Spectaculaires, immersifs, parfois bouleversants, les films historiques fascinent par leur capacité à faire revivre différentes époques. Mais à quel point ces œuvres sont-elles fidèles à l’Histoire ? La frontière entre réalité et fiction est souvent floue, au point que de nombreux spectateurs en viennent à croire que ce qu’ils voient à l’écran est véridique. Cela soulève un dilemme : un film historique doit-il absolument respecter les faits ? Certains réalisateurs assument leur parti pris artistique, tandis que d’autres revendiquent un souci d’exactitude. Nolan, par exemple, pour Oppenheimer sorti il y a deux ans, a fait appel à des historiens pour s’assurer de la rigueur du récit, même s’il a dû condenser ou réorganiser certains éléments, pour la clarté et une meilleure lisibilité du film.

(photo: Pierre Rochette).
Nathan Murray, professeur d’histoire spécialisé en Monde romain, à l’Université Laval, explique que les connaissances et la fascination pour l’Empire romain et l’Antiquité en général ont donné naissance au péplum, un genre cinématographique qui suscite encore aujourd’hui de l’intérêt. Le péplum ne se limite pas seulement à l’aspect historique mais englobe également des récits bibliques. Certains péplums sont plus réussis que d’autres du point de vue historique comme Spartacus (1960), mais l’émotion que procure Gladiator (2000) fait de lui un péplum incontournable. Par ailleurs, les films représentant les combats de gladiateurs commettent tous la même erreur historique : celle de l’ordre de mise à mort par l’empereur. Selon lui, même les films les plus ambitieux sur le plan historique prennent souvent des libertés avec les faits.
L’objectif des films historiques n’est pas une représentation fidèle de la réalité.
– Nathan Murray

Ridley Scott est souvent critiqué pour ses films à caractère historique puisqu’il a tendance à privilégier l’émotion, l’aspect grandiose et le divertissement, notamment à travers des scènes de batailles spectaculaires mais peu fidèles à la réalité. William Grenier, étudiant à la maîtrise en histoire et passionné de cinéma, estime que des films comme Napoléon (2023) transmettent de fausses informations à la population. Selon lui, Ridley Scott est allé jusqu’à manquer de respect au personnage historique qu’est Napoléon. Même concernant la représentation des lieux, Ridley Scott s’éloigne de la réalité : l’environnement et le cadre de la Bataille de Waterloo ne sont absolument pas fidèles à l’Histoire. Bien que qualifié de film historique, Napoléon n’en est clairement pas un, il s’agit plutôt d’une œuvre fictionnelle sur l’Empereur, selon la vision de Ridley Scott.
Ainsi, pour certains cinéastes, comme Ridley Scott, la véracité historique passe souvent au second plan derrière l’enjeu narratif ou émotionnel. D’autres cinéastes, comme Christopher Nolan, placent en revanche un grand souci du respect et de la fidélité de l’Histoire.
Moyen pédagogique
Le cinéma peut servir à l’apprentissage d’une période ou d’un évènement important dans l’Histoire de l’humanité. Il constitue un moyen pédagogique utilisé par certains professeurs pour montrer à leurs élèves, visuellement et de manière ludique, des événements historiques. Citons, par exemple, l’attaque de Pearl Harbor, la base militaire des îles d’Hawaï, au petit matin du 7 décembre 1941, dans le film éponyme Pearl Harbor (2001) de Michael Bay. La scène de l’attaque y est extrêmement bien documentée. Elle immerge le spectateur au cœur de ce moment décisif de la Seconde Guerre mondiale. Cette séquence permet de comprendre l’ampleur du drame et des dégâts subis par les États-Unis, qui les ont poussés à entrer en guerre.
Second exemple, Dunkerque (2017) de Christopher Nolan qui traite de la mise en place de l’Opération Dynamo, en mai 1940, pour organiser la retraite et l’évacuation, vers l’Angleterre, des soldats du Corps expéditionnaire britannique (CEB) réfugiés sur les plages de Dunkerque à cause de l’avancée de l’armée allemande. Au travers de ce film, le spectateur peut se rendre compte de l’envergure de l’opération de sauvetage, où bon nombre de navires civils sont réquisitionnés pour venir en aide aux soldats. Les marins et pêcheurs ont répondu présents et se sont lancés dans une série de traversées de la Manche afin de ramener un maximum de militaires au pays.
Les films historiques sont une des manières de transmettre des connaissances à la population.
– William Grenier
Culturel et mémoriel
Les films historiques ont également un impact culturel et mémoriel. Ils offrent un moyen visuel de comprendre ce qui s’est passé et sont essentiels pour se souvenir et ne pas oublier certaines atrocités commises dans l’Histoire, tout en les commémorant. La Solution finale ordonnée par le régime nazi lors de la Seconde Guerre mondiale, plus connue sous le nom de Shoah, vient naturellement à l’esprit. Véritable génocide visant à éradiquer la population juive d’Europe sous occupation nazie, notamment à travers les camps d’extermination comme le tristement célèbre Auschwitz-Birkenau. Tout comme les musées, temples de culture et de patrimoine s’il en est, le cinéma permet d’apprendre, comprendre, ressentir ainsi que de préserver la mémoire de ceux qui ont souffert et d’encourager le grand public à réfléchir aux questions morales et spirituelles soulevées par de tels événements. Ils symbolisent un droit de mémoire pour éviter toute forme de renouveau, même dissimulé. Si la Shoah a inspiré à de nombreux films, l’antisémitisme demeure et est même ravivé sans honte dans certaines régions du Monde. Quant au génocide des Arméniens, il reste largement méconnu des salles obscures. Lors de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman se lance dans la déportation et le massacre de la population arménienne de son territoire, la communauté chrétienne dans les régions turque et syrienne. C’est dans ce contexte que l’intrigue du film de Terry George, The Promise (2016), se déroule. Ainsi, dans le film, le spectateur prend conscience de la persécution à laquelle les Arméniens font face, puis de leur emprisonnement, de leur enrôlement de force pour servir de « chair à canon » sur le front, de leur réduction en esclavage pour la construction de chemin de fer au sein de l’Empire, jusqu’à leur traque pour les exterminer. Une scène atroce et particulièrement poignante est la mise à mort de tous les habitants d’un village fusillé dans la forêt, incluant femmes et enfants, dont la famille du personnage principal. Le film endosse un rôle mémoriel quant à cet évènement du début du XXe siècle moins connu que la Shoah, mais tout aussi important.
L’Histoire accessible
En plus d’être un excellent moyen pédagogique et mémoriel, le cinéma historique permet de rendre l’Histoire bien plus accessible au grand public. Il est par exemple plus simple et attrayant, pour certaines personnes, de regarder un écran, que ce soit par le biais de films ou de séries, sur un sujet ou une période historique plutôt que de lire un livre sur ledit sujet. Le cinéma peut aussi permettre de faire découvrir des pans méconnus de l’Histoire. Dans tous les cas, l’objectif reste le même : se documenter tout en se divertissant.
Les séries Band of Brothers (2001), The Pacific (2010) et Masters of the Air (2024), produites par Steven Spielberg et Tom Hanks, s’inscrivent pleinement dans l’art cinématographique. Elles reconstituent avec un grand souci de réalisme le parcours de soldats américains durant la Seconde Guerre mondiale. Band of Brothers, par exemple, mêle fiction et témoignages de vétérans, offrant une approche quasi documentaire. Chaque série explore un front différent du conflit, tout en rendant hommage à ceux qui l’ont vécu.
Steven Knight, créateur et réalisateur de la série à succès de la BBC Peaky Blinders (2013-2022), s’est lancé dans la création d’une autre série historique passionnante pour la BBC, SAS : Rogue Heroes. Bien que romancée sur certains points, la série reflète fidèlement l’histoire du Spécial Air Service (SAS) et de ses membres, tels que les cofondateurs de l’unité : le lieutenant écossais David Stirling (1915-1990), ainsi que le lieutenant britannique John « Jock » Lewes (1913-1941), également créateur de la bombe Lewes utilisée par le SAS, et le lieutenant irlandais Robert Blair « Paddy » Mayne (1915-1955).
Cette série est d’autant plus fidèle aux faits que sa réalisation s’appuie directement sur des images d’archives, comme nous l’avons retracé dans notre vidéo, ci-dessous.
Les films et séries historiques séduisent autant qu’ils questionnent. Entre fidélité aux faits et exigences du récit, ils naviguent sur une ligne fine où l’Histoire rencontre la fiction. Leur impact sur les spectateurs est réel : ils éveillent la curiosité, transmettent des repères culturels, mais peuvent aussi véhiculer des visions simplifiées ou biaisées du passé. Dans ce contexte, le regard critique reste essentiel pour apprécier ces œuvres sans confondre réalité historique et construction cinématographique.