Les personnes transgenres évoluant dans le sport se font de plus en plus nombreuses. Si cette réalité semble récente, elle remonte en réalité au début du 20e siècle. Des cas d’athlètes intersexes sont documentés dès les années 1920. Leurs histoires, longtemps marginalisées ou effacées des archives sportives, témoignent d’un enjeu crucial : celui de la reconnaissance et de la place des personnes trans ou intersexes dans l’univers du sport de haut niveau. Aujourd’hui, alors que ces athlètes sont plus visibles que jamais, leur présence soulève des questions complexes sur l’équité, l’inclusion et les règlements des fédérations sportives.
Inclusion ou catégorisation?
L’un des enjeux principaux de la pratique du sport par les personnes trans est la catégorie dans laquelle elles pourront participer aux compétitions. Chaque comité et organisation sportive tente de se pencher sur la question, mais aucun règlement global n’est encore établi.
Dans les ligues universitaires, les discussions autour de ces enjeux commencent à arriver. U Sports, l’organisation canadienne chargée de diriger le sport universitaire au Canada, est responsable de donner les règlements aux ligues. L’article 80 leurs politiques et procédures, qui concernent l’équité et l’égalité, se consacrent à l’encadrement des personnes transgenres, avec comme seule réglementation l’obligation de se conformer au programme antidopage canadien et l’interdiction pour un.e athlète de concourir dans des équipes sportives des deux genres au cours d’une même saison.

À l’Université Laval, aucun règlement n’a encore été établi concernant les athlètes transgenres, puisqu’aucun des quelque 500 étudiants-athlètes n’est transgenre. Jean-Noël Corriveau, directeur adjoint du service des activités sportives et responsable du Rouge et Or, décrit la façon dont sont décidés les règlements universitaires.
Il faudra cependant attendre que des athlètes transgenres participent et soient directement impliqués dans un sport universitaire pour que des mesures et règles soient imposées, selon M. Corriveau. Cela soulève plusieurs questions, notamment en ce qui concerne les différences entre les lois provinciales. Par exemple, la province de l’Alberta a voté la loi 26 il y a quelques jours qui restreint notamment l’accès au sport pour les transgenres.
Un autre aspect important relevé par M.Corriveau concerne la sécurité des athlètes dans le sport. Par exemple, une femme trans qui pratiquerait un sport de contact et qui pourrait potentiellement blesser une adversaire. C’est en partie à cause des compétences physiques différentes dans le sport que les règlements devront être à la fois généraux pour éviter les injustices, mais aussi adaptés à chaque discipline afin de tenir compte des risques potentiels.
L’inclusion des athlètes trans dans les ligues régulières soulève des questionnements complexes, souvent centrés sur l’équité et la sécurité. Pour certains, la crainte d’un déséquilibre compétitif repose sur les différences physiologiques qui peuvent subsister malgré l’hormonothérapie, notamment en termes de force, de vitesse et de puissance. D’autres s’inquiètent des risques accrus de blessures, notamment dans les sports de contact. Ces préoccupations alimentent un débat où se confrontent le respect de l’identité de genre des athlètes et la volonté d’assurer des conditions de compétition jugées justes pour l’ensemble des participants.
Évolution des mentalités ?
Les propos du président Donald Trump posent d’autres questions : l’opinion publique va-t-elle dans le même sens ? Les mentalités ont-elles évolué ? Serait-on prêt à voir davantage d’athlètes trans dans des compétitions sportives comme les Jeux Olympiques ?
Le récent cas de la boxeuse algérienne intersexuée Imane Khelif a créé une controverse importante pendant les Jeux de Paris en 2024. Elle a reçu des menaces et des insultes sur les réseaux sociaux. Certaines boxeuses ont même refusé de combattre contre elle lors de compétitions.

Pour savoir si des athlètes québécois ont aussi vécu des expériences similaires, l’Exemplaire est allé à la rencontre de deux jeunes athlètes trans pour obtenir leurs témoignages. Steve Kalaydjian, joueur de rugby transgenre évoluant pour les Stingers de l’Université de Concordia, et Valentina Cagna, ancienne joueuse de volleyball pour les Astrelles du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, ont accepté de répondre à nos questions.
Valentina a effectué sa transition durant ses études universitaires. Elle a d’abord joué pour l’équipe de volleyball masculine de son école et a rejoint, après deux ans d’hormonothérapie obligatoire pour les athlètes transgenres femmes, l’équipe féminine de son cégep.

Steve est un cas plus particulier, car il s’identifie et est reconnu civilement en tant qu’homme, mais joue encore pour l’équipe féminine de rugby de Concordia. Il ne peut pas encore compléter sa transition, car la prise de testostérone lui est interdite tant qu’il joue pour l’équipe féminine.
Steve et Valentina s’accordent pour dire que l’un des freins à l’intégration complète des athlètes transgenres dans le sport est le manque d’information à ce sujet. Cette observation est appuyée par Sylvain Croteau, instigateur et directeur général de Sport’Aide, un organisme sans but lucratif dont fait partie Valentina également, offrant son aide aux différents acteurs du sport au Québec et travaillant avec les athlètes trans pour sensibiliser et lutter pour leur inclusion.
Sylvain Croteau explique que les nombreux questionnements et méfiances au sujet de l’intégration des athlètes transgenres dans le sport sont en partie causés par les médias et leur manière d’aborder le sujet : « Le traitement médiatique fait souvent dans le sensationnalisme. Les cas d’exemples qu’on apporte pour ouvrir les débats ne sont pas les bons. Ils représentent une infime partie des athlètes concernés. »
Selon lui, les médias préfèrent souvent utiliser des cas créant de la polémique comme celui de la nageuse américaine Lia Thomas, au lieu de montrer, qu’en réalité, les athlètes transgenres dans les sports de loisirs ou les compétitions, en dehors des athlètes d’élite, sont plutôt bien intégrés.
Derrière un sportif, il y a un être humain.
– Sylvain Croteau
Sylvain Croteau, appuyé par les deux athlètes, affirme qu’il y a encore trop de tabous et d’incompréhension autour de ce sujet. Le directeur de Sport’Aide pointe le manque de recherches scientifiques dans ce domaine, et donc de certitude sur les avantages physiques ou non des athlètes transgenres. Ces lacunes scientifiques entraînent le public à décréter certaines théories selon lesquelles des sportifs, souvent ceux des sports d’élite, changeraient de genres pour remporter plus de victoires : « La population et les médias sont tellement axés sur la performance et les trophées, qu’ils oublient que derrière un sportif, il y a un être humain. À la fin de leur journée, ces gens-là ont une vie après le sport.», déclare Sylvain.
L’instigateur de Sport’Aide exprime le fait que changer de sexe n’est vraiment pas quelque chose d’anodin. Valentina et Steve, à travers leurs expériences, montrent que cela prend du temps et ne facilite vraiment pas le quotidien.

Ces témoignages démontrent que les athlètes trans ne se sentent pas forcément touchés par des menaces directes lorsqu’ils évoluent dans leur environnement sportif et que le fait qu’ils continuent à faire du sport est accepté. Toutefois, comme le dit Sylvain Croteau, cette situation reste assez taboue pour une partie de la population et il y a encore du travail à faire pour que les mentalités s’ouvrent davantage.
Ce sont, néanmoins, des enjeux qui évoluent constamment. Le mardi 25 mars 2025, la fédération internationale d’athlétisme a décidé d’imposer dorénavant un dépistage pour déterminer le sexe des athlètes se présentant aux compétitions féminines.
Dans les prochaines années, les fédérations sportives finiront peut-être par s’accorder sur un seul et même règlement. Ce sont elles qui théoriquement ont un pouvoir décisionnel sur cette question, sauf si d’autres chefs d’États, comme Donald Trump, en décident autrement.