Si l’implantation d’un registre québécois des armes à feu n’a pas fait l’unanimité chez les propriétaires d’armes à feu, une partie de ces derniers craignait aussi les conséquences de l’élection fédérale, alors que quatre des six principaux partis proposaient de restreindre davantage l’accès aux armes à feu. Pour certains amateurs qui ont pour loisir le tir à la cible, l’éventualité d’une législation plus serrée n’est pas envisageable, eux qui considèrent que la solution réside dans l’application de la législation actuelle et non dans son resserrement.

Au Canada, Small Arms Survey estimait à près de 13 millions le nombre d’armes légales et illégales en 2018. Avec une moyenne d’environ 35 armes par 100 habitants, le Canada se positionne en cinquième position au monde.

C’est donc en prenant conscience qu’il existe un aussi grand marché pour les armes à feu et devant les fusillades de masse  que le premier ministre sortant, Justin Trudeau, avait proposé lors de la campagne fédérale de 2015 de ramener certaines réglementations abolies par le  gouvernement conservateur de Stephen Harper. «Nous prendrons des mesures concrètes pour qu’il soit plus difficile pour les criminels de mettre la main sur une arme», pouvait-on lire dans la plateforme électorale libérale en 2015, alors que le futur premier ministre comptait «débarrasser nos rues des armes de poing et des armes d’assaut».

Les promesses pré-électorales de Justin Trudeau s’étant traduites, au cours de son mandat, par l’implantation de nouvelles règles concernant l’acquisition et la possession d’armes à feu, certains propriétaires s’inquiètent d’un éventuel renforcement des vérification des antécédents d’une personne en vue d’obtenir son permis de possession et acquisition d’une arme à feu. Par exemple, le chef libéral s’est engagé , au moment où il menait la campagne précédant sa réélection le 21 octobre dernier, à ce que les antécédents soient vérifiés au-delà de cinq ans, en plus de proposer de bannir les armes d’assaut. Ce dernier souhait n’est pas non plus passé inaperçu dans sa liste d’engagements.

Le club de tir Beauséjour est situé à Saint-Lambert-de-Lauzon. (Crédit photo : Isaure Patat)

«Certaines personnes disent qu’il y a eu un recul de 25 ans dans la réglementation des armes à feu depuis l’abandon supposé du registre au fédéral sous Stephen Harper. La vérité, c’est que la loi C-71 l’a réintroduit, le registre, sans lui donner la même appellation, mais toutes les règles en matière de possession et d’acquisition, de transport et d’entreposage, il n’y a rien de tout cela qui est tombé», rappelle Pierre Brodeur, président du Club de tir Beauséjour, situé sur la Rive-Sud de Québec.

La sécurité avant tout

Même si certains acteurs comme M. Brodeur déplorent la volonté des gouvernements de resserrer davantage la loi sur le contrôle des armes à feu, ils s’accordent avec le politique sur un élément ; une réglementation effective est nécessaire pour baliser leur utilisation.

«Nous sommes parmi les plus convaincus de la nécessité d’avoir des mesures pour renforcer la sécurité. Or, quand on nous impose de nouvelles mesures encore plus restrictives alors qu’on est déjà hyper contrôlés, on aimerait avoir une voix pour s’exprimer et on n’est jamais invités à la table même si on veut faire partie de la solution», lance  Luc Boucher, collectionneur d’armes à feu et amateur de tir à la cible, qui qualifie le club de tir auquel il appartient de «gros club social».

Cependant, n’entre pas qui veut au Club de tir Beauséjour. En effet, pour obtenir un permis de possession et d’acquisition d’une arme à feu (PPA) tout en respectant la loi sur la sécurité publique, il incombe au demandeur d’entamer un processus en plusieurs étapes. Il lui faut d’abord suivre le cours canadien de sécurité en maniement d’armes à feu pour celles dites sans restriction, afin d’apprendre à les manipuler de façon sécuritaire. Pour les armes de poing, une seconde formation complétée par un examen théorique et pratique  devant un évaluateur est aussi nécessaire requise. Enfin, la loi 9 , au provincial, oblige la passation d’un troisième cours de sécurité sur le transport, l’utilisation et la possession d’une arme à feu.

Tous les clubs de tir sont réglementés par des instances qui balisent la sécurité. (Crédit photo : Isaure Patat)

Une fois les formations terminées, les personnes doivent se rendre au poste de police afin de relever leurs antécédents conjugaux des cinq dernières années. Quelques références comme un conjoint et des proches doivent être fournies à la Sûreté du Québec afin de vérifier les antécédents de violence ou d’allusion au terrorisme du demandeur.

En tout temps, il est également impératif d’être membre d’un club de tir agréé par la Sûreté du Québec, qui agit à titre de contrôleur, et ne jamais y perdre son statut de membre, puisque la loi 9 oblige à venir y tirer au moins une fois par an. Lors de chaque visite, chaque tireur doit signer un registre et y inscrire son nom, son numéro de membre, son heure d’entrée et de sortie au club.

Comme le détaille Luc Boucher dans la vidéo qui suit, les procédures sont balisées et les amateurs de tirs n’ont pas le droit de tirer n’importe où. Ils sont admissibles à de lourdes conséquences s’ils enfreignent la loi, puisque le manquement  à une seule des obligations prescrites, est un délit criminel. C’est le Code criminel régit et sanctionne la possession et l’acquisition d’armes à feu à autorisation restreinte au Canada.

Des informations à profusion, une solution?

Pour Luc Boucher, les quelques deux milliards de dollars investis autour du registre des armes à feu n’ont «pas contribué à sauver des vies». La mise sur pied d’un registre donnerait plutôt une «fausse impression de sécurité». Dans une lettre envoyée l’an dernier au député des Chutes-de-la-Chaudière, Marc Picard, le membre du Club de tir Beauséjour a tenté de faire valoir ses arguments auprès du gouvernement.

«Celle-ci a déjà coûté des dizaines de millions en frais juridiques pour la récupération des données du défunt registre fédéral. […] De plus, les 500 000 détenteurs du « Permis de possession et acquisition » émis par le gouvernement du Canada répondent déjà à de nombreuses exigences en matière de vérification systématique des antécédents criminels notamment, ne méritent pas d’être traités comme des criminels potentiels ni ceux-ci ne représentent-ils un danger pour la sécurité publique.»

En réponse à cet avis, une relationniste du Ministère de la Sécurité publique, Louise Quintin, soutient qu’il est «difficile de tirer des conclusions sur l’efficacité de l’immatriculation des armes à feu en se fondant sur une mesure comme le «nombre de vies sauvées». Par définition, lorsque la prévention fonctionne, le drame est évité. Il faut alors démontrer que l’absence de drames s’explique par l’immatriculation des armes à feu et aucune autre cause. Cette démonstration peut rarement être faite, notamment en raison du nombre élevé de variables à contrôler».

Selon Madame Quintin, l’immatriculation des armes à feu est d’une mesure qui a pour objectif de soutenir les interventions et les enquêtes policières. «Le seul fait que [les policiers] consultent [le registre] près de 600 fois par jour en moyenne démontre qu’il s’agit d’un outil utile et efficace pour accomplir leur travail», a-t-elle ajouté par courriel.

Au sujet du nombre de consultations du registre, messieurs Brodeur et Boucher déplorent le fait qu’une arrestation automobile provoquera l’apparition de la mention de propriétaire d’une arme à feu pour le conducteur. « Ça déclenche une consultation au registre, même si le policier ne voulait pas faire de vérifications en ce qui a trait à l’arme à proprement parler et qu’elle n’était pas impliquée dans le délit. » Pour eux, le nombre de consultations du registre ne serait donc pas, selon eux, un indice de l’efficacité de ce dernier.

Que faire ?

En ce qui a trait aux solutions envisageables, M. Boucher, qui a agi à titre de sécretaire du collectif Tous contre un registre québécois des armes à feu dans le cadre de l’évaluation du projet de loi 64 sur l’immatriculation des armes à feu, estime qu’une potentielle réduction des méfaits réside davantage dans l’application de la loi que dans un contrôle accentué de celle-ci.

En tant que propriétaires d’armes à feu, Luc Boucher et Pierre Brodeur, estiment qu’ils sont six fois moins représentés dans les crimes violents que la population en général. (Crédit photo : Isaure Patat)

«Le phénomène des tueurs de masse est lié à des problèmes de santé mentale et non d’enregistrement des armes non restreintes. Le fait qu’il soit impossible de démontrer que le défunt registre ait sauvé une seule vie fait déjà mal paraître toute initiative en ce sens et, finalement, le fait que le crime organisé fonctionne en dehors de tout cadre légal quel qu’il soit n’aide en rien la cause d’une telle initiative», pouvait-on également lire dans le mémoire.

En entrevue à QUB radio,  le président du collectif Tous contre le registre québécois des armes à feu, Guy Morin, a d’ailleurs abondé dans le même sens, en affirmant que «[Ce qui nourrit] la violence dans les villes, c’est la drogue, la pauvreté et la santé mentale […] L’arme à feu n’est qu’un objet et si vous bannissez un type d’objet, ils vont sûrement se rallier sur un autre type d’objet, tout simplement».