L’histoire des journalistes écoutés par la Sécurité du Québec et le Service de Police de la Ville de Montréal a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Inquiets, les journalistes décident de changer leurs habitudes afin de garder leurs sources vraiment anonymes.

Pour plusieurs journalistes à Québec, avant l’incident, la protection des sources était une évidence. Kathryne Lamontagne, journaliste au Journal de Québec, pensait que des outils rigoureux étaient en place pour protéger ses sources, et « visiblement, je me suis trompée. » dit Mme Lamontagne.

Kathryne Lamontagne, journaliste au Journal de Québec

La journaliste se dit très prudente avec ses sources. Depuis qu’elle exerce sont métier, elle les rencontre dans des endroits non achalandés, ou elle les contacte via des applications qui permettent de crypter leurs messages. Elle est également très secrète concernant ses contacts : « Mes sources, je n’en parle à personne, je n’en parle pas à mon chum, pas à ma mère, ni à mes meilleures amies ».

Kathryne Lamontagne, journaliste au Journal de Québec

Thierry Watine, professeur en journalisme écrit à l’Université Laval, affirme que de nouvelles balises concernant la protection des sources seraient accueillies positivement:

Selon M. Watine, il peut  y avoir des situations exceptionnelles. Par exemple, dans le cas de terrorisme, ou de sécurité de l’État, il peut arriver que certains journalistes se retrouvent sous écoute. 

La profession en tire des leçons 

« Dans le contexte actuel très technologique, les journalistes doivent être encore plus vigilants. »  dit M. Watine, qui ajoute même qu’un retour aux sources du journalisme est nécessaire :

Selon lui, il est certain qu’on ne pourra jamais éviter à 100 % toute forme de surveillance. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui les journalistes qui travaillent sur des sujets délicats vont redoubler d’ardeur pour éviter d’être écoutés et surveillés. C’est une douche froide pour plusieurs, mais au moins maintenant les journalistes au Québec doivent partir du principe qu’ils sont potentiellement surveillés. Le professeur en journalisme à l’Université Laval croit qu’une fois que les journalistes ont ce sentiment de crainte, ils prennent les précautions requises.

Des journalistes insultés 

M. Watine soutient que dans l’Affaire Lagacé, « La police et l’institution des pouvoirs, ont commis une grande faute morale, une erreur stratégique et un aveu d’échec. »  Selon lui, les pouvoirs ne devraient jamais intervenir dans l’écriture des journalistes, et ne doivent jamais porter atteinte à l’intégrité des journalistes et des médias. M. Watine affirme que « découvrir qu’il y a des journalistes au Québec qui sont sous écoute, ça porte atteinte à un principe sacré d’indépendance, et ça pose un vrai problème moral et éthique du point de vue de la démocratie ».

C’est une erreur de stratégie, car dès qu’on met un journaliste sous écoute, un jour ou l’autre le public va le découvrir. Selon M. Watine, « tout finit toujours par se savoir ». C’était donc une erreur de croire que les autorités peuvent faire de l’espionnage de journaliste sans qu’un jour, ça sorte dans l’espace public. C’est un aveu d’échec dans le sens qu’il est triste de penser que la police n’a pas les moyens à l’interne de régler ses problèmes.

Les solutions du gouvernement 

Parmi les nombreuses solutions ressorties depuis l’éclosion de cette affaire, l’une dont on entend le plus parler est le dépôt d’un projet de loi qui protègerait les journalistes et leurs sources d’information.  Le sénateur canadien Claude Carignan a déposé le projet de loi S-231 qui vise à renforcer la protection des journalistes et de leurs sources d’information.

Selon Valérie Gaudreau, membre du conseil exécutif de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la fédération est en train de se pencher sur le projet de loi afin de dégager une position claire, les membres préfèrent donc rester silencieux à ce sujet pour le moment. 

Pour ce qui est de la commission d’enquête sur la surveillance des journalistes, les membres de la FPJQ ont discuté de leurs inquiétudes dans le cadre d’une table de concertation dirigée par Caroline Locher, directrice générale de la FPJQ, lors du congrès de la Fédération samedi le 19 novembre 2016. Plusieurs journalistes, chroniqueurs et avocats siégeaient à la table pour exprimer leurs inquiétudes et proposer des outils pour trouver réponse à cette l’espionnage des journalistes :

Selon la journaliste Valérie Gaudreau, les professionnels du milieu vivent plusieurs inquiétudes face à cette commission d’enquête, entre autres, ils espèrent que le mandat soit établi assez rapidement. Ils se questionnent aussi sur la prochaine définition que les commissionnaires donneront au métier de journaliste.

Beaucoup de questions restent sur la table. Selon Mme Gaudreau, « la FPJQ se réjouit d’une telle commission, mais il y a encore des points à débattre. On reçoit bien le fait que le gouvernement ait réagi rapidement, et surtout que le groupe d’experts soit devenu une commission d’enquête. On espère que ce soit le plus public possible, et que ça va donner une loi qui rend les sources vraiment protégées par la loi, car au Québec actuellement ce n’est pas aussi clair».