Jusqu’à récemment, il n’était pas rare que les résidents travaillent 24 heures d’affilée dans les hôpitaux québécois; une nouvelle entente limite aujourd’hui la durée de leurs gardes. Cette entente n’a cependant pas encore d’équivalent dans le reste du Canada, où la durée des gardes fait toujours l’objet d’un débat.

Les conséquences du manque de sommeil

Isabelle a fait sa résidence en médecine à la fin des années 1990. À l’époque, quand elle quittait l’hôpital peu après l’arrivée de l’équipe du matin, il n’était pas rare qu’elle soit au travail depuis 24 heures; pourtant, on lui faisait souvent comprendre qu’elle aurait dû rester encore un peu pour donner un coup de main. En rentrant chez elle au volant de sa voiture, elle était tellement fatiguée qu’elle ne respectait pas les arrêts obligatoires, mais sa principale préoccupation était que sa fatigue ne nuise pas à ses patients, même si on parlait encore très peu des effets du manque de sommeil.

Selon la plupart des études, nous avons besoin en moyenne de sept à huit heures de sommeil chaque nuit, à défaut de quoi on s’expose à plus ou moins long terme à des conséquences sérieuses : diminution de la masse cérébrale, affaiblissement du système immunitaire, aggravation du stress et augmentation du risque de diabète, de dépression, d’hypertension, de maladie cardiovasculaire… la liste est longue. L’une de ces études montre même qu’après une seule nuit blanche, les facultés seraient aussi affaiblies qu’avec un taux d’alcool sanguin de 0,1 %; évidemment, le risque de commettre des erreurs ou d’avoir un accident d’automobile s’en trouve multiplié.

Un changement bienvenu

Pour les résidents, les choses ont commencé à changer en 2012, lorsqu’ils ont signé une nouvelle entente avec le gouvernement du Québec. Aujourd’hui, la journée d’un résident ne peut plus dépasser 16 h, et sa semaine de travail est limitée à 80 h. Selon le docteur Joseph Dahine, président de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), c’est une nette amélioration : les recherches montrent que les résidents qui sont de garde la nuit sont plus alertes et plus enclins à répondre aux appels des infirmières, qui disent d’ailleurs constater la différence. « L’ancien système était néfaste; ce n’est pas humain de travailler 24 heures d’affilée », a d’ailleurs affirmé le Dr Dahine lors d’une entrevue téléphonique.

La durée réduite des gardes a eu un autre effet positif : alors qu’autrefois, les résidents accablés de fatigue réglaient la nuit les problèmes les plus urgents tout en tentant de glaner ici et là quelques heures de sommeil fragmentées, ils voient plutôt aujourd’hui le quart de nuit comme une période calme, pendant laquelle ils ont vraiment le temps de se consacrer à la médecine proprement dite, sans avoir à faire des appels, à rencontrer les familles ou à donner congé à des patients.

L’entente a été suivie d’une période d’adaptation assez longue, qui n’est pas terminée. En effet, il faut revoir tout un système organisé autour des journées de 24 heures afin de trouver de nouveaux modèles. Pour le Dr Dahine, « le nombre d’heures n’est que l’une des pièces du casse-tête, et la réduction des journées de travail doit s’accompagner d’autres mesures. » Il faut entre autres réévaluer la façon de composer les équipes de jour ou de nuit et d’assurer le transfert des dossiers lors de transitions devenues plus fréquentes.

La multiplication des transferts de dossiers est d’ailleurs l’un des obstacles à l’adoption de ce type de mesures dans le reste du Canada, où l’entente adoptée au Québec n’a pas encore d’équivalent; certains intervenants avancent en effet que chaque transition entraîne un risque d’erreurs. Ils craignent aussi une diminution du nombre d’heures de formation des futurs médecins, qui sortiraient donc de la faculté moins bien outillés que leurs aînés. Il faut souligner qu’au Québec, depuis l’entente de 2012, le nombre total d’heures de résidence n’a pas diminué; les horaires ont simplement été réorganisés.

Nouvelle approche pour la formation

Parallèlement au débat sur la longueur des gardes des résidents, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (chargé d’agréer les programmes de résidence des universités) œuvre à l’élaboration d’une nouvelle approche de formation structurée autour de l’acquisition de compétences plutôt qu’uniquement en fonction de la durée de la formation, ce qui pourrait vraisemblablement rendre caduc le débat sur le nombre d’heures de résidence.

Cette nouvelle approche, Marianne, étudiante en médecine, pourra peut-être en profiter. Interrogée sur le manque de sommeil chez les étudiants en médecine, elle affirme qu’elle dort déjà moins bien qu’avant, et moins longtemps; en effet, elle et ses collègues vivent dès la première année une grande pression pour se démarquer par leur sérieux et leurs connaissances. Cela se traduit par de longues heures d’étude, mais aussi souvent par de l’anxiété qui nuit à la qualité de leur sommeil.

Dans un peu plus d’un an, Marianne entamera son externat. Elle sait ce qui l’attend : plus de 40 heures par semaine à l’hôpital, en plus d’un horaire de cours chargé. Pourtant, elle trouve déjà difficile de trouver du temps pour sa famille, son amoureux et ses loisirs, sans parler de caser les heures de sommeil qui lui sont nécessaires pour fonctionner au mieux. Pourtant, à la faculté de médecine, personne ne parle vraiment de la privation de sommeil et de ses effets; c’est normal pour tout le monde d’être fatigué, et on se dit que ça ne durera que quelques années.