Dans la campagne électorale, le débat des chefs en français, jeudi dernier, était un des événements très attendus au Québec. Stephen Harper, ThomasMulcair, Justin Trudeau, Gilles Duceppe et Elizabeth May étaient réunis sur le même plateau. Les échanges ont parfois été très vifs sur les sujets sensibles du moment.
Les représentants de chacun des cinq grands partiscanadiens ont présenté en français leur programme sur les grandes questions de l’heure et l’avenir du pays. Les journalistes Yves Boisvert de La Presse et Patrice Roy de Radio-Canada ont questionné les candidats sur les principaux sujetsqui préoccupentaujourd’hui les Canadiens: gouvernance, économie, environnement, image du Canada dans le monde, accueil des réfugiés, port du niqab, etc.
Le gouvernement au service des Canadiens
Les questions découlant des domaines de la santé publique, de l’assurance médicaments et de l’aide en fin de vie ont engendré une discussion animée dès le début du débat.
Le chef du parti néo-démocrate, Thomas Mulcair, n’a eu de cesse de dire qu’il souhaitait un « gouvernement qui nous ressemble et qui nous rassemble ». Il répète depuis le début de la campagne que son parti « a un plan solide et crédible ». Ce dernier présente son parti comme étant ouvert aux négociations et aux discussions avec les autres provinces.
En réponse à ces affirmations, Justin Trudeau, chef du parti libéral, a déploré que le NPD soit trop « centralisateur », au risque d’alourdir la bureaucratie.
Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois et Elizabeth May, numéro un du Parti vert,ont tenté, quant à eux, de créer une certaine coalition pour s’entendre sur un taux de 25 % pour les assurances médicaments des Canadiens.
Mais c’est la question du port du niqab, très controversée au pays, qui a suscité les plus vives réactions. Justin Trudeaus’est montré catégorique sur le sujet. Il a ainsi souligné que « si un homme ne peut pas dire à une femme comment s’habiller, l’État ne devrait pas dire à une femme comment elle ne devrait pas s’habiller. […] L’État, a-t-il précisé, est là pour défendre le droit des minorités et les droits des femmes ».
Gilles Duceppe, très offensif sur le sujet,a rapidement rétorqué que tout cela était en contradiction avec le principed’égalité des hommes et des femmes dans notre société. Il a ainsi rappelé que 90 % des Québécois étaient en désaccord avec le port du niqab.
Stephen Harper, quant à lui, est resté sur la même position. Il refuse toujours l’idée que l’on puissemasquerson identité dans un pays comme le Canada. Il a ajouté qu’il n’irait« jamais dire à [sa] jeune fille qu’une femme devrait se cacher le visage parce qu’elle est une femme ».
Elizabeth May, pour sa part, a tenté de clôre cette discussion en précisant que ce débat sur le niqab n’avait rien à voir avec les véritables préoccupations des citoyens dans leur vie quotidienne : environnement, pouvoir d’achat, respect des droits de la personne, etc,
Économie et promesses
La question économique a également donné lieu à de nombreuses propositions de la part des chefs des partis. Le gouvernement Harper considèreque ses initiatives au cours des dernières années restent les meilleures en ce qui concerne les infrastructures et le domaine fiscal des entreprises.
M. Harper a expliqué que ses adversairesallaient engendrer de nouvelles dépensesqui ne conviennent pas aux Canadiens. Son gouvernement souhaite au contraire,selon lui, favoriser une baisse des impôts dans la mesure du possible. Il a consentià dire que cela concernait aussi bien les particuliers que les propriétaires des petites et moyennes entreprises (PME).
Justin Trudeau a répondu qu’il avait pour sa part « un plan d’investissement de 20 milliards de dollars sur 10 ans dans les infrastructures sociales ». Et de préciser que « le gouvernement fédéral peutêtre un meilleur partenaire pour les municipalités et les provinces » et il a promis de tout faire pour que ce soit le cas avec son équipe.
Trudeau a également expliqué que son programme se voulait bénéfique pour les familles de classes moyennes. Il a dénoncé à cet égard le projet de Thomas Mulcair qui souhaite augmenter les impôts dans des entreprises comme Rona et Jean Coutu.
Selon lui, le projet du NPD ne créera aucun emploi, aucun investissement nouveau. Cela risque au contraire, a-t-il insisté, de « coûter encore plus cher aux personnes qui ont déjà de la misère à joindre les deux bouts ».
Thomas Mulcair a souhaité rappeler que bon nombre de Canadiens ne paient pas les impôts qu’ils devraient au gouvernement,faisant référenceaux grandes entreprises, aux banques et à l’industrie pétrolière. Il a promis à ce sujet qu’il avait l’intention « d’augmenter leurs taxes de 2 % » afin de mieux redistribuer la richesse aux personnes qui sont dans le besoin, notamment les aînés. Il considère que les stratégies des autres partis ne sont pas les bonnes étant donné le nombre élevé de chômeurs au pays.
Gilles Duceppe est revenu sur le sujet de l’entente transpacifique. Il a souhaité que tous les partis s’entendent sur le fait de « maintenir la gestion de l’offre intacte ». Dans le cas contraire, cela engendrera selon lui des conséquences importantes pour la société québécoise.
Sénat : le sujet qui fâche
La question de l’avenir du Sénat, sensible dans tous les partis et au sein de la population canadienne, a également animé le débat des chefs.
Mme May a rappelé que le Parti vert ne souhaitait en aucun cas l’abolition du Sénat mais plutôt une réorganisation en profondeur de l’institution. Elle a précisé que la chose la plus urgente à faire étaitde « réduire le pouvoir du bureau du premier ministre. » Tout cela en apportant des modifications dans la Chambre des communes du Canada et non pas dans la Constitution même du pays.
En réponse à la question posée sur l’utilité actuelle du Sénat, M. Trudeau a indiqué que M. Mulcair voulait« engendrer des débats et des négociations sur la Constitution afin de pouvoir éliminer le Sénat ». Il a ainsi mis del’avant que son parti était prêt àétudier l’avenir du Sénat en « évitant le favoritisme politique ».
M. Mulcair a laissé entendre quedes discussions étaient nécessaires entre toutes les provinces pour régler cette question une fois pour toutes. Cependant, le Québec et l’Ontario ont déjà refusé toute implication dans ce projet.
Gilles Duceppe a pour sa part réfuté les arguments de M. Mulcair en précisant que « toutes les provinces et les Premières nations » devaient avoir un avis unanime pour modifier quoi que ce soit quant à l’avenir du Sénat.
Stephen Harper a rappelé qu’il « ne rencontre pas des Canadiens qui veulent retourner à l’époque des négociations constitutionnelles ». Il s’est là-dessus justifié en précisant que son gouvernement faisait déjà des économies avec le Sénat en laissant des sièges vacants et en diminuant année après année les frais de fonctionnement de l’institution.
La question nationale quant à l’avenir du Québec au sein du Canadas’est ensuite imposée au cœur du débat. M. Duceppe a pris les devants en indiquant qu’il ne comprenait pas « comment le Canada pourrait refuser la question du Québec ». Il a dénoncé le fait que le Canada ne respecte pas la loi référendaire. Et de rappeler qu’il s’agit là d’une « règle fondamentale en démocratie ».
M. Mulcaira renchéri en attaquant directement le candidat libéral qui avait lors d’un autre débat en anglais affirmé « qu’il ne faisait pas confiance aux Québécois ».
Au-delà de ces propos, M. Harper a déclaré que « les Québécois sont clairs : ils ne veulent pas d’un autre référendum ». Il a insisté sur le fait que le « vrai débat » aujourd’hui concerne l’économie, les impôts, les valeurs canadiennes, la recherche de l’équilibre budgétaire, les impôts et les compressions budgétaires.
Environnement : Stephen Harper interpellé
Le développement des ressources naturelles étaient au cœur du débat sur le thème de l’environnement.
Thomas Mulcaira mis en doute la sincérité de Stephen Harper quand celui-ci a expliqué que son gouvernement travaillaitsur le changement climatique et à réduire les gaz à effet de serre.
Elizabeth May a déploré que le gouvernement Harper n’ait aucune préparation pour la conférence de Paris fin 2015 sur le climat. « On doit se préparer pour les négociations à Paris, et cela n’est pas possible si vous êtes encore au pouvoir » a-t-elle déclaré.
Justin Trudeau a relevé quant à lui le manque de rigueur du premier ministre actuel depuis son élection. « Nous avons besoin de travailler avec les provinces afin de proposer un projet solide lors des négociations environnementales à Paris » a-t-il affirmé.
Harper a tenté de sejustifier en expliquant que depuis son élection il y avait eu des « baisses des émissions des gaz à effet de serre. […] Il y a eu la création de règlementspour les centrales de charbon qui disparaissent de plus en plus ». Il a poursuivi en indiquant que le Canada seraitprobablement le premier pays à ne plus avoir de centrales de ce genre-là.
Gilles Duceppe a pour sa part dénoncésévèrement l’incompétence et le manque d’engagements fermes de Stephen Harper en matière d’environnement depuis son arrivée au pouvoir.
L’image du pays dans le monde
Le Canada devrait-il ou non s’impliquer militairement dans les conflits avec l’État islamique et la Syrie ?Dans ce domaine, les chefs des cinq partis ne sont pas apparus sur la même longueur d’ondes.
Le candidat libéral, Justin Trudeau, a ainsi mis en évidence que l’armée canadienne se devaitcertes d’intervenir, mais tout en restant à l’écartdes zones de combat. Stephen Harperl’a contredit en insistant sur le fait que ces pays constituent « une menace pour notre pays ». Il a précisé qu’il était important de mettre les forces armées canadiennes au premier plan pour éviter toute attaque possible contre le Canada.
La candidate du Parti verts’est montrée très préoccupée par cette question. Elle a indiqué que, selon elle, le dictateur Bachard Al-Assad était en réalité plus responsable des nombreux assassinats et des milliers de victimes du conflit que ne l’était l’État islamiste.Même si ce dernier, a-t-elle précisé, demeure une partie importante du problème.
Fidèle à la ligne traditionnelle du NPD en la matière, le candidat néo-démocrate s’est dit fermement oppposé à l’implication de l’armée canadienne hors des frontières du pays. Ce dernier a dit craindre que les armes du Canada ne se retrouvent dans les mains de l’État islamiste.
Gilles Duceppe a, en ce qui le concerne, regretté que le gouvernement conservateur ne se mobilise pas davantage pour le cas des réfugiés syriens. Justin Trudeau, en accord avec le chef du Bloc et la leader du Parti vert,a précisé que le Canada devait redevenir un « pays qui accueille les gens en détresse ». Dans ce dossier, Thomas Mulcair a fait savoir qu’il était favorable à la demande récente de l’Organisation des Nations Unies, soit d’accepter plus de 50 000 réfugiés au pays d’ici 2019.
À la suite de ce tir groupé d’accusations de la part de ses adversaires, M. Harper a insisté pour dire que son gouvernement tentaitactuellement de trouver un équilibre entre la nécessité d’ouvrir les portes du pays à un certain nombre demigrants victimes de la crise actuelle et les réalités de la politique canadienne en matière d’accueil des réfugiés.

















