu mérites de finir dans le fond d’un puits », « T’es une crisse de folle », elle en a lus à la pelletée. Elle confie que ce type de message, «ça rentre dedans, surtout lorsque tu ne t’en attends pas ». Lorsqu’elle a lu un de ces premiers messages violents, elle s’apprêtait à donner un cours à un élève : « Ça m’a vraiment affectée ». Cet événement lui a fait réaliser que tomber est tellement facile, même pour quelque chose dont tu n’es pas responsable.
« Les mots, je les ai reçus dans mon cœur » — Marie-Eve Drouin
L’enseignante ajoute que ce qui la frustre aussi, c’est que personne ne mérite de tels propos, pas même Mme Lévesque. Elle raconte qu’une dame portant le même prénom et nom que Mme Lévesque l’a contactée pour lui faire part de la violence et la haine qu’elle avait également reçu.
Lorsque Mme Drouin a écrit sa publication d’explications sur Facebook par rapport à la situation qu’elle a vécu et contacté personnellement les détracteurs, plusieurs se sont excusés et ont effacé leur message. « Mon but était de dire aux gens d’arrêter de m’envoyer de la haine, et non de les rediriger vers Mme Lévesque », souligne-t-elle. L’enseignante se fie sur le bon sens des gens, racontant aussi que, depuis l’incident, elle avait quand même reçu deux fois plus d’amour que de violence en ligne.
Pour l’instant, la professeure ne compte pas intenter de poursuite contre Noovo, puisqu’elle sait que de telles démarches ont un coût émotionnel chargé.
Un cas parmi plusieurs
Mélanie Millette, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM, explique que les positions extrêmes en ligne jouent un rôle dans le cas des deux Marie-Eve. Il y a une « grogne » liée à la pandémie, selon madame Millette. Le climat social actuel serait propice à l’animosité, mais aussi à la solidarité. La professeure en communication mentionne que les deux phénomènes se côtoient en ligne. En effet, Marie-Eve Drouin a été victime d’une vague de haine, comme mentionné en entrevue, mais également d’un élan de solidarité. Mélanie Millette confirme que le cas de Marie-Eve Drouin fait partie d’un phénomène global. « Malheureusement, le cas de cette enseignante corrobore très bien des données qui ont été analysées », constate-t-elle.
Les femmes qui font partie de la scène publique le sont notamment plus à risque d’être victimes de commentaires dégradants. « C’est facile de s’attaquer au physique, se désole Marie-Eve Drouin, ce sont des insultes gratuites ». Parmi tous les commentaires haineux qu’a reçus l’enseignante, on pouvait effectivement lire «Une grosse crisse de vache » et « Toi avec ton embonpoint, tu peux bien aller voir ailleurs ».
La pandémie est devenu terreau fertile à la haine en ligne, en plus de la logique des algorithmes qui fournissent du contenu extrême aux utilisateurs. « Les plateformes ont tendance à présenter des contenus de plus en plus polarisés », se désole la chercheuse.
La régulation peut aider à contrer la haine en ligne, mais « ça reste une solution a posteriori », souligne Mélanie Millette. Cette dernière critique l’absence de cours d’éducation aux réseaux sociaux et de rhétorique. « Ça ne veut pas dire d’être toujours heureux et de mettre des cœurs et des pouces », concède-t-elle. La professeure de l’UQAM croit qu’il faudrait cependant être capable de débattre sainement, dans le respect.
*L’Exemplaire a tenté de contacter l’équipe de Noovo pour obtenir des commentaires concernant la confusion entre les deux Marie-Eve, mais la chaîne n’a jamais donné de retour.