Est-il vrai que les jeunes s’intéressent moins à la politique municipale? J’ai pu relever deux constats de mes entretiens. D’abord, oui, le désintérêt des jeunes envers la politique municipale est un phénomène bien réel. Une petite balade au de Koninck sur le campus de l’Université Laval, pavillon des étudiants en science politique notamment, nous permet de le confirmer.

En revanche, il est faux de dire que les jeunes de 18 à 34 ans sont moins impliqués. Au contraire, on observe présentement une nouvelle vague de jeunes maires et mairesses dans plusieurs grandes villes à la suite de l’élection de 2021. Bien qu’ils représentent encore une minorité parmi les élus, plusieurs d’entre eux sont à la tête de ville de poids au Québec : Évelyne Beaudin à Sherbrooke, Stéphane Boyer à Laval et Catherine Fournier à Longueuil.

 « Une aventure » à la mairie

Michaël Pilote trouve que l’un des aspects positifs de son mandat, c’est le climat sain qui règne à l’hôtel de ville de Baie-Saint-Paul (photo : Facebook Michaël Pilote).

Élu maire de Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix, en 2021, Michaël Pilote représente un bon exemple de cette nouvelle vague. Infirmier de formation, Pilote a été élu à 28 ans et a siégé au conseil municipal dès l’âge de 24 ans.

Pour lui, être maire, « c’est une aventure, pas un emploi ». Une aventure à laquelle il était prêt, car le fait d’avoir préalablement été conseiller municipal l’a aidé à comprendre la machine politique et à se faire des contacts. « L’une des plus grandes qualités d’un leader, c’est de bien s’entourer avec des gens plus compétents que toi dans plusieurs domaines ».

L’homme aujourd’hui âgé de 31 ans comprend très bien les difficultés que certains jeunes élus peuvent vivre. Depuis son élection, Pilote doit composer avec une nouvelle vie publique, quelques critiques en ligne et une conciliation travail-famille ardue. Mais ce qu’il trouve le plus difficile, c’est de se garder du temps pour lui.

On peut dire que son passage à la mairie n’a pas été de tout repos. Le 1er mai 2023, la rivière du Gouffre a débordé, causant des inondations historiques dans la région de Charlevoix. Deux pompiers volontaires ont perdu la vie dans la municipalité voisine de Saint-Urbain. « Jamais je n’aurais cru que j’allais gérer la pire tragédie de l’histoire de la ville peu de temps après mon élection ».

Pour le maire de Baie-Saint-Paul, il n’y a « pas de solution magique » pour accroître l’intérêt et l’implication des jeunes en politique municipale. Celui qui sollicitera un deuxième mandat aux prochaines élections soulève toutefois qu’« une meilleure rémunération » et une « valorisation de la fonction d’élu » constitueraient un bon départ.

« La meilleure et la pire expérience »

Isabelle Lessard n’exclut pas de revenir en politique un jour, malgré sa première expérience rocambolesque (photo : courtoisie Isabelle Lessard).

Comme Michaël Pilote, Isabelle Lessard a dû affronter une crise historique au cours de son mandat comme mairesse de Chapais, une petite municipalité d’à peine 1500 âmes dans le Nord-du-Québec. Élue par acclamation à l’âge de 21 ans, elle est devenue la plus jeune mairesse du Québec. Contrairement à Pilote, c’est une crise inattendue qui est venue à bout de la jeune femme.

En 2021, une discussion entre amis et « un désir de faire bouger les choses » ont poussé Isabelle Lessard à se présenter à la mairie de Chapais. À ce moment-là, elle était loin de se douter qu’une évacuation de la ville, des feux de forêt, un stress post-traumatique et beaucoup d’anxiété plus tard, son parcours politique allait prendre fin après deux ans. La gestion de la crise des incendies a complètement vidé le réservoir d’énergie de la mairesse, pourtant de nature ambitieuse. « Ça a été en même temps la meilleure et la pire expérience de ma vie », se remémore-t-elle.

Isabelle Lessard doit être la personne la mieux placée au Québec pour comprendre les jeunes qui craignent de s’impliquer en politique municipale. « J’ai de la difficulté à regarder les jeunes et leur dire sincèrement “lancez-vous” ».

Une fermeture d’esprit de certains élus plus vieux au conseil municipal de Chapais a aussi contribué à l’épuisement de Lessard. « Il y a un travail de société à faire par rapport à la place que les jeunes ont dans ce type d’emploi-là », affirme-t-elle. « On n’arrive pas à impliquer les jeunes, parce qu’ils se font barrer le chemin ».

La solution pour elle? Repenser la politique comme de l’entraide et non comme une guerre. « On pourrait s’élever plus haut comme société, autant au niveau municipal, provincial et fédéral ».

C’est cette expérience de guerre qui a poussé plusieurs élus à abandonner leur poste, dont Lessard, au cours les quatre dernières années. L’ex-mairesse de Chapais est toujours en pause professionnelle, encore trop éprouvée moralement et mentalement par son parcours en politique.

Des jeunes moins représentés

Anne Mévellec prédit une vague de jeunes politiciens municipaux pour surfer sur la vague de 2021 (photo : uOttawa).

Le portrait de la jeunesse en politique municipale n’est pas aussi sombre que pourrait laisser croire l’histoire d’Isabelle Lessard. Selon Anne Mévellec, professeure en Études politiques spécialisée en politique municipale à l’Université d’Ottawa, une lente mais réelle tendance à l’engagement chez les jeunes se solidifie dans la province.

Selon les données du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, le nombre de candidatures des 18-34 ans oscille entre 1100 et 1200 depuis 2005 (voir l’illustration ci-dessous). Cependant, la tendance devient plus tangible lorsqu’on examine le nombre de maires et de mairesses : 21 jeunes ont été élus en 2017, alors que le nombre monte à 33 en 2021.

Mévellec identifie plusieurs facteurs, pas nécessairement exclusifs au Québec, qui expliquent pourquoi les jeunes restent les moins représentés parmi tous les groupes aux différents hôtels de ville à travers le Québec. D’abord, leur manière de faire de la politique diffère de la méthode dite traditionnelle. Ils ont plus tendance à s’engager dans des mouvements sociaux ou des organisations que comme militants dans un parti.

« Le problème des jeunes, ce n’est pas qu’ils sont jeunes, c’est que tout se passe dans la vingtaine »

-Anne Mévellec

Elle souligne également que : « le problème des jeunes, ce n’est pas qu’ils sont jeunes, c’est que tout se passe dans la vingtaine ». En effet, la fin des études, l’entrée sur le marché du travail et la fondation d’une famille surviennent souvent entre 18 et 34 ans. « Ça n’a pas le même sens de mettre votre carrière sur le côté quand vous avez 57 ans que lorsque vous avez 27 ans et que les opportunités s’ouvrent ».

Toujours selon Mévellec, la politique municipale rejoint moins les jeunes parce qu’ils ne sont majoritairement pas encore propriétaires. Les municipalités perçoivent la taxe foncière, ce qui concerne peu de Québécois de 34 ans et moins.

Une autre facteur est le manque de modèles en politique municipale pour inciter les jeunes à se présenter. Or, avec ce nouveau vent de fraîcheur qui souffle dans les hôtels de ville du Québec, on peut s’attendre à voir davantage de jeunes s’impliquer lors des prochaines élections municipales, en novembre 2025.