Adèle Garnier, professeure agrégée au Département de géographie de l’Université Laval

Le nombre d’étudiants étrangers est en constante augmentation depuis 2010 au Canada. Selon Adèle Garnier, professeur agréée en géographie à l’Université Laval, le développement économique du pays repose en partie sur son attractivité pour une main-d’œuvre étrangère qualifiée. Le Québec est l’une des provinces recevant le plus d’étudiants étrangers au Canada, en raison de la réputation de ses universités et de l’inclusivité de ses établissements, qui offrent un enseignement à la fois francophone et anglophone. Ainsi, le Québec représente 23% de la population canadienne et reçoit dans ses universités 22% des étudiants internationaux présents au Canada.

Moins de 22% de tous les résidents non permanents au Québec sont ici pour les études. Données provenant de Statistiques Canada.

Mais la situation pourrait changer. En décembre 2024, le gouvernement québécois a adopté le projet de loi 74, visant à réduire la portion d’étudiants étrangers actuelle au Québec. Leur nombre dans les établissements supérieurs du Québec est évalué à près de 120 000 personnes, soit une augmentation de 140% depuis les dix dernières années. Le gouvernement provincial souhaite plafonner le nombre d’étudiants étrangers qui fréquentent les universités du Québec, afin de freiner cette augmentation. Plus largement, le projet de loi 74 s’inscrit dans une volonté commune
des gouvernements provincial et fédéral de freiner l’immigration temporaire au pays. Il est à noter que les étudiants étrangers représentent seulement  12% de l’immigration temporaire au Québec et, comme le montre notre carte interactive ci-dessous, ne sont pas répartis uniformément sur tous les campus.

L’université québécoise recevant le plus d’étudiants étrangers est l’Université McGill – voir carte interactive, ci-dessus. Cela s’explique notamment par son offre de programmes francophones et anglophones et sa renommée internationale. Située en plein cœur de Montréal, elle attire des étudiants de plus de 155 pays différents. Sa population étudiante est composée de 30% d’étudiants étrangers, dont 22% d’étudiants d’origine chinoise, 18% d’origine française et 17% d’origine américaine.

Le Québec entretien des accords internationaux avec la France, la Belgique et la Suisse. Ces ententes permettent de réduire les droits de scolarité des étudiants en provenance de ces pays d’Europe, en plus de garantir une assurance maladie à un moindre coût. De ce fait, une majorité d’étudiants français viennent séjourner au Québec pour poursuivre leurs études. Ces accords profitent grandement aux universités québécoises qui offrent des formations majoritairement francophones, comme l’Université Laval, où les étudiants français représentent 29% des étudiants étrangers ou encore l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) où cette même proportion s’élève à 71%.

On remarque également que les étudiants des pays d’Afrique francophones sont relativement nombreux à l’UQAM, l’UQTM et l’UQAC, où 6% des étudiants proviennent de la Guinée et 5% du Sénégal. 

Pour toutes les universités, la population d’étudiants étrangers augmente en fonction de leur cycle d’étude. Par exemple, à l’Université Laval, ils représentent 62% de la population étudiante du 3e cycle, 27% du 2e cycle et 11% du 1er cycle. Ces chiffres montrent à quel point les étudiants sont « vitaux » pour les cycles supérieurs universitaires. D’ailleurs, selon Adèle Garnier, l’existence de certains programmes reposent sur l’inscription des étudiants internationaux.

Motivés, mais inquiets

Comme plusieurs européens, Lison, étudiante française en commerce à l’Université Laval, vient étudier au Québec pour l’attrait du système académique canadien, qui est bien différent du système européen. Elle est charmée par les  avantages financiers qu’offre le Québec vis-à-vis des écoles privées en France.

D’autres étudiants étrangers viennent chercher un milieu où les conditions de vie et la possibilité de gravir l’échelle sociale est meilleure que dans leur pays d’origine. Khali, étudiant marocain venu étudier en ingénierie de l’informatique à l’Université Laval, explique qu’au Maroc, la majorité de la population est pauvre et vit dans des conditions plutôt précaires : « J’aimerais bien que le Maroc devienne comme le Canada, même si c’est impossible et je sais que c’est impossible, donc pourquoi rester au Maroc ? Ivaut mieux aller dans un pays où, entre guillemets, l’équité existe, et pour moi, c’est le Canada. »

Dans son domaine d’étude, il explique que les salaires sont bien plus avantageux qu’au Maroc. Au Canada, ils varient entre 6000 et 7000 dollars par mois, tandis qu’ils ne dépassent pas les 1000 euros – environ 1500 dollars canadiens – par mois dans son pays d’origine. 

« Sans le partenariat, j’aurais payé 24 000 dollars et, honnêtement, moi je ne paie pas 24 000 dollars pour des études », déclare Khali qui a réussi à venir étudier à l’Université Laval grâce à une bourse d’exemption et au partenariat entre l’Université Laval et le Maroc, diminuant ses frais d’études de 24 000 dollars par an à 2000 dollars par an. Khali fait partie d’une toute petite proportion d’étudiants ayant eu cette chance. Seulement, avec les récentes lois sur l’immigration, ces bourses sont devenues plus difficiles à obtenir. La petite sœur de Khali n’a d’ailleurs pas pu venir étudier au Québec car, sans la bourse, ses frais d’études étaient hors de ses moyens.

La loi 74 inquiète beaucoup les étudiants étrangers, qui remettent en doute leur projet de vivre au Québec. Daphné, étudiante française en Science et Génie à l’Université Laval, explique qu’après la fin de son baccalauréat, elle souhaite obtenir un permis de travail qui lui permettra ensuite de candidater pour la résidence permanente au Canada. Le permis de travail s’obtient à condition de réussir un test de français au coût de 400 dollars. Cela décourage, puisqu’elle a déjà passé un examen de français lors de son parcours universitaire, en plus d’avoir effectué la totalité de ses cours en français. Les file d’attente pour pour passer cet examen de français bloque son accès à la résidence permanente pour encore plusieurs mois. Depuis déjà quatre années, qu’elle paie ses études à Québec, elle ressent un grand sentiment d’injustice.

Si demain ils veulent nous éjecter, ils le peuvent. 

                            – Lison, étudiante française.

Au-delà d’un sentiment d’injustice, c’est également une immense incompréhension qui transparaît chez les étudiants étrangers. Beaucoup se plaignent du manque d’informations qu’ils reçoivent par rapport aux évolutions des lois et des initiatives: « On est en position de faiblesse parce qu’on n’a pas la nationalité. On sait très bien que si demain ils veulent nous éjecter, ils peuvent. On est toujours un peu dans l’incertitude. Ça change tellement », explique Lison. Le Canada, qui avait depuis plusieurs années cette réputation d’être ouvert à l’international, ternit son image vis-à-vis des étudiants étrangers présents sur le territoire. Aujourd’hui, ils ont la sensation d’être sur un siège éjectable.

Réaction des universités

Selon le Ministère de l’Éducation supérieur du Québec, la mobilité étudiante est un facteur important d’accroissement du capital humain et de la richesse collective. Cet avis est partagé par plusieurs universités au Québec, qui ont fortement réagi lors de l’adoption de la Loi 74. En effet, L’UQAM, en partenariat avec l’Université Laval, l’Université McGill et l’Université de Sherbrooke, ont demandé au Ministère que les établissements de niveau universitaire ne soient pas assujettis à la loi. L’initiative a été appuyée par l’Université Concordia, l’Université Bishop’s – dont la grande majorité des programmes est en français – et par le réseau de l’Université du Québec. Selon la rectrice de l’Université Laval, ces nouvelles mesures auraient pour conséquences de réduire le nombre d’étudiants provenant de l’international, et par le fait même, de ralentir la compétitivité des universités du Québec à l’échelle mondiale. 

Dans un mémoire écrit conjointement, les universités du Québec soulignent l’importance des étudiants étrangers pour la société québécoise. Selon les institutions, les études supérieures sont la clé pour l’innovation et la recherche au Québec. Sachant que les étudiants étrangers représentent environ 70% des chercheurs œuvrant dans les laboratoires médicaux et technologiques, les universités s’inquiètent pour la pérennité de certains programmes de maîtrise et de doctorat : « Nous croyons que limiter l’arrivée d’étudiantes et d’étudiants de l’international envoie un mauvais message sur la scène internationale alors que nous sommes engagés dans une véritable course pour attirer chez nous les meilleurs cerveaux », explique Jérôme Pelletier, conseiller en relation des médias pour l’Université Laval. Dans un rapport datant de 2023 sur l’immigration temporaire, l’Institut du Québec affirme que la hausse des étudiants étrangers permet de gagner des inscriptions et de maintenir une offre de formation diversifiée pour plusieurs programmes d’études supérieures. Selon l’Université Laval, une baisse de la fréquentation des étudiants étrangers au Québec affecterait la qualification de la main-d’œuvre québécoise et le rayonnement universitaire du Québec à l’international.

Limiter l’arrivée des étudiants de l’international envoie un mauvais message sur la scène internationale. 

– Jérôme Pelletier.

Jérôme Pelletier, conseiller en relation des médias pour l’Université Laval.

Car au-delà de certaines ententes internationales, les revenus des établissements universitaires augmentent grâce à la fréquentation des étudiants étrangers. Leurs droits de scolarité sont considérablement plus élevés que ceux des résidents permanents et des natifs, bien que, pour les programmes de 2e et de 3e cycle orientés vers la recherche, le montant de la facture sont plafonnés par le ministère de l’Enseignement supérieur.

Depuis 2019, les programmes de 1e cycle et de 2e cycle orientés vers le marché du travail étaient déréglementés, c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas plafonnés financièrement par le gouvernement. Les universités pouvaient donc ajouter, selon leur discrétion, un montant forfaitaire additionnel aux droits de scolarité de base des étudiants internationaux. Ces frais additionnels servaient à couvrir les coûts relatifs au recrutement à l’international et à l’intégration des étudiants étrangers. Selon Adèle Garnier ces montants ont permis aux universités de générer des revenus considérables.

Depuis l’automne 2024, les programmes de 1e et 2e cycle orientés vers le marché du travails sont réglementés par le Ministère, qui octroi aux universités des subventions pour couvrir les frais relatifs à la fréquentation des étudiants étrangers dans leurs milieux scolaires. Les montants forfaitaires seront récupérés par le gouvernement, mais les universités ont toujours la possibilité de charger, à leur discrétion, un montant additionnel aux droits de scolarité de base des étudiants étrangers. Ce faisant, la facture devient considérablement plus salée et cela pourrait compromettre les inscriptions.

D’ailleurs, la réduction du nombre d’étudiants étrangers au pays a déjà causé un trou budgétaire important pour les universités ontariennes et les établissements d’études supérieurs du Québec ne sont pas à l’abri de subir le même sort. Cette année, l’Université Laval a enregistré une baisse d’inscriptions en provenance de l’international de 22% en un an. Selon Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal, cette baisse d’inscription est généralisée sur l’ensemble des universités du Québec : « C’est le fruit, je pense, de la confusion qui résulte d’un ensemble de mesures annoncées depuis un an — on en a compté 12 — qui touchent les étudiants internationaux ». 

Les frais supplémentaires des étudiants français — voir la comparaison des deux factures ci-dessus —, à plus de 3100 dollars, auxquels s’ajoutent les frais d’assurance santé de 980 dollars par session, font tripler le montant à débourser. Grâce aux accords entre la France et le Québec, les étudiants ressortissants sont exemptés des frais de la RAMQ. En revanche, les écarts de frais d’études sont encore plus grands sur les factures des étudiants étrangers venant de pays qui n’ont pas de convention avec l’Université Laval.

Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal.

Impacts économiques

Au-delà de leur apport financier et scientifique dans le milieu universitaire, les étudiants étrangers participent à l’économie de la province. Les premières étapes d’intégration à la société québécoise sont en grande partie assurées par les établissements scolaires universitaires, qui offrent des logements et un tissu social adapté à leur besoin. Le poids des étudiants étrangers sur les services publics de la province est ainsi réduit par les services offerts dans les universités. La plupart des étudiants étrangers sont également titulaires d’un permis de travail/études et occupent un emploi à raison de 20 heures par semaine en alternance avec les cours. Selon l’Institut du Québec, les étudiants étrangers occupent des secteurs d’activités qui souffrent de pénurie de main-d’œuvre, tels que la restauration, le commerce de gros détail et l’enseignement. Ils ont donc un impact sur le maintien et la relance des secteurs d’emploi en manque de recrutement. 

Selon les résultats de l’Enquête nationale auprès des diplômés, 24% des étudiants étrangers ayant obtenu leur diplôme d’études supérieures en 2020 résidaient toujours au Canada en 2023 et 88% d’entre eux occupaient un emploi. L’intégration des étudiants étrangers sur le marché du travail québécois est en hausse depuis une dizaine d’années, notamment grâce au permis de travail post diplôme, qui donne le droit aux étudiants étrangers diplômés au cycle supérieur de rester au Canada pour une durée équivalente au programme d’études qu’ils ont complété, jusqu’à un maximum de trois ans. Le permis est ouvert, c’est-à-dire qu’il n’est pas lié à un employeur en particulier. 

Les étudiants étrangers, comme le mentionne Daphné, ont par la suite la possibilité de demander leur résidence permanente. L’accès à la résidence permanente est cependant plus long à obtenir au Québec qu’ailleurs au pays. En effet, le Québec exige une expérience de travail entre 12 et 18 mois après la diplomation pour l’obtenir. De plus, les demandes en provenance du Québec sont moins rapidement traitées par le Fédéral que celles en provenance des autres provinces. Malgré ces difficultés, l’Institut du Québec affirme que le nombre d’étudiants étrangers diplômés ayant obtenu un permis de résidence permanente pour s’installer au Québec a triplé entre 2015 et 2022. 

Selon M. Pelletier, conseiller en relation des médias à l’Université Laval, les universités du Québec sont non seulement convoitées à l’international pour l’économie robuste de la province, mais également pour ses nombreuses opportunités d’emploi. Il explique que cette réalité fait en sorte que plusieurs personnes diplômées choisissent d’accéder au marché du travail directement après le baccalauréat.

Malgré l’apport économique des étudiants étrangers pour la province, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a refusé la demande d’exemption des universités. Le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, a qualifié la requête de « déraisonnable » et soutient qu’il faut revenir à un équilibre global entre le nombre d’étudiants « natifs » et le nombre d’étudiants étrangers qui fréquentent les établissement scolaires supérieurs. Cela passe par des mesures d’encadrement plus serrées sur les admissions. Cette centralisation du pouvoir a été critiquée par la Fédération Québécoise des Professeures et Professeurs d’Université (FQPPU), qui affirme que le projet de loi 74 compromet l’autonomie des universités en limitant la capacité des établissements à gérer leurs programmes. Le ministre Roberge a répliqué qu’il ne s’agissait pas d’une centralisation, puisque le projet de loi 74 oblige maintenant les ministères à travailler conjointement.

La croissance démographique du Québec dépend essentiellement de l’immigration. Les étudiants étrangers offrent à la province une main d’œuvre qualifiée et un rayonnement à l’international dans le domaine de la recherche. Si la CAQ s’inquiète d’une immigration temporaire trop abondante, les universités, elles, soutiennent que les étudiants étrangers sont une richesse culturelle et économique que le Québec devrait encourager. Toutefois, les conséquences globales de la loi 74 sur le rayonnement du pays à l’international ainsi que sur l’avenir des universités québécoises ne semblent pas faire partie des priorités gouvernementales actuelles.