Le Collectif les Bourrasques a lancé, le 21 septembre dernier son premier recueil de photo-poésie Cosmogonie des corps : nos bouches des fenêtres, au parc de la coopérative Grandir en ville dans le quartier Petit Champlain, à Québec. Au cours de la soirée, environ 70 personnes ont assisté à ce lancement original qui faisait dialoguer les autrices et le public en plein air.

Éparpillées à différents endroits du parc sur des bancs, un rocher ou une couverture, les autrices ont, tour à tour puis simultanément, déclamé des poèmes aux spectateurs présents. Cette formule inhabituelle a permis aux membres des Bourrasques de discuter des poèmes et d’observer les réactions face à leurs écrits. 

Cet échange avec le public se situe dans la démarche du collectif composé de Laetitia Beaumel, Alicia Dufour, Sophie-Anne Landry, Leika Morin, Sarah-Jane Ouellet, Shana Plante-Paquette avec la participation de Natalie Fontalvo, dont plusieurs font partie de la communauté de l’Université Laval. 

La lecture devant public des poèmes les a sorti de leur zone de confort : « Nous ne sommes pas détachées de ces mots-là (…) Ce soir quand nous lisions, c’était comme être en train de réciter nos insécurités », a confié Shana Plante-Paquette. 

Cette idée d’accepter l’inconfort, la vulnérabilité et de laisser le corps habiter l’espace est nécessaire, d’après l’autrice. Cela leur permet d’ouvrir la discussion sur des sujets plus tabous touchant le corps, tels que les vergetures, les boutons, les poils, les imperfections, le gras, les taches de naissance, et même, les violences vécues et les oppressions, ajoute Plante-Paquette. 

Le lancement a aussi été organisé de manière à ne pas créer de barrières entre les artistes et les spectateurs. « Parlons en tant qu’humain à humain et non seulement en tant qu’artiste à artiste ou qu’artiste à public », a-t-elle lancé. 

Les spectateurs sur place pouvaient se déplacer à leur rythme entre les stations, sans qu’il n’y ait une obligation d’écoute en continu, tel que dans les lancements habituels explique Laetitia Beaumel. Selon elle, la disposition cyclique des autrices a fait en sorte que les spectateurs pouvaient prendre un moment, quand ils le désiraient pour laisser la poésie résonner en eux. 

La mission du collectif veille à mettre de l’avant des approches multiples qui visent à se réapproprier la parole sur le corps. Pour elles, il est important de désacraliser l’enveloppe corporelle et la poésie, puis de nourrir les enjeux vécus par certaines personnes, sur des sujets dont on ne voudrait pas entendre parler. « Je pense que ce recueil nous ramène aussi à décomplexer que nous sommes tous comme nous sommes », conclut Laetitia.

Faire dialoguer la photographie et la poésie

D’après Laetitia Beaumel, directrice littéraire des Bourrasques, un dialogue s’établit entre la photographie et la poésie dans le nouveau recueil proposé par le collectif: « Ça peut donner une prise, reposer l’œil, ça amène quelque chose qui n’est pas parlé, plus intuitif ». Selon elle, les photos aident à rejoindre les personnes qui sont moins dans les mots, maisde rentrer en douceur dans des propos plus difficiles du recueil.  

Elle n’est pas la seule à penser que le visuel enrichit la lecture. D’après le photographe, Pierre Barellon, les deux arts sont distincts, mais dialoguent très bien ensemble. « Leur complémentarité vient de leur mystère, au sens où autant la poésie que la photographie ne montrent ni ne disent tout en des termes explicites », explique-t-il.

La photographie a aussi fait en sorte que les autrices ont choisi ce qu’elles désiraient exposer au grand jour, ajoute Laetitia Beaumel. « Ça permettait de donner un regard sur le corps avec toute la simplicité et la délicatesse de la poésie en posant des images dures, toutes les marques naturelles que nous avons sur notre corps. On ne voulait rien cacher », confie Shana Plante-Paquette.

Donner un espace aux écrivain.e.s de la région de Québec

De prime abord, des écrivains de la région de Québec sont mis de l’avant dans le livre, ce qui est une priorité à l’Écume, puisque l’éditrice fondatrice de la maison, Laetitia Beaumel, considère que toute une littérature existe à Québec, ville littéraire de l’UNESCO. « Ensuite, dans mes valeurs, on parle fou, on parle franc, c’est-à-dire que je n’ai pas peur de montrer », assure celle qui est aussi doctorante et chargée de cours à l’Université Laval. 

« J’ai pris le risque de choquer, d’interpeller. Ça s’inscrit aussi dans des valeurs d’humanisme. Pour moi, le propos féministe qui se revendique, s’empuissance, il est bienvenu dans ma maison; tout comme ceux d’autres communautés, minorités ou tranches de la population sentiraient qu’elles n’ont pas tout dit et à qui on n’a pas permis de s’exprimer », confie-t-elle.

Denis Beaulieu, spectateur au lancement a remarqué que la poésie prend davantage de place dans l’espace public. D’après plusieurs membres du public ont trouvé nécessaire de se retrouver et de participer à une activité culturelle à nouveau, après de longs mois avec de nombreuses restrictions liées à la pandémie.

Valérie Forgues, autrice, éditrice, et critique en poésie,  est du même avis. Elle soutient que les autrices ont été créatives avec leur lancement, mais pense aussi que le contexte de la pandémie les a encouragées à adopter ce concept: un évènement à l’extérieur est très approprié pour des raisons sanitaires. Puisque les spectateurs avaient des moments privilégiés avec les autrices, Mme Forgues trouvait que cela faisait du concept un moment hors du commun.

La critique en poésie estime qu’il est important de parler davantage des tabous liés aux corps des femmes, comme c’est le cas ce recueil des Bourrasques, afin de les diminuer. Selon elle, les femmes ne devraient porter ni honte, ni malaise par rapport à leur corps. Elle croit que la poésie se prête bien à parler d’enjeux comme les tabous, explique l’éditrice, car le langage peut être utilisé de manière frontale ou crue, tout comme il peut passer ses messages avec douceur.

L’approche multiple employée dans cette œuvre, avec la photo, la poésie, la lecture des poèmes, le vidéo-poème est comparable à un origami qui se déplie, lance Valérie Fourgues. Cette approche rend accessible « les couches d’un même univers» .

Le recueil s’inscrit dans la poésie québécoise qui est fleurissante avec ses différents types de poésie, conclut Mme Forgues. Textes plus narratifs, poésie épurée, elle pense qu’ une transformation s’opère à l’égard de la poésie au Québec.