Depuis plusieurs années, des coupes forestières sont faites dans les forêts boréales où vivent les caribous forestiers. Autorisées par le gouvernement, les industries forestières exploitent ces forêts dans un intérêt économique autant pour eux que pour la société. Les principaux touchés par cette déforestation intensive sont les caribous qui voient leur habitat disparaitre. En constatant la forte baisse de caribou sur le territoire québécois, le gouvernement met en place de nouvelles lois de protections de l’espèce pour la préserver. De 2003 jusqu’à aujourd’hui, plusieurs plans de rétablissement et stratégies ont été pensés par des experts et soumis au gouvernement pour protéger le caribou forestier.

 

Louis Bélanger, Professeur en Foresterie retraité de l’Université Laval (Crédit: Université Laval)

Malgré les propositions de réhabilitation du caribou sur le territoire québécois, l’espèce continue d’être en déclin. Les plans proposés par les experts, les associations environnementales et les communautés autochtones ne sont pas mis en place par le ministère des Forêts. Dans le cas du réservoir du Pipmuacan, la communauté autochtone des Innus de Pessamit avait demandé de faire de cette zone une aire protégée en proposant un plan complet pour protéger l’espèce de la déforestation. Mais le gouvernement a institué au même moment un nouveau statut d’aire protégée qui est celle d’initiative autochtones. Dans ce cadre-là, le ministère n’est pas impacté dans sa décision d’autoriser des coupes ou non sur ce territoire.

Le statut d’aire protégée n’est attribué que lorsque le territoire est représentatif de la biodiversité, mais surtout lorsque le gouvernement lui accorde le statut. Elles ont pour objectifs de conserver la biodiversité et l’écosystème déjà présent. Les aires protégées sont généralement installées dans des forêts intactes, car il y a moins de loups et les caribous ont une plus grande facilité de survie. D’après Louis Bélanger « l’objectif est de recréer une matrice de forêts plus vieilles car une forêt devient intéressante à l’image du caribou lorsqu’elle ça dépasse 50 ans, donc on veut des écosystèmes de l’ordre de 150 ou 200 ans ». Il faut aussi au minimum 1000km2 pour qu’une harde de caribous puisse survivre.

Ça prend 60ans après une coupe pour que le lichen, qui est la nourriture principale du caribou des bois se régénère. Si on coupe tout les 60 ans il n’y aura plus de lichen; si t’enlève la nourriture, t’élimine les espèces. — Henri Jacob.

Spécificité et importance du caribou forestier au Québec

Avec l’exploitation forestière, le caribou diminue et la végétation change pour devenir plus appropriée aux feuillus tels que l’orignal. Ce remplacement d’espèces montre un changement de paysage dans les forêts boréales. La diminution de la population de caribou forestier est indicateur de la santé de l’écosystème et de la biodiversité. Louis Bélanger précise « qu’il y a des espèces qui deviennent emblématiques parce qu’elles frappent l’imagination ».

On reconnait que le caribou est important et que s’il disparait ça risque d’avoir un impact aussi sur nous. — Louis Bélanger

Le caribou est doublement symbolique, il n’est pas qu’une espèce menacée c’est aussi la réconciliation entre Québec et toutes les communautés innues. Pendant longtemps, les Innus étaient dépendants du caribou forestier en termes de subsistance, c’était un animal clé dans un écosystème déjà relativement pauvre. Selon eux, si le caribou venait à disparaitre alors ce serait un « génocide culturel » pour leurs communautés.

Le dossier de l’aire protégée du Pipmuacan s’inscrit dans ce processus de réappropriation culturelle de leur territoire et est, dans un sens, un test de réconciliation avec le gouvernement. Selon Louis Bélanger c’est « un geste symbolique pour protéger le caribou, mais c’est aussi une demande pour savoir s’ils sont capables de faire quelque chose pour leur survie culturelle ». Ils utilisent cette espèce menacée au cœur de leur culture comme espace de discussion.

De quoi retournent les conflits entre les différentes institutions?

Henri Jacob, Président de l’Organisation environnementale, Action Boréale

Depuis que la loi est passée pour faire du caribou une espèce protégée, le gouvernement affirme qu’il est important de protéger des zones comme le Pipmuacan, cependant des coupes sont déjà autorisées à l’intérieur de ces forêts. Les associations, les autochtones et les militants environnementaux s’interrogent sur cette contradiction et dénoncent ce type de situation qui s’avère très fréquente. Au Québec, 80% des forêts appartiennent à tout le monde, à la population, aux autochtones et aux non autochtones sur le territoire.

Pour protéger la biodiversité il faut changer la nature de notre économie. — Louis Bélanger

Malgré les divergences, les communautés autochtones affirment qu’il y a la possibilité de faire une cohabitation avec l’industrie forestière et le ministère des Forêts. Pour Louis Bélanger, « ce n’est pas parce qu’on coupe dans un secteur que le caribou disparait, c’est la quantité de coupe qu’on y fait. Pour que cette cohabitation se fasse, il faut que l’intensité d’exploitation diminue ». Selon eux, ce qu’il faut c’est un plan de transition économique équitable et juste, protéger le caribou est un passage obligatoire.

Quant au Saguenay Lac-Saint-Jean, c’est une région en constante confrontation avec l’industrie du bois où deux ministères se font face : le ministère de l’Environnement et le ministère des Forêts. Les dialogues sont au point mort et la situation avance difficilement.