Plusieurs termes désignent ce mouvement – détrivorisme, déchétarisme, gratuivorisme –, mais ses adeptes utilisent souvent le terme anglais dumpster diving, pour désigner leur plongée dans les bennes à ordures. Les détrivores s’échangent les bonnes adresses et sortent (souvent la nuit) pour récupérer ce qui est encore propre à la consommation dans les poubelles des commerçants.

Deux d’entre eux nous ont raconté comment cette façon de se nourrir s’inscrit dans leur vie d’étudiant. Ils l’ont fait avec beaucoup de spontanéité, plutôt contents de l’intérêt que la pratique suscite; pour eux, l’objectif est de conscientiser les gens à l’énorme gaspillage qui caractérise notre société.

Cédric étudie en biologie à l’UQAM. Au cours de la dernière année, il estime avoir recueilli 80 % de ses aliments dans les conteneurs des commerçants. Lui et ses amis font leur tournée une ou deux fois par semaine – c’est comme faire l’épicerie en bonne compagnie, avec en prime une virée en vélo qui les aide à se tenir en forme! Il dit s’alimenter plus sainement qu’avant, en partie parce qu’il trouve surtout des fruits et des légumes; il a aussi accès à des aliments qu’il ne s’offrirait pas autrement – des mangues, par exemple. Avec le petit budget qu’il met de côté pour compléter son épicerie, il peut s’offrir de temps en temps de l’huile d’olive ou de la farine de blé entier, avec laquelle il fait lui-même son pain.

Thomas, quant à lui, « fait les poubelles » – selon sa propre expression – depuis plus de deux ans. Étudiant en service social à l’Université Laval, il a appris l’existence de cette pratique par un ami. Enthousiasmé par une façon de faire qui correspondait à ses valeurs, il s’est lancé dans l’aventure et ne le regrette pas. Il tente de s’alimenter uniquement de cette façon; lui et son colocataire complètent à l’occasion leurs menus en privilégiant les petits commerces, qui ont une gestion plus serrée de leurs stocks et gaspillent moins. Comme Cédric, il dit avoir une alimentation équilibrée.

Des règles d’or

Le détrivore s’est donné certaines règles qui permettent le respect de tous :

Faire sa cueillette en dehors des heures d’ouverture. Le détrivore prend soin de ne pas déranger les clients et les commerçants. S’il agit parfois pendant les heures d’ouverture, c’est très discrètement.

C’est « premier arrivé, premier servi », mais il ne prend que ce qu’il lui faut. Il ne veut pas se retrouver à jeter lui-même des surplus à la poubelle! Cependant, comme il ne sait jamais si l’éboueur est sur le point de passer, le détrivore ramasse parfois tout ce qu’il trouve pour le partager ensuite avec sa communauté. S’il choisit de laisser des aliments sur place, il les met parfois de côté après les avoir triés à l’intention de ceux qui le suivront.

Laisser l’endroit au moins aussi propre qu’à son arrivée : le détrivore ne laisse rien traîner pour ne pas valoir au commerçant une contravention ni risquer de trouver son butin envahi par la vermine!

Et la salubrité?

Le détrivore met-il sa santé en péril? Ni Cédric ni Thomas n’ont jamais eu de problème de santé en raison de leur alimentation, et leurs amis non plus. Ils rappellent que nos sens – vue, odorat, toucher – nous permettent de reconnaître les aliments impropres à la consommation. Dès leur retour à la maison, ils éliminent les parties gâtées, lavent les aliments et les font cuire. Dans le conteneur, ils choisissent de préférence les aliments emballés et évitent les plats cuisinés, qui présentent des risques dès qu’ils sortent de la chaîne du froid prévue par le fabricant.

Si certains commerçants font obstacle au détrivore en compactant les déchets, en mettant un cadenas sur leurs conteneurs ou en les choisissant trop hauts pour qu’on puisse y entrer, d’autres lui apportent directement des aliments qu’ils ont mis de côté à son intention. Mais la majorité d’entre eux demandent simplement au détrivore de laisser l’endroit propre. Quant aux clients croisés à l’occasion, ils sont souvent curieux, posent des questions et réagissent plutôt positivement.

Il arrive même qu’un détaillant ait une entente avec un groupe. C’est le cas pour le comité de l’environnement des étudiants en sciences de l’UQAM, dont les membres vont chaque semaine chercher des aliments mis de côté par un commerce pour les redistribuer à l’Université. Dans plusieurs autres établissements universitaires, des groupes semblables tentent de mettre en place une distribution d’aliments gratuits pour les étudiants aux moyens modestes, mais ils se heurtent parfois aux représentants de l’autorité, qui disent vouloir protéger la santé des étudiants. Il existe cependant des collaborations fructueuses en cette matière, par exemple à Concordia (The People’s Potato) et à McGill (The Midnight Kitchen).