Pour un militaire des forces régulières, la question du retour à la vie civile est rarement envisagée. Beaucoup veulent réaliser toute leur carrière dans ses rangs. Or, selon les chiffres du ministère de la Défense nationale, plus de 10 000 militaires quittent l’armée chaque année. Le ministère des Anciens combattants affirme que près d’un tiers d’entre eux éprouvent ensuite des difficultés pendant la transition vers la vie civile.

« Ce sont les séquelles d’Afghanistan qui m’ont rattrapé. Selon les critères militaires, je ne remplissais plus les conditions du service. » Plusieurs années après avoir reçu l’annonce de sa retraite de l’armée, Martin Laperrière raconte encore ce moment la voix serrée. Qu’elle soit volontaire ou pas, la décision de quitter l’armée est un bouleversement dans la vie d’un soldat. Ces derniers sont soumis à des règles strictes en matière de fin de contrat. Dans l’armée, la fin de carrière, appelée libération, peut être décidée pour cinq raisons :

  • Inconduite
  • Service non satisfaisant
  • Raisons de santé (libération honorable)
  • Volontaire (libération honorable)
  • Service terminé (libération honorable)

Une libération honorable, quel que soit le motif, donne accès à de nombreux services et prestations tout au long du processus de reconversion. En plus d’un suivi médical complet entièrement pris en charge par le ministère de la Défense nationale, des conseils d’orientation sont prodigués tant que nécessaire.

(Crédit infographie : Irina Lafitte)

Une fois leur ordre de libération émis, les militaires sont détachés de leur unité et intègrent l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP). Ils y effectueront les derniers mois de leur service et prépareront leur reconversion. Entre l’annonce de la fin du contrat et la libération effective, il peut s’écouler jusqu’à deux ans. « J’ai mis ces deux ans à profit pour me préparer à l’après », se souvient Julie Arvisais, ancienne manœuvrière dans la marine. L’UISP m’a beaucoup aidé, c’est là où je trouvais des ressources et des conseils pour préparer ma libération ».

Pendant les deux premières années de leur reconversion, les anciens militaires restent sous la tutelle du ministère de la Défense nationale, qui verse leur pension et leur allocation de retour à la vie civile. Ils perçoivent alors 75 % de leur dernier salaire pendant deux ans, le temps de suivre une éventuelle formation diplômante. Après cette période, ils passent sous la responsabilité du ministère des Anciens combattants. C’est grâce à ce soutient que Marie-Eve Bédard, vétérane des Forces armées canadiennes (FAC) libérée pour raison médicale, a pu prendre le temps de s’occuper de sa santé et de celle de son époux, lui aussi un ancien combattant. « Cela m’aide à avoir la tranquillité d’esprit pour me replacer et penser à ce que je veux faire. »

Une adaptation parfois compliquée

Marie-Eve Genest est intervenante pour les familles de vétérans au Centre de la famille de Valcartier. Depuis trois ans, elle accompagne des anciens combattants dans leur transition à la vie civile. « Les gens qui quittent les FAC de manière volontaire se réadaptent plus facilement. Les autres sont libérés lorsqu’ils ne sont plus en mesure de satisfaire aux normes de la vie militaire. » Forte de son expérience, elle précise : « Il faut comprendre que dans les FAC, les militaires sont complètement pris en charge, d’un bout à l’autre. Ils n’ont pas à se soucier de quoi que ce soit. » Le choc est d’autant plus rude pour certains. Car comment rebondir quand on s’imaginait réaliser toute sa carrière dans l’armée ?

« Les deux ans que j’ai eu, je les ai passé à faire la paix avec cette décision et à me préparer, lentement mais sûrement à la vie après l’uniforme » Martin Laperrière, ancien combattant.

Pour les aider pendant leur transition, une multitude de programmes et d’aides sont proposés aux futurs vétérans. À tel point qu’il est parfois difficile de trouver ce que l’on cherche. Afin de mettre toutes les chances de son côté, il faut savoir reconnaître ses compétences transposables dans la vie civile. Julie Arvisais a suivi ce conseil pour fonder son entreprise d’optimisation d’espace. Après avoir suivi une courte formation à l’entrepreneuriat, elle décide de se lancer en décembre 2014. « Mon entreprise est basée sur mon expérience dans la Marine, où tout était très compartimenté. À ma sortie, je voyais que les maisons n’étaient pas pensées pour que tout soit fluide et convivial. J’ai tout de suite voulu transposer ça. » Son expérience dans l’armée a directement influencé sa manière de travailler dans son entreprise :

Mais parfois, l’ancien soldat garde des séquelles de son service. Selon les chiffres les plus récents du ministère de la Défense nationale, en 2017 plus du tiers (39%) des militaires des forces régulières ont été libérés pour raison médicale. Et selon une enquête de 2013 sur la santé mentale dans les Forces canadiennes, un militaire sur dix présenterait les symptômes du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Un suivi médical après la libération est alors primordial. Même si les services d’un psychologue sont pris en charge par l’armée, il n’est pas toujours facile d’en trouver un rapidement compte tenu de la pénurie de médecins que connaît la province. Pour s’assurer une continuité dans son traitement, Martin Laperrière n’a eu d’autre choix que de se tourner vers un médecin privé qu’il paye lui-même. Mais plus d’un an après sa libération, il est toujours en deuil de son treillis :

(Crédit audio : Irina Lafitte)

Édouard Auger est psychiatre et chef médical de la Clinique pour traumatismes liés au stress opérationnel (TSO). Depuis 2007, il s’occupe des vétérans souffrant de diverses pathologies comme le TSPT, la dépression majeure, les troubles anxieux, les troubles de la consommation de substances… « Les vétérans qui viennent nous consulter ont vécu des événements traumatiques pendant leur déploiement et ont développé des pathologies en lien avec ces événements », explique le spécialiste. Dans ces cas là, le processus de reconversion prend du temps. En 2017, le gouvernement fédéral a instauré une pension à vie pour les anciens combattants blessés ou traumatisés. Elle est destinée à soutenir les personnes dont la maladie entrave la réinsertion dans la vie civile. Sur cinq ans, cela représente un investissement de 3,6 milliards de dollars pour le pays.

Le soutien des proches est essentiel pour la réussite de la transition. C’est pourquoi le Centre de la famille de Valcartier propose aussi des séances d’information aux familles des militaires. (Crédit Photo : Cplc Shilo Adamson/MDN/ACC)

Comme Martin Laperrière, beaucoup gardent un souvenir ému de leurs années de service. Malgré les séquelles physiques ou psychologiques, il reste parfois difficile de tourner la page et de se lancer dans une nouvelle vie, loin de la camaraderie réconfortante de leurs « frères et sœurs d’armes » comme les appelle Marie-Eve Bédard.