Le taux de césariennes a atteint 30% en mars 2022 au Canada, selon une étude publiée dans le Canadian Public Policy. L’augmentation de ces opérations chirurgicales, qui ne sont pas sans conséquences sur la santé des femmes, s’explique aussi par plusieurs facteurs. Mais en fait-on trop? Pourraient-elles être parfois évitées?
Ariane Desbiens, résidente de Saint-Georges en Beauce, a donné naissance à son premier enfant par césarienne en 2017. Cette opération sous péridural s’est avérée nécessaire, car le travail s’était arrêté après plus de 30 heures. En 2019, elle met au monde son deuxième enfant par accouchement vaginal après césarienne (AVAC). Pour elle, il s’agit de son « accouchement parfait » : naturel, en cinq heures de travail et accompagné d’une sage-femme dans une chambre d’hôpital. Deux ans plus tard, Ariane donne la vie à son troisième enfant. Cet accouchement a été plutôt rocambolesque, raconte-t-elle. Contrainte, cette fois, d’accoucher par césarienne en urgence, en raison d’un problème détecté sur le cordon ombilical du bébé. Ariane Desbiens témoigne aussi des conséquences de ses césariennes et de la convalescence qu’elles ont entraînée.
Les avis sur la césarienne sont partagés dans l’entourage d’Ariane Desbiens. Certaines femmes, comme elle, veulent donner naissance le plus naturellement possible. D’autres aiment le côté prévisible ou acceptent volontiers la possibilité de cette opération. C’est le cas d’Anne-Élizabeth Rousseau qui a donné naissance à son premier bébé en août 2021. Après 41 semaines de grossesse, son accouchement a dû être déclenché (une grossesse dure normalement 40 semaines). Mais cela ne suffisait pas: le bébé était gros, le travail n’avançait pas et la péridurale ne fonctionnait pas; la future maman vivait une douleur insoutenable, se remémore-t-elle. « Moi, j’ai demandé la césarienne parce que ça faisait juste trop mal ». Elle admet avoir vécu une petite déception, mais elle n’y pense plus aujourd’hui. « Je pense qu’on a toujours comme but d’accoucher par voie vaginale, mais pour moi c’était correct la césarienne ».
Se remettre de l’opération
Docteur Nils Chaillet, professeur agrégé au Département d’obstétrique et gynécologie de l’Université Laval, explique que la convalescence à la suite d’une césarienne peut effectivement être plus longue qu’un accouchement par voie vaginale, car il s’agit d’une opération majeure. D’abord, la femme devra rester plus longtemps à l’hôpital, soit de deux à trois jours, comparativement à une journée dans le cas d’un accouchement voies naturelles.
« Si l’on veut comparer les conséquences d’une césarienne et celles d’un accouchement vaginal, il faut le faire chez les femmes à bas risques », explique Dr Chaillet. « Les risques de la césarienne sont généralement plus grands : blessures aux organes internes, infections de la cicatrice, complications cardio-respiratoires pour le bébé… On a recours à la césarienne si les conséquences encourues sont moins graves que l’accouchement naturel », souligne Dr Chaillet.
Dans le cas d’Anne-Élizabeth Rousseau, la convalescence s’est bien déroulée, elle pouvait marcher le lendemain. Elle a quitté l’hôpital après une seule journée. Sa plaie s’est cependant ouverte dans les jours suivants. Peut-être que c’est parce qu’elle est retournée trop rapidement à ses activités, croit-elle. Mais « contrairement à ce que j’ai entendu, j’ai vraiment eu une belle expérience de césarienne », souligne Anne-Élizabeth.
Ariane Desbiens pense, de son côté, que sa première césarienne a nui à sa montée de lait, car elle n’a pas pu faire de peau à peau rapidement après la naissance. De plus, il lui a fallu cinq mois, lors de sa deuxième césarienne, avant de retrouver sa forme physique alors que, selon les spécialistes, la convalescence d’une césarienne prend entre six et huit semaines. Pendant quatre semaines, elle n’arrivait même à pas se pencher pour soulever son bébé.
«Si on la fait dans les bonnes conditions, les objectifs d’une césarienne sont de sauver la maman et le bébé » -Dr Chaillet.
Le taux de césariennes: un phénomène difficile à expliquer
Selon une récente étude du Centre de recherche CERVO, de toutes les raisons derrière la hausse des césariennes au Canada, la majorité demeurent inexpliquées. Mariepier Isabelle, chercheuse de l’étude, explique que des données sur quatre millions d’accouchements au Canada entre 1995 et 2011 ont été utilisées pour en venir à cette conclusion. « On a pourtant de très bonnes données et même avec ces informations-là, on n’est pas capable d’expliquer la hausse des césariennes», confirme-t-elle. Plusieurs facteurs étaient mis en cause, tels que la rémunération augmentée des médecins lorsqu’ils font des césariennes, l’obésité de la mère et le diabète de grossesse. Ces éléments représentaient néanmoins 1% des causes de l’augmentation.
« On remarque toutefois que cette hausse survient presque exclusivement entre 2000 et 2005 », révèle Mme Isabelle. Les chercheurs de l’étude ont donc émis deux hypothèses. Tout d’abord, l’innovation technologique au cours des années 2000 avec le monitoring fœtal pendant l’accouchement. Cela pourrait « expliquer pourquoi on a un plus grand recours à la césarienne si on est capable de détecter les signaux de détresse chez les bébés », dit-elle, et, elle ajoute que les chercheurs n’ont pas été en mesure de vérifier cette hypothèse.
Une autre étude coordonnée par l’Université de Toronto et publiée en 2000 aurait conclu que, pour les bébés en position de siège, l’accouchement par césarienne était plus sécuritaire que par voie vaginale. « Cela aurait altéré la perception des cliniciens sur la sécurité relative d’une césarienne en général », explique Mme Isabelle. Sans être capables d’invalider l’hypothèse, les scientifiques n’ont pas beaucoup de preuves empiriques pour confirmer le facteur.
Le Dr Nils Chaillet précise que divers facteurs peuvent contribuer à l’augmentation du taux de césariennes, comme les habitudes de reproduction dans un pays. Il observe qu’avec un plus grand accès au travail et aux études, les femmes sont plus âgées lors de leur première grossesse. Et l’âge est un facteur de risque, car, plus la future mère est jeune, plus elle augmente ses chances de ne pas présenter de complications pendant la grossesse et l’accouchement. Le professeur en médecine mentionne également que la culture est un autre facteur à prendre en considération. Il explique que dans certains pays, la césarienne est bien perçue et que des personnalités influentes qui se déclarent «pro-césariennes » peuvent inciter le reste de la population à adopter la même idée.
Ce que signifie le taux de césariennes
Si la hausse du nombre de césarienne ne peut pas être vraiment expliquée, fait-il malgré tout s’en inquiéter? Selon le Dr Chaillet, ce n’est pas un indicateur de santé publique et il faut l’observer dans sa globalité: « Il faut toujours revenir à l’impact sur la population, sur la maman et sur le bébé, c’est pour ça que ce n’est pas si simple ». Il vaut mieux porter son attention sur l’impact des césariennes et les complications sur les nourrissons et leur mère. « Ce n’est pas si grave le taux de césariennes, mais ce n’est pas anodin non plus », relativise le professeur.
Il faut faire une mise en balance entre la mortalité et les complications: « moins vous avez de césariennes, plus il y a de mortalité, plus vous avez de césariennes, plus vous avez de complications », explique le Dr Chaillet. En effet, des pays en voie de développement présentent une situation contraire à celle du Canada: par manque d’équipement et de personnel, il n’y a pas assez de césariennes, ce qui augmente les risques de décès à l’accouchement. D’après Nils Chaillet, il n’existe pas de taux optimal de césariennes. Il dépend, notamment, « des habitudes de reproduction, des habitudes sanitaires et des ressources que l’on a en personnel de santé et en équipement. Il dépend également des bonnes pratiques que le pays observe », précise le médecin.
L’Observatoire des tout-petits rapporte que la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada fait « la promotion des accouchements normaux, sans intervention technique lorsque c’est possible ». L’Observatoire ajoute que « malgré son utilité médicale, la césarienne peut entraîner des complications temporaires, des incapacités permanentes et, bien que rares, des décès ». Pour le Dr Nils Chaillet, le message par rapport aux césariennes doit être standardisé dans la société et les patientes doivent être bien sensibilisées afin de faire un choix éclairé. Le médecin recommande d’ailleurs aux mères de consulter des ressources qui donnent des informations prénatales, comme le guide Mieux-vivre avec son enfant.
Éviter la césarienne : encore possible?
Tel que le mentionne le Dr Chaillet : « une césarienne est toujours faite pour une bonne raison ». Le cordon ombilical du bébé peut s’être enroulé autour de son cou et être en train de lui couper les voies respiratoires. Le nourrisson peut être en manque d’oxygène ou son cœur peut mal supporter le travail s’il dure depuis un long moment. Il faut se rappeler que, lorsque le travail est commencé, une femme a 48 heures pour accoucher.
Les médecins peuvent procéder à la chirurgie si le travail a cessé de progresser ou si le bébé est coincé (par exemple, la dystocie de l’épaule). L’opération peut aussi être réalisée pour éviter une hémorragie massive chez la mère, pour éviter des complications majeures dues à des conditions de santé ou si la femme a déjà eu d’autres césariennes. Dans tous les cas, le docteur assure que cette décision permet d’éviter une mort certaine à la mère ou à l’enfant.
« Les césariennes, c’est vital […], mais il ne faut pas trop en faire », soulève le Dr Chaillet. Il indique qu’il n’y a pas de taux parfait, car les données sont très variables et volatiles d’un endroit à l’autre. Mirabelle Lavoie, sage-femme à la Maison de naissance du Boisé de Blainville dans les Laurentides depuis maintenant 4 ans, partage cette opinion : « Les données de l’OMS là-dessus sont extrêmement claires. Si le taux de césariennes est en bas de 5%, ça veut dire qu’on ne fait pas les césariennes que l’on devrait faire, c’est clair, et on perd très certainement des mères et des bébés à cause de ça. En revanche, quand l’on passe au-dessus de 15 ou 20%, ce qui est notre cas actuellement, on tue des mères qui meurent de complications de la chirurgie et qui n’auraient pas dû mourir. On augmente la mortalité maternelle ».
D’après Mme Lavoie, certaines césariennes pourraient être évitables. Elle mentionne qu’il est certain que le risque zéro n’existe pas en obstétrique, mais que, malgré l’amélioration de la technique d’incision qui rend l’opération plus facile à pratiquer, il n’est pas nécessaire de recourir plus fréquemment à cette intervention.
Lorsque, par exemple, les médecins ont affaire à une femme plus âgée, ayant un surpoids et faisant du diabète, ils vont proposer plus rapidement d’induire le travail avant 40 semaines de grossesse puisque le bébé a plus de risques de mourir in utero. Même si les statistiques augmentent, le taux reste très bas pour la population québécoise en général, explique la sage-femme. Ainsi, ses accouchements seraient provoqués, alors que les corps des femmes et de leur bébé ne sont pas nécessairement prêts. « Les études sur l’induction démontrent qu’induire plus ne fait pas plus de césariennes, mais sur le terrain, ce n’est pas cela que l’on voit », confie Mme Lavoie.
Elle raconte que les professionnels travaillent beaucoup avec la peur et que ces derniers disent aux femmes que si elles n’accouchent pas avant 40 semaines, leur bébé va mourir dans leur ventre. Cependant, « pour faire des choix, il faut savoir », insiste Mme Lavoie. Lorsque les femmes entendent ce message, elles ont envie d’expulser leur bébé au plus vite, alors que les risques que la pire situation empire sont bas.
La sage-femme croit que beaucoup de pression est mise sur les épaules des femmes, qu’on leur remet la faute facilement. Il faudrait améliorer la gestion en obstétrique des hôpitaux et la façon dont on présente les situations problématiques aux futures mères, croit-elle. « Car quand on prend la décision d’une césarienne, c’est qu’on est rendu là. On ne la fait pas pour rien. Il y a toujours une raison », assure la spécialiste. Elle évoque également des études en cours qui analysent si les docteurs devraient être plus patients avant de se rendre à la césarienne.
Les médecins, allègue-t-elle, s’appuient sur trois grands « p » : le pouvoir de l’utérus, le passager et le passage. Ils auraient tendance à « prendre pour acquis que si ça ne bouge pas, c’est que le passage n’est pas assez grand, que le bébé est trop gros ou que l’utérus ne fait pas son travail comme il faut », lance-t-elle. Elle insiste cependant sur le fait qu’il y a beaucoup plus de caractéristiques sur lesquelles ils devraient se fier.
L’importance de l’accouchement vaginal
L’accouchement par voie basse, selon le Dr Nils Chaillet, stimule le bébé. L’utérus l’aide dans sa transition d’un monde liquide à une phase gazeuse lors de sa naissance. Les contractions « essorent » le bébé et lui font éjecter ses sécrétions pulmonaires, ce qui réduit considérablement les risques de problèmes cardio-respiratoires. Aussi, le microbiote de la flore vaginale colonise le bébé lors de la délivrance. Par la suite, le colostrum de la mère va donner des anticorps nécessaires au nourrisson pour renforcer son système immunitaire.
Mirabelle Lavoie raconte aussi que la vertu du peau à peau — poser le bébé sur la mère immédiatement après la sortie de son ventre — est puissante et que cette pratique renforce vraiment le lien émotif entre la mère et l’enfant. « Un bébé humain, c’est à la fois très fort, mais extrêmement dépendant. Il y a peu de mammifères qui sont aussi peu armés pour la vie et qui vont avoir une croissance aussi lente », mentionne la sage-femme. C’est pourquoi ce lien affectif est important et se doit d’être développé dès la naissance.
Une chose dont elle veut que l’on se rappelle, puisqu’on l’oublie souvent selon elle, c’est qu’on assiste à une relation tout au long de l’accouchement. « C’est comme quand tu vas sur une première « date », tu ne peux pas décider quelle va en être l’issue, il y a un autre être humain impliqué dans cette rencontre-là ». Elle clame que la hausse des césariennes n’appartient pas aux femmes et qu’il faut arrêter de les responsabiliser. Elle témoigne qu’il faut déconstruire cette idée, puis que c’est le système qui devrait travailler à améliorer le taux qui monte sans arrêt.