Le décès de la jeune Athena Gervais a suscité de nombreux débats et remises en question au cours des dernières semaines. Le marketing ciblé pour les jeunes fait réagir, le gouvernement fédéral souhaite notamment réexaminer les ingrédients et les formats des boissons sucrées à haute teneur en alcool comme FCKD UP et Four Loko. De son côté, la province du Québec désire que la Société des alcools du Québec (SAQ) devienne responsable de la vente de ces produits alcoolisés et qu’ils soient retirés des épiceries et des dépanneurs.

Selon un rapport réalisé par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en 2018, les ventes de ces boissons ont triplé au cours des années 2016 et 2017, ce qui représente une hausse de « 319 % pour les produits de plus de 11 % d’alcool ». Ce rapport a aussi fait ressortir que le nombre d’intoxications à l’alcool a augmenté, et qu’ « entre le 1er janvier et le 26 novembre 2017, les services d’urgence ont reçu 2 332 jeunes âgés de 12 à 24 ans pour cette raison. Cela équivaut à 214 cas par mois, 49 cas par semaine ou 7 cas par jour ». 

Par ailleurs, ce graphique issu du rapport de l’INSPQ démontre que les jeunes âgés entre 18 et 24 ans sont ceux qui ont le plus de problème d’intoxications à l’alcool, par rapport à d’autres tranches d’âge de la population :

 

La faute de la publicité ? 

Christian Desîlets, professeur en publicité sociale à l’Université Laval, pense qu’il ne faut  pas remettre toute la responsabilité sur la publicité de ce produit, car d’autres boissons alcoolisées produisent davantage de publicités. Il rappelle ainsi que  l’industrie de la bière « procède à des fins promotionnelles massives, notamment sur Twitter, et la bière fait partie des premières boissons alcoolisées auxquelles accèdent les jeunes adultes, contrairement aux boissons fortes ».  

D’après le professeur Desîlets, il y a une forte compétition entre les producteurs des boissons sucrées alcoolisées, ce qui les incitent à faire une production et une rotation accélérées de nouveaux produits sur le marché. Ainsi, « la publicité devient un élément important pour se différencier ».

Christian Desîlets rappelle qu’il s’agit d’un marché qui a été créé par et pour des jeunes, en donnant l’exemple des concepteurs de la Four Loko qui sont « des universitaires qui disaient qu’ils étaient leur propre cible ». Pour lui, s’attaquer à la publicité est une solution facile, car « les jeunes vont toujours chercher de nouveaux produits alcoolisés ».

D’ailleurs, la stratégie commerciale de ces producteurs est bien établie pour cette cible, notamment en ce qui concerne la vente dans des épiceries et des dépanneurs.

Perception d’un consommateur

Pour Benjamin Godbout, étudiant et acheteur occasionnel de ces boissons,  le problème ne sera qu’être déplacé. En effet, selon lui, « le produit va toujours exister, mais il sera vendu uniquement par la SAQ ». Il ajoute que ces boissons sont très populaires auprès des jeunes parce qu’elles sont en moyenne moins dispendieuses et plus alcoolisées que d’autres. Cependant, il affirme qu’elles goûtent bien l’alcool, contrairement à ce que l’on prétend.   

D’après lui, « il suffit de connaître sa tolérance devant l’alcool et de savoir quelle est la quantité raisonnable à boire  ». Benjamin ajoute qu’il n’a « jamais eu de problème avec la Four Loko ou la FCKD UP » et estime qu’il en prenait 2 fois par mois lors de divers événements, avant l’apparition de la polémique.

Pour ce consommateur de boissons sucrées alcoolisées, le problème ne réside donc pas nécessairement dans le produit mais dans la manière de le consommer :

 

 

 

Benjamin mentionne qu’il n’a jamais été sollicité par des publicités réalisées par les compagnies de ces boissons alcoolisées, mais plutôt  par les nombreux « mèmes » sur les réseaux sociaux, réalisés entre autres par des jeunes.

Exemple d’un mème que l’on peut retrouver sur des réseaux sociaux (source : https://me.me/i/my-mom-packed-me-a-four-loko-for-lunch-ooo-8126604)

Cette influence des réseaux sociaux sur les jeunes consommateurs a également été soulignée par le rapport de l’INSPQ, qui a montré « que les personnes âgées de 16 à 29 ans trouvent les publicités sur les médias sociaux « générés par les utilisateurs » plus efficaces et plus crédibles, car elles donnent l’impression que le contenu a été produit par une « personne réelle ».

Monsieur Desîlets soutient par ailleurs qu’il existe un danger dans la publication d’étude sur la publicité par les promoteurs de la santé comme l’INSPQ, « notamment parce qu’ils créent une rupture de communication avec la clientèle cible, dans ce cas-ci les jeunes de 18 à 24 ans ». De ce fait, il suggère qu’il est préférable de travailler sur les formats et sur le prix des canettes, plutôt que de tomber dans « l’hypermoralisation des jeunes ».

Selon lui, lorsqu’on est promoteur d’une cause sociale, il faut éviter « de tomber dans l’excès, qui serait ici de se livrer à de la propagande, et de laisser les arguments juridiques et scientifiques expliquer la raison de l’interdiction du produit ».