Lorsque Bill Joy et ses acolytes de l’Université de Berkeley ont mis au point le protocole TPCIP, colonne vertébrale d’Internet, ils ne se doutaient probablement pas qu’ils allaient créer un tsunami. Un raz-de-marée d’une telle ampleur, que « pratiquement tout ce qui a existé avant a été effacé», a lancé Anouk Bélanger, professeure au département de sociologie de l’UQAM. Cette réflexion a été amenée mercredi 4 décembre, à Québec lors de l’inauguration de la nouvelle chaire sur les environnements numériques et l’intermédiation culturelle de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
L’arrivée d’Internet, tout comme avant lui les journaux, la radio puis la télévision, modifie profondément le paysage culturel. «C’est le rapport même au concept de la nation qui est transformé», explique Madeleine Pastinelli, professeure au département de sociologie de l’Université Laval. «Les réseaux sociaux peuvent faire naître des cultures transnationales, qui vivent dans les environnements numériques», ajoute-t-elle.
La vitesse du changement est telle que les environnements numériques «créent aussi une rupture, et ce dans une ambiance de résignation générale, car les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent pas changer le cours des choses», souligne Matthieu Dugal, animateur de l’émission La Sphère, à la première chaîne de Radio-Canada. «Le club vidéo au coin de la rue, il va fermer tôt ou tard», illustre-t-il.
Ces spécialistes sont quelques uns des invités réunis autour du professeur Jonathan Roberge, premier titulaire de la nouvelle chaire sur les environnements numériques et l’intermédiation culturelle de INRS. Le professeur Roberge et son équipe auront pour mission particulière de suivre l’évolution des phénomènes liés à l’intermédiation culturelle.
«La disparition des frontières entre auditeurs et producteurs de culture est un pas énorme pour l’humanité, lance le professeur Roberge. Selon lui, il s’agit maintenant de comprendre comment la mutation des anciens distributeurs sur le Web, devenus éditeurs et aggrégateurs (Netflix, Itunes, Youtube, Facebook, etc.) influencera les contenus culturels eux-mêmes. «Internet modifie les modes de circulation des contenus culturels et ce faisant, il modifie les contenus eux-mêmes, c’est certain», explique le professeur Roberge. «Or, nous ne savons pas exactement quelle est et quelle sera la nature de ces changements et comment cela modifiera nos pratiques», précise-t-il.
Le canal de transmission
Impossible de ne pas voir ici un lien avec les travaux précurseurs du sociologue canadien Marshall McLuhan, connu pour avoir formulé l’expression «le médium, c’est le message». Pour ce théoricien visionnaire, qui a, le premier, utilisé le terme «village global», ce n’est pas tant le contenu lui même qui affecte la société, mais le canal de transmission.
Dans ce contexte, la puissance du tsunami Internet laisse entrevoir des changements d’une ampleur inédite. Mais, que se passera-t-il si la puissance d’Internet venait à créer un décalage trop important avec le monde physique ? L’humanité, par réflexe de survie, pourrait-t-elle en venir à le rejeter ?